Des premiers monochromes de Malevich qui les concevait comme un passage vers l’infini aux champs colorés de Rothko s’ouvrant sur une expérience intérieure, du bleu intense de Klein aux noirs vibrants de Soulages, le monochrome n’a cessé de se réinventer.
Depuis quarante ans, Marie-Jo Lafontaine lui apporte sa propre contribution. Elle ne cesse d’explorer cet espace pictural au chromatisme simplifié mais où peuvent se projeter à l’infini des émotions, des sentiments, des paysages mentaux.
Sur des toiles aux formats étudiés (nombre d’or), sont déposés avec une grande douceur une ou quelques couleurs (ses monochromes peuvent être des bi ou trichromes). Des surfaces mates et lisses dans laquelle l’artiste exprime ses univers intérieurs.
L’absence de représentation faisant fonction de miroir, de lieu ouvert à toutes les interprétations, le monochrome prête à la rêverie, à l’onirisme, il est peut être le plus évident des autoportraits. En offrant une plus grande liberté que les images qui conditionnent le sens en le manipulant, il ouvre la voie à l’imagination, au souvenir ("On dit que j’imagine, c’est pas vrai, je me souviens". Van Gogh).
Les toiles présentées à la galerie Guy Pieters ont des couleurs tendres, pastel, en référence à celles de la Renaissance (des gris, des roses, des ocres,..), évoquant des paysages aux horizons apaisants où la tension, néanmoins palpable, est contenue.
Avec ses portraits d’adolescents, l’artiste engage le monochrome sur de nouvelles voies. Elle confronte des visages placés sur des fonds unis faisant jouer à la couleur le rôle de complémentaire ou de dominante. Elle permet ainsi aux portraits de se détacher, d’amplifier leur présence silencieuse, les yeux fixés sur l’objectif, provoquant un mise en abyme des regards (qui regarde qui ?).
Ces adolescents sont toujours cadrés serrés de la même manière, épaules nues.
Ce ne sont plus des enfants, pas encore des adultes. Prenant conscience de leur individualité, de leurs désirs, ils cherchent à se situer. Leurs yeux inquiets qui interrogent l’avenir nous questionnent sur nous mêmes en nous renvoyant à notre propre regard d’adolescent, un regard qui, même s’il s’est un peu estompé, ne nous a pas quitté, il est toujours là et on ne doit pas le décevoir. Marie-Jo Lafontaine lui prête l’avenir du monde. Elle y lit sa fragilité, sa peur de l’avenir et en même temps sa détermination à changer le monde.
Dans ses autres travaux, le monochrome reste présent pour affirmer ou contraster le sujet. Ainsi ses fleurs étonnantes, aux couleurs excessives, manipulées, beautés fragiles et éphémères, sont soulignées de monochromes reprenant la teinte dominante. Organisées sous forme de diptyque ou de triptyque, beaucoup de ses photographies explorent le thème des fleurs associé aux portraits ou aux danseuses.
La vidéo occupe aussi l’esprit de l’artiste qui a eu besoin très tôt d’entamer un travail centré sur le mouvement, la plasticité des corps. Les robes des danseuses de tango ou de flamenco, le corps partiellement nu de la danseuse orientale, filmés parfois au ralenti, révèlent la sensualité, l’excitation retenue. Une autre vidéo (monochrome), montre une nageuse se mouvant dans un bassin transparent entre origine de la vie et danger d’étouffement.
Du monochrome le plus calme aux danses endiablée, Lafontaine tente de cerner le réel pour nous le rendre sensible sans faux semblants.
Il y a une franchise dans son propos, une précision, une recherche de rigueur. Le discours doit être tranchant et la beauté au delà de la fragilité. Observatrice attentive du monde, elle nous le restitue le métaphoriquement dans un éclairage puissant. Dans ses bi- ou trichromies, un angle franc déplace la ligne d’horizon, ses portraits comme ses fleurs sont frontaux, ses danseuses ne trichent pas, leur sensualité est offerte aux regards
Une œuvre multiple et transdisciplinaire comme pour dire une colère qui s’exprime dans une recherche de précision afin de "retenir et fixer ce qui est sublime".