Peu d’œuvres en effet sont autant liées à l’action du corps : travail de la langue (au sens propre), de la salive qui imprègne son matériau, puis de ses mains.
Il y a quelque chose d’ancestral dans cet art qui nous renvoie aux premières représentations créées par l’homme : les mains négatives, nées de pigments colorés mélangés à la salive et soufflés par la bouche.
La gomme à mâcher existe depuis la préhistoire.
Chaque peuplade avait la sienne : sève des conifères, pistachier lentisque chez les Egyptiens et les Grecs, bétel chez les Asiatiques, noix de kolatier et boules de tabac chez les Andins, etc.
Celle utilisée actuellement pour le chewing-gum est issue du latex de l’arbre sapotillier. Récolté dans des petits seaux placés sous une entaille de l’arbre, le latex est ensuite bouilli pour obtenir la plasticité recherchée.
Utilisée comme trompe-faim, on lui prêtait des vertus médicales, anxiolytiques avant que les Américains n’en fassent une friandise.
Introduit aux Etats Unis au XIXe siècle, le chewing-gum sera popularisé pendant la première guerre mondiale par les soldats à qui on le distribuait pour favoriser la concentration et lutter contre le stress et la mauvaise haleine.
C’est d’ailleurs pour déstresser qu’est venue à Guichou l’idée de l’utiliser comme matériau.
Après l’avoir mastiqué nerveusement, en jouant avec, elle voit qu’il se prête bien au modelage, à la sculpture de petites têtes.
Comme support (et encadrement) pour ses mini portraits, la boîte d’allumettes est au bon format. Pour les plus grandes (celles à plusieurs Mentos), la boîte de camembert ou les ronds de bière ont fait l’affaire.
Guichou a mastiqué des milliers de chewing-gums.
Elle sait au goût quand la matière est prête. C’est ensuite un travail classique de sculpteur (avec des petits outils de dentiste). De ses mains naissent alors des mini portraits en buste à la manière des photographies anciennes : portraits d’individus, de famille, ou de groupes.
Dans ses plus grands formats (des dizaines de Mentos), admirablement encadrés, Guichou crée un théâtre miniature où elle exprime un regard sur la société, comme cette grande pièce pyramidale à multiples personnages avec le peuple en bas soutenant un plateau où successivement de bas en haut sont présentés : "ceux qui mangent pour nous", "ceux qui prient pour nous", "ceux qui tuent pour nous", "ceux qui gouvernent pour nous", et tout en haut, la Bourse.
"La grande Catherine à sa toilette" rappelle l’histoire des deux cabinets (aux meubles en forme de phallus) où elle recevait ses jeunes amants, et le "Déjeuner sur le Bitume", est un clin d’œil à celui sur l’herbe.
Dans la "Femme au cochon" d’après Félicien Rops, c’est la femme qui tire le cochon par la queue... À voir aussi "Les Mangeurs de Choucroute, "Le Mariage", son hommage à Frida Khalo et beaucoup d’autres œuvres originales à découvrir et dont l’encadrement soigneux sublime ses chewing-gums sculptés.