Jennifer Gross, curatrice de cette exposition en provenance du Whitney Muséum de New York a rédigé pour accompagner les œuvres des notices très complètes nous donnant les clés de chacune, mais aussi celle de l’artiste.
Artschwager a passé son enfance au Nouveau Mexique entouré de paysages aux horizons sans limites, 360° de vide, où l’homme se sent perdu. En réaction, cet environnement provoque chez le jeune Richard un besoin intense d’affirmation visuelle, la nécessité que le regard s’arrête.
Sa mère est peintre, son père, photographe amateur et scientifique (il travaille sur la structure de la matière). Tous les deux vont lui donner le goût de l’observation fine, de ce qui se cache sous les choses ou de ce que l’on a devant soi et qu’on ne remarque pas.Richard a un don inné pour le dessin, doublé d’un grand sens des matières.
Étudiant en chimie et mathématiques, il est envoyé en France (dans les Ardennes) pendant la guerre. À son retour, il reprend ses études puis s’installe à New York. Il a le désir de faire des choses simples, démocratiques, à la portée de tous et devient ébéniste. Il fabrique des meubles aux formes simplifiées, géométriques, voire minimalistes.
Dans une émission pour enfants à la télé, il entend un père se plaindre de son fils qui cloue des planches entre elles, sans raison, des objets qui ne servent à rien...
Cela déclenche l’irrésistible envie d’imiter cet enfant en réalisant un assemblage de planches, percé de quelques trous, qu’il pend au plafond. C’est une sorte d’autoportrait, sa première œuvre d’art, un "portrait zéro" comme il le nomme.
À partir de là (il a 40 ans), il franchit le pas de l’artisanat à l’art, se met à fabriquer des objets inutiles : faux meubles, faux tableaux, faux miroirs...
Son goût pour les textures l’amène à travailler sur des matières non naturelles, venues de l’industrie, comme les panneaux de cellotex, né d’un procédé de défibrage du bois (fibres de cannes à sucre) et découvert dans une œuvre de Franz Kline.
Sur ces surfaces rugueuses et non uniformes, il peint des scènes, des natures mortes, des paysages urbains où la matière très présente brouille le dessin qui est presque illisible de près. Il retravaille aussi des images issues de faits divers publiés dans la presse (collision de trains).
Il n’abandonne pas pour autant les meubles. En associant des matières vivantes (le bois surtout) et d’autres synthétiques, il crée des formes ressemblant à des meubles, mais qui n’en sont pas. Le Formica va prendre une grande place. Ces feuilles stratifiées, obtenues sous pression vont connaître un boom important à partir des années 50. Résistant, lisse, brillant, facile d’entretien, le formica va équiper les cuisines, restaurants, bistros...
Le premier "meuble" qu’Artschwager réalise est en bois de chêne et dans un formica dont le dessin imite les veines du chêne.
Avec toujours le désir de rendre insolite ce qui est familier, s’ensuivront d’autres faux meubles ou objets conceptuels : boule avec Yes No, Croix aux formes biomorphiques, œuvres surréalistes (table velue), etc. Plus tard, il utilisera d’autres matières synthétiques (crin caoutchouté, fibres plastiques).
Son travail rencontre rapidement le succès. Il entre dans la célèbre galerie Castelli où il côtoie Stella, Judd, Lichsteintein, etc., et se retrouve plongé dans un monde qu’il ne connaît pas, mais qui va rapidement l’adopter.
Artiste inclassable : pop, minimal, conceptuel, son œuvre est pluridisciplinaire, mais son style est reconnaissable à son goût des matières lisses et brillantes d’où émane une certaine froideur dans la représentation. Son esthétique minimale, limite minimaliste a pour but de susciter une participation psychologique et affective alors que ses œuvres semblent dépourvues d’affect. Il subvertit notre perception en nous enjoignant de se projeter au delà du visuel.
Plus conceptuels, ses derniers travaux : "Points blps" inscrits dans les rues de la ville pour attirer le regard et rendre visible ce qu’il y a autour.
Il dit "Lancer ses filets sur la réalité" afin de voir ce qui a été pris et l’examiner.
Pour Richard Artschwager, le beau c’est le remarquable, ce qui ne laisse pas indifférent, ce qui retient le regard, le capture.