Le titre annonce l’ambiguïté de tout portrait : c’est Edmond qui fait le portrait de Baudoin, ou l’inverse ? Sa signature étant Baudoin, ce serait plutôt le portrait d’Edmond. Pourtant dans un petit liminaire, il nous dit que ce film, c’est plutôt l’autoportrait de la cinéaste "puisque toute œuvre est un autoportrait".
En tous cas, c’est Baudoin qui occupe l’écran. Il est filmé avec tendresse, tout en retenue. Pas d’effets particuliers, la caméra est calmement posée sur lui. Le film nous embarque doucement dans son monde. On tombe vite sous le charme de sa mélancolie poétique, de son regard décalé sur les petits riens qui donnent une couleur aux choses de la vie. On l’écoute comme s’il était là devisant gentiment avec nous.
Il sait raconter et surtout se raconter. Les anecdotes succèdent aux souvenirs, aux bons mots, aux dessins. Sa première leçon d’esthétique lui a été donnée par un paysan qui remontait un muret de pierres sèches : "un mur, pour être fort, il faut qu’il soit beau".
Il n’y a pas si longtemps, Baudoin faisait figure d’ovni dans la Bande Dessinée, mais il a fait école, a ouvert la voie de l’auto-fiction dessinée où se sont engouffrés de nombreux jeunes auteurs. Mais il ne cesse de dire que ce qu’il fait et qu’il a toujours voulu faire, ce n’est pas de la BD, mais dessiner. Très jeune, il faisait des concours de dessins avec son frère cadet. Il ne connaissait ni la BD, ni le monde de l’art, ni même qu’on pouvait en faire un métier. D’ailleurs, il a choisi une autre voie, il est devenu comptable. C’est son frère qui a fait des études d’art qu’il a finalement abandonnées. Et c’est lui, à trente ans, alors qu’il a femme et enfants, qui décide de laisser tomber son activité rassurante de comptable pour se lancer sans filets dans une carrière de dessinateur. Les débuts sont bien sûr difficiles, mais il suit son instinct.
Quarante ans plus tard, il a tout fait : des livres pour enfants et adultes, donné des confe ?rences, réalisé des spectacles, des expositions et beaucoup voyagé (Espagne, Hollande, Russie, Chili, Venezuela, Mexique, Cuba, Bre ?sil, etc.) À Que ?bec, il est a même été pendant trois ans professeur de l’Universite ? de Gatineau.
Il a eu le bonheur d’illustrer de grands auteurs : Le Cle ?zio, Tahar Ben Jelloun, Fred Vargas, Frank, Jacques Lob, L’Abbe ? Pierre, etc. et a reçu de nombreux prix : du meilleur Album en 1992 pour Couma Acco, du meilleur sce ?nario en 1995, pour Le Portrait et Fred Vargas a eu le prix du meilleur sce ?nario en 2000 pour leur livre Les Quatre Fleuves. Il a travaille ? et travaille toujours pour diffe ?rents e ?diteurs français : L’Association, Gallimard, Dupuis, etc. Avec l’éditeur niçois Z’éditions, il a publié plusieurs livres (Mort du peintre, Lalin avec J-L. Sauvaigo, Les Chants de Maldoror, Embruns et Chagrin d’encre avec Carole Vanni. Ses ouvrages ont été traduits dans plusieurs langues et il est un des rares français édité au Japon.
Des danseuses ont croisé sa vie. Il s’est fait peintre de la danse. Dans le film, on voit le couple danseuse-peintre en action, le mouvement du pinceau répondant à celui de la danse.
Le dessin qui l’a entraîné dans toutes sortes d’aventures, lui a fait aussi de ?couvrir le bonheur d’e ?crire et de créer un style singulier où les mots complètent le dessin, à moins que ce soit l’inverse... Qui en dit plus ? Les mots ou les dessins ?
Un public fidèle le suit, des fans qui lisent tous ses albums. Son trait est épais, radical : "ce qui est magique, c’est le trait blanc qui apparaît entre deux traits noirs. J’ai un début de maîtrise du premier trait mais pas de maîtrise du tout du trait blanc. C’est l’espèce de bonheur que donne le dessin. C’est ce qui fait que je dessine depuis si longtemps. A chaque fois, c’est comme une promenade dont je ne connais pas la suite".
Dans le film, on assiste en direct au miracle de la trace du pinceau ou de la tache frottée d’où miraculeusement émerge une forme pleine de vie, qu’elle soit femme, animal, ou paysage. On le suit dans les collines caillouteuses de son village haut perché, en ville aussi, dans des signatures, dans des classes, des soirées, des rencontres, restant toujours sous le charme de ses vagabondages poétiques et de son regard tendre sur toutes choses.