La Biennale de Venise, plus vieille foire d’art de l’histoire, n’a cessé de montrer et de fêter l’art contemporain de tous les pays. Miroir de la société, elle donne le ton de l’époque tout en montrant des avant-gardes prometteuses.
En la parcourant, on peut comprendre l’état du monde, ses disparités et ses préoccupations. Ses tendances sont multiples et contradictoires, lisibles et illisibles.
Il n’y a bien sûr aucune unité, tout est complexe et divers comme l’être humain.
Le plaisir d’être à Venise, doublé par celui de se promener de pavillon en pavillon à la découverte de propositions innovantes, excitantes, est pour l’amateur d’art et de belles choses, assez exceptionnel.
A chaque session, la Biennale s’agrandit.
Ayant débordé des Giardini, elle a occupé progressivement tout l’Arsenale (ou presque), pour se disperser dans tous les quartiers, nous donnant l’occasion de visiter des palais, monuments ou lieux auxquels on n’a pas accès habituellement.
Dans Venise, j’ai pu ainsi visiter une quinzaine de lieux
Immense vidéo de 20 mètres de large, belles images (un peu trop symboliques) qui racontent la rencontre d’une équipe de la police anti-émeute, avec un groupe de jeunes rebelles. Tout finit dans un très grand lit. Une technologie complexe utilisant cinq projecteurs.
Les loups ont du sang sur la gueule, preuve qu’un carnage a déjà eu lieu. Ils entourent la Pietà qui tient son fils mort sur les genoux. Son visage dit le chagrin universel et terrible d’une mère qui vient de perdre son fils. La sculpture, bien plus petite que l’original de Michel Ange, accentue sa fragilité devant ces loups assoiffés de sang. Une métaphore impressionnante de l’impuissance face à la violence .
Face au Palais des Doges, la Bibliothèque Nationale Marciana, conçue par l’architecte et sculpteur Jacopo Sansovino (1486-1570), est de toute beauté.
Décorée de peintures du Titien et du Tintoret célébrant la philosophie et la sagesse, la bibliothèque conserve des cartes historiques et des globes, notamment celui de Fra Mauro, un célèbre cosmographe (1385-1460) à qui on doit une des premières représentations cartographique du monde connu.
Avec son installation "Secret Power", Simon Denny met en lumière les activités d’espionnage à l’échelle planétaire de la NSA et les enjeux liés à la détention et à la répartition géographique du savoir. Sa cartographie de l’espace géopolitique montre les rôles que jouent la technologie et l’innovation dans la concentration du pouvoir aux mains de ceux qui le détiennent.
Dans la vieille basilique de San Gallo, Patricia Cronin, présente sur trois autels des tas de vêtement féminins : saris déchirés de jeunes filles Indiennes, hijabs symbolisant les 276 écolières enlevées par Boko Haram au Nigeria et un tas de tabliers et d’uniformes portés par les filles dans des asiles ou dans des institutions de travaux forcés pour les jeunes femmes en Irlande, au Royaume-Uni et en Amérique. Un sanctuaire qui rend hommage aux femmes victimes de la violence, de la répression et de l’ignorance imposée.
Entre réalisme chinois traditionnel et abstraction géométrique, les superbes œuvres en papier découpé de Zhang Hong Mei s’approprient avec une grande maîtrise les formes des rouleaux chinois traditionnels en y ajoutant les formes géométriques à la Mondrian.
Jeu d’un corps féminin à robe rouge sur fond de forêt, de troncs, de branches, de feuilles. Helen Sear joue sur la plastique du corps humain superposée à celle de la nature.
Sur le thème de la question d’être, Chang Yahon a peint entièrement une pièce du sol au plafond : graphes, graffitis, tâches de couleurs, esquisses de corps humains, d’yeux, etc., expriment la violence et le dynamisme d’une peinture qui ne renie pas sa part inconsciente.
Des projections au sol et sur les murs d’eaux mouvantes ou de phrases qui s’enchevêtrent. Un presque rien, un infiniment rien montrant pourtant le mouvement incessant de la vie.
Un hologramme de jeune garçon chantant, et quelques images lumineuses d’une Chine traditionnelle, sont présentés dans des couleurs rutilantes d’un hyperréalisme décalé.
La procession d’effigies de mort-vivants ou d’échappés de camps est impressionnante. Réalisés en toile de jute froissée, ces personnages sans épaisseurs et quelquefois sans tête, semblent se diriger tout droit dans la gueule d’un énorme animal... Comme s’il n’y avait aucune autre possibilité, accablés et résignés, ils vont se faire dévorer.
Le grand peintre turc Güne ?tekin (vu récemment à la Galerie Marlborough de Monaco) a créé une technique particulière : une première couche noire uniforme est retirée, modulée, retravaillée comme un orfèvre, créant une texture unique où le moindre filet est ouvragé, façonné.
Ses formes s’élaborent dans un enroulement, dans un enchevêtrement où la couleur s’insère après coup en trouvant naturellement sa nuance, ses ruptures de tonalité, ses accentuations.
Raconteur d’histoires, Ahmet Güne ?tekin nous parle du "conflit entre l’obscurité et la clarté" où son imagination "dérivée des ténèbres, cherche la lumière".
Des visages, des mains, des corps peints en or sont représentés, la peau noire recouverte de doré s’est fait précieuse.
Une vidéo hilarante montre les mains de l’artiste malaxant le liquide épais doré pendant qu’elle chante et parle avec la matière, accompagnant ses mouvements d’onomatopées, d’expressions pour en quelque sorte "sonoriser" ses gestes. L’eau et l’or, éléments essentiels et symboliques (les deux grandes richesses de l’Equateur), sont mis en jeu dans une présentation originale de photos éclatées, d’une table peinte, d’objets et de vidéos.
Son immense tête en fil de fer et sa main formée de caractères empruntés à huit alphabets différents emplissent l’espace de la Basilique de Palladio, mais sa série de sculptures de visages dans une salle annexe est encore plus particulièrement réussie.
Présentées l’une derrière l’autre, offrant une perspective remarquable, elles font preuve d’une étrangeté presque inhumaine (ou plus qu’humaine) due à la matière, aux volumes des visages (comme profilés). Un bel ensemble admirablement scénographié indiquant un rapport à l’espace complètement et poétiquement maitrisé.
De la grande et belle peinture épaisse, celle d’un Maître de la tradition qui s’est confronté aussi aux techniques occidentales contemporaines. D’apparence abstraits, ses tableaux semblent pourtant reliés à l’environnement.
A vous de poursuivre la visite pour découvrir vos propres enthousiasmes !!