| Retour

Pilou & Art

(Part II) - Quels liens entre le pilou et l’art ? Aucun pensez-vous… Et pourtant ! A Nice, les artistes de l’Ecole de Nice ont joué un rôle essentiel dans le renouveau de ce sport local : le pilou. En retour, certains y ont puisé un « peu » de leur inspiration. En parallèle, nombre d’illustrateurs et de graphistes l’ont décliné dans divers projets (BD, couvertures, char de carnaval,..).

Et l’art dans cette aventure ?

Les artistes de l’Ecole de Nice et les artistes indépendants niçois ne se contentèrent pas de participer au renouveau du pilou, la « petite pièce » devint une source d’inspiration pour eux. Le plus enthousiaste fut Jean Mas qui le déclina de multiples façons dans des œuvres aux factures diverses.
Les plus célèbres sont ses diverses Ombres de PIlouteurs (2000), présentées au MAMAC, puis dans diverses galeries.

Jean Mas dans son atelier (photo Séverine Giordan)

Jean Mas (JM), interview d’André Giordan (AG) in Jean Mas, Emergences, Ovadia (2009)

« AG. - Freud, sans doute quelqu’un qui vous a également influencé, a reconnu en Léonard de Vinci une personnalité éminemment contradictoire, un être énigmatique animé comme lui d’un puissant désir de savoir et par une inlassable curiosité. Il entreprend de résoudre l’énigme du cas Léonard en partant d’un souvenir d’enfance. Avez-vous un souvenir d’enfant qui peut éclairer votre œuvre ?

JM.  – Bon, pour l’histoire de Freud, il ne s’agissait pas d’un vautour mais d’un milan (oiseau). Dans ma famille, nous étions très modeste, « un sou (monnaie), c’est un sou », se disait-il ! De ce fait, nous attendions les sous à venir, les « sous venir ». Je pense que ce souvenir a marqué mon enfance !

Le jeu du Pilou réactive le « souvenir » car la pièce, du fait qu’elle est trouée, me renvoie à l’expression : « il a les poches trouées ! », qui se disait d’une personne dispendieuse, pour qui un sou n’avait pas de valeur.

AG.- Pourtant votre œuvre fait « peu » place à l’inconscient. Elle est plutôt pragmatique, immédiate et ludique. Pourquoi ce choix d’un possible « pour l’élever dans une conscience artistique ». Quand en avez-vous eu l’idée ?

JM. – Il me semble que mon rapport au langage, à sa structure, fait état d’un inconscient comme effet de surface. Le discours latent c’est précisément le manifeste ! il n’est que manifeste. Cette conscience est tout simplement liée à la considération du passage de ce que l’on appelle création et œuvre d’art. L’œuvre d’art implique un positionnement dans une histoire, celle de l’art. Tout cela s’est organisé lorsque j’ai pris mes distances avec la notion d’inconscient collectif, Jung, le spiritualisme, et que j’ai adhéré à l’Ecole de la Cause.

La création seule reste une lettre morte si elle ne s’inscrit pas dans le processus exogène d’une conscience artistique. Pour ce faire, il faut devenir le locataire d’autrui et cela en le plaçant en position d’accueillir l’espace d’un inconscient vide de contenu ! C’est une saine condition pour l’appropriation de l’œuvre par l’autre qui devient un peau (pot) s’aidant de sa possession, d’être par son daïmon, tenue d’une place à l’orée de ce qui tient lieu d’inconscient c’est à dire un présupposé, un appeau qui lui permet de se détendre ! Prendre la peau de l’art avant que de livrée, elle ne soit vêtue dans le « tu es » de l’histoire. C’est le sens de marcher sans laisser de trace, pour un marché qui brasse. Ainsi, la conscience artistique naît du fait de cette passe. »

Ce plasticien l’illustra dans sa série des P pour produire un Trophée, décerné au Tournoi de la Turbie (2003). Et après plusieurs textes, il continue annuellement à promener le mot « Pilou » dans sa street performance littéraire, à l’occasion des Tournois de la San Bertoumiou au Vieux-Nice ou comme lors de Jeux de la Francophonie (2013).

Jean Mas, artiste de l’Ecole de Nice, Le pilou, trophée (2003)
Jean Mas, Promeneur de mot : le Pilou sur la Promenade des Anglais (2013)

Ben fut un « autre Pilou inspiré » ; il l’a décliné dans plusieurs de ses œuvres « écritures » sous divers supports et diverses formes. Il l’a « braillé » également dans nombre de ses performances et interventions pour défendre une certaine nissartitude, dans le cadre de sa « théorie des Ethnies » à préserver.

« Pauvres nissarts qui jouent au pilou pendant que leur langue meurt.
Même impression que pour le film de Passuelo.
Pourtant tout cela est positif (mieux que rien) et négatif (démobilisateur non combatif) ». Ben, mail, 1998

En sus des plasticiens de l’Ecole, plusieurs graphistes et illustrateurs se sont emparés du pilou. Le premier fut Edmond Baudoin qui en même temps que Couma acò, meilleur album en 1991 du Festival d’Angoulême a réalisé divers dessins en noir et blanc sur le pilou. L’un d’entre eux servit de couverture à la première édition du livre Et vive le Pilou (Z’Editions, 1998).

Edmond Baudoin, Pilou (1998)
Edmond Baudoin, esquisses de pilouteurs (1998)

Le plus incontournable, Jean Marc Eusebi, trop vite disparu, produisit une multitude de dessins humoristiques déclinant le thème dans la verve caustique de ses bandes dessinées.

Jean Marc Eusebi, Les pilous, série de dessins humoristiques (2000)
Jean Marc Eusebi et ses coucourdons

L’un de ses cartoons est devenu un symbole ; il l’avait réalisé à la demande d’André Giordan. Depuis il est l’emblème de l’association pilouïstique, culinaire et culturelle Nissa Pilo (2002) et il est très repris dans nombre de publications. Il fut même à l’origine d’un projet de char de carnaval !

Jean Marc Eusebi, Logo de Nissa Pilo (2002)

Analyse d’une œuvre

Jean Mas, Les Piloutiers

Jean Mas, Les Piloutiers, triptyque, 2000

Description interprétation

Trois images, trois peintures qui composent une œuvre unique pouvant se lire comme un triptyque. Des silhouettes simplifiées, uniformément peintes connotent immédiatement des présences humaines en action dans un sport indéterminé ; si les membres, la tête et les bustes sont assez proches de la réalité et nous laissent imaginer des positions en mouvements complexes, les différentes attitudes corporelles semblent dégingandées, à la limite de la déformation ; cependant les gestes paraissent codifiés et relativement mesurés. Les trois personnages ne s’inscrivent dans aucune relation de continuité, et aucun lien ne les relie, si ce n’est l’échelle ou l’attitude, et l’on peut se poser la question : s’agit-il de trois personnages différents ou les séquences variées d’un seul et même homme ? Quelques indices connotent le sport pratiqué avec la présence du pilou, et les contorsions que nécessitent les actions multiples.

La simplification des formes nous renvoie à la pratique des ombres chinoises, et la monochromie des silhouettes s’en rapproche, mais la démarche est tout autre, et s’il s’agit bien d’un travail sur les ombres, ancré sur le réel, il s’agit aussi d’une forme particulière d’appropriation car Jean Mas travaille essentiellement sur la « capture » des ombres.

Cette démarche a pris le jour dès 1990 par un travail de report photographique - l’artiste photographie les ombres des personnages - pour les peindre ensuite sur un support le plus souvent en bois, et donner une présence à ce qui constitue en fait l’« absence » de la personne. Le rabattement des plans horizontaux dans une position verticale permet de modifier la perception habituelle que nous avons de l’ombre, et sa présence se manifeste par l’épaisseur picturale et la prégnance évidente des silhouettes ; les anamorphoses ajoutent un écart supplémentaire à la forme humaine pour lui conférer un aspect fantomatique.
.

Morphologie

Il n’y a pratiquement ni horizontale, ni verticale dans le jeu des silhouettes qui se détachent sur le fond ; les multiples directions des obliques dynamisent l’espace, et les différentes épaisseurs obtenues par les aplats des ombres permettent des équivalences graphiques à la limite de l’abstraction. Les formes humaines se croisent et se superposent, en créant un certain nombre d’ambiguïtés dans la reconnaissance des parties du corps afin d’éviter une lecture univoque trop proche de la réalité.

Les vides aussi proposent des figures géométriques multiples et variées, jouant avec le déséquilibre des attitudes pour donner une importance essentielle au rapport forme/fond.

Chromatisme

La simplification des couleurs – ou des non couleurs - accroit l’impact des silhouettes pour établir un rapport unique de clair/obscur. Par le rabattement des plans horizontaux, l’espace est transformé en perturbant la perception immédiate de l’œuvre, car la déformation des corps qui sont présentés n’est pas immédiatement identifiable.

C’est par ce retournement de la position initiale que Jean Mas semble mettre en pratique la formule « Avoir une ombre au tableau », qui a été, en fait, à l’origine de toute cette démarche d’appropriation. L’ombre est verticale par le miracle du déplacement qui ne demande qu’à restituer l’identité de sa présence ; les silhouettes sont présentes et prégnantes, les passes du pilou ne demandent qu’à être déchiffrées ; et c’est le spectateur qui peut compter les points !

Jean Mas, Ombres, Mamac (2004)

Relire le début de la chronique sur l’art et le pilou en cliquant ici

Photo de Une : La pratique du Pilou par les deux meilleures équipes de la Liga 2013

Pour tout savoir sur le pilou

http://www.artcotedazur.fr/archives,302/en-ville,3/nice,49/e-vive-le-pilou-1-3,5685
http://www.artcotedazur.fr/archives,302/en-ville,3/nice,49/e-vive-le-pilou-2-3,5688
http://www.artcotedazur.fr/archives,302/en-ville,3/nice,49/e-vive-le-pilou-3-3,5689

Sites

Site Nissa pilo : http://www.andregiordan.com/nissa/p...?
Site du pilou (Julien Alquier) : http://sitedepilou.free.fr/?

Films

GM Production, Geneviève Morand. Sur une idée d’André Giordan. ?Réalisation : Pascal Montjovent E vive le Pilou ?http://www.andregiordan.com/nissa/p...éo Bruno BARTOLUCCI, La promenade du pilou,
http://www.dailymotion.com/video/xq...?
Championnat du monde de Pilou 2009 – Coaraze,
http://www.youtube.com/watch?v=gNfP...,
Championnat du monde de pilou à Coaraze 2010
http://www.youtube.com/watch?v=RNCf... 3,
NISSA PILO à l’émission MIDI EN FRANCE à NICE,
 ?http://www.youtube.com/watch?v=hvWv...?
Emmanuel Nicolaï, Quelques jongles avec un pilou entre Chris et Ju à Touët sur Var (Nissa Pilo) ?http://www.youtube.com/watch?v=EXq_...

Livre

André Giordan et José Maria, Et vive le pilou, Z’Editions, 1998, réédition Serre, 2003

Pour en savoir plus sur les artistes

Site de Jean Mas
http://www.jeanmas.com

Site de Ben
http://www.ben-vautier.com

Site d’Alain Amiel
http://www.alainamiel.com

Site d’Edmond Baudoin
http://www.edmondbaudoin.com

Site hommage à Jean Marc Eusebi
https://www.facebook.com/media/set/...

Artiste(s)