Suite de l’article sur Eléna Palumbo-Mosca dans « Le Dossier Klein, Le Grand Bleu »
… Ecouter Eléna Palumbo-Mosca raconter sa participation aux Anthropométries et autres Peintures de feu d’Yves Klein, c’est être sommé d’entrer dans la prudence concernant toutes les interprétations livrées autour de cette tranche mythique de l’Art Contemporain. Car Eléna se cantonne dans ce qu’elle a vu, dans ce qu’elle a vécu, en toute rigueur. Née à Turin, jeune femme elle partit à Londres apprendre l’anglais « et quand je suis revenue en Italie, je me suis rendue compte que je n’avais pas envie d’y rester, et que je voulais continuer à connaître le monde, apprendre le français comme baby-sitter, j’ai mis une annonce dans Nice-Matin, l’offre qui m’a paru la plus sympathique était celle d’Arman, qui habitait à la Californie, tout près de l’aéroport. Au moment de l’annonce, je ne savais pas qui était Arman, mais ensuite j’ai vu qui ils étaient, lui et Eliane Radigue, et j’ai compris que c’était là que je voulais être. Il y avait trois enfants, le petit Yves, Anne et Françoise. J’ai dû rester un an, et puis Rotraut est arrivée pour prendre ma place, pendant un temps nous sommes restées ensemble, il y a eu une passation de pouvoirs, et je suis partie à Paris vivre chez Yves rue Campagne première. On n’a pas fait d’Anthropométries tout de suite, je travaillais ailleurs pour gagner un petit peu ma vie, Yves donnait des cours de judo au Centre américain. Et puis il est allé à Gelsenkirchen pour la décoration du théâtre, avec Rotraut, ils m’ont laissée à Paris. Puis celui qui allait devenir mon mari, que j’avais connu à Villefranche, est venu me rejoindre, et nous sommes allés nous installer ailleurs que chez Yves et Rotraut. Mais quand ils avaient besoin de quelqu’un pour des Anthropométries, ils me téléphonaient. La première que j’ai faite, c’était rue Campagne première, j’étais très curieuse, j’ai trouvé ça bien, cela m’a paru beau. Ce qui m’a toujours plu, chez Arman et Yves, c’est que ce qu’ils faisaient était beau. Je n’étais pas là quand ils ont signé le Manifeste du Nouveau Réalisme, par contre il y a mon empreinte dans le Store-Poème (*) où j’ai signé mon prénom, Pierre (Restany) était très content que je m’appelle « Héléna » plutôt que Pénélope, parce que, dans la beauté, Héléna a un sens. Mon nom est Eléna sans h, mais Yves m’appelait Héléna avec h. »
Ceci n’est qu’un bref extrait de l’interview d’Eléna Palumbo-Mosca, mais il faut savoir qu’aujourd’hui elle travaille la question du corps qui l’a toujours passionnée dans une discipline japonaise appelée Waraku, dont le Maître, Sensei Hiramasa Maeda vient régulièrement en Europe depuis 2006. Eléna est fière d’avoir participé à la venue en Italie de cette pratique. Sans faire un lien direct entre sa propre rencontre avec le Japon et celle d’Yves Klein, Eléna regrette qu’Yves ne soit plus là pour discuter avec elle de l’implication très fouillée du Waraku dans le développement humain. (France Delville 29 mai 2012)
(*) En mars 1962, Yves Klein réalise le Store-poème avec Arman, Claude Pascal et Pierre Restany, œuvre qui réunit des Allures d’objets d’Arman, des Anthropométries de Klein, un poème en prose de Claude Pascal et un texte de Restany).
Dans « Le Dossier Klein, Le Grand Bleu », Jacques Renoir écrit …
… sous un titre qui fait allusion à la colère d’Yves Klein au Festival de Cannes de 1962 face à la séquence le concernant dans le film « Mondo Cane »… : Il ne décoléra pas de tout le film qui par ailleurs enchaînait des séquences trashs et gore. Il devait décéder 2 semaines plus tard.
Yves Klein, je le voyais épisodiquement au Haut-de Cagnes. Il était mon aîné de 14 ans, mais avait de bonnes relations avec les gamins du village dont je faisais partie. Il avait une attitude « grand frère » et nous l’admirions, nous gamins, parce qu’il était ceinture noire de judo. Il nous donnait des leçons bénévolement dans une salle du village, la maison commune, mais cela n’a pas duré. Je partis faire mes études à Paris à l’école Louis Lumière, école nationale de cinéma. C’est en tant qu’étudiant que j’ai eu mon accréditation pour le festival de Cannes de mai 1962. Yves qui avait deux places pour un film sélectionné auquel il avait participé, Mondo Cane, me proposa de l’accompagner. Il n’avait rien vu de la séquence qui le concernait et je me rappelle de sa fureur en découvrant la scène où on le voyait travailler avec des modèles badigeonnés de bleu se roulant sur de grands tissus ou papier blanc. Scène où il était tourné en ridicule et prétexte au voyeurisme. Il ne décoléra pas de tout le film qui par ailleurs enchaînait des séquences trashs et gore. Il devait décéder deux semaines plus tard. Cela me fait penser au destin tragique de Boris Vian qui mourut dans une salle de cinéma parisienne en pleine projection de « J’irai cracher sur vos tombes » adapté de son roman éponyme, adaptation qu’il désavouait, ce qui l’avait mis hors de lui... (Jacques Renoir, arrière-petit-fils d’Auguste Renoir. Cinéaste photographe. Collaborateur sur la Calypso de Cousteau. Ami d’enfance d’Yves Klein).
Edouard Adam, marchand de couleur et Frédéric Altmann (Extrait)
Frédéric Altmann - Te souviens-tu, Edouard, quand tu as rencontré Yves ?
Edouard Adam - Dans les années 54/55, Yves a commencé à fréquenter mon magasin de « Marchand de couleurs » pour y acheter des rouleaux à peindre « Roulor », en peau de mouton et d’une largeur de 17 cm. Ceci, parce que ce type d’achat m’avait particulièrement frappé par la consommation inhabituelle qu’Yves en faisait. Il ne passait pas trop de temps à les nettoyer ! L’interrogeant là-dessus, c’est ainsi que je suis entré dans son travail. Dans sa recherche « d’absolu », si je puis dire, Yves voulait que l’aspect originel de la couleur soit respecté le plus possible. Le médium que je lui ai fourni tendait vers cela. Mais rien n’est parfait. C’est avec un ingénieur de Rhône Poulenc qu’il a pu résoudre ce problème. Finalement, de ces expérimentations, j’ai retenu comme base du futur médium I.K.B, le Rhodopas M60A en solution alcoolique et non en dispersion aqueuse comme certains ont pu le rapporter ou l’imaginer..... Restait le pigment. Je parle du bleu. Pas des autres couleurs que j’ai aussi fournies à Yves. J’ai été aussi le fournisseur d’éponges qui ont servies au théâtre de Gelsenkirchen. (Edouard Adam, marchand de couleurs d’Yves Klein. Le livre « Marchand de couleurs à Montparnasse » est édité aux Editions du Chêne en 2011)
André Verdet « Un tableau d’eau et de feu »
En mai 1962, André Verdet envoie à Yves Klein ce poème. Celui-ci en est si content qu’il décide d’en graver l’empreinte dans un tableau d’eau et de feu.... L’œuvre figure en bonne place dans la donation André Verdet au Centre International d’Art Contemporain-Château de Carros, alors sous la direction de Frédéric Altmann.
Ô foudres planètes et fusées
Par le feu et par l’eau
Yves Klein le croisé
Envers et contre tout
D’un seul jet purifie
L’espace du tableau
Par le feu et par l’eau
Dans le grand flamboiement
Du vide sidéral
Yves Klein reconstruit
L’iris vierge de l’œil
Par le feu et par l’eau
Yves Klein le croisé
Passe au bleu de la flamme
Lessive originel
L’histoire du tableau
Ô foudres soleil et rosées
Michel Gaudet : Yves Klein et Cagnes.
Il y vécut avec ses parents de 1935 ou 1936 à 1942. Il y revint souvent pour y séjourner, après la guerre. Il adorait ce village enfant pour ses mystérieuses venelles ; adulte pour la liberté qu’il y rencontrait. Les jeux de gendarmes et voleurs, le théâtre de gnomes qu’il créa à peine sorti de l’enfance, les fêtes du pays et des artistes furent pour Yves les premiers dialogues avec la vie.
Des Anthropométries furent réalisées à Cagnes. Il les exposait sur les murs de la Place du château, et notamment, bizarrerie du hasard, sur la façade de la Maison qu’avaient achetée avant la guerre Conrad Slade et son épouse Gabrielle, le fameux modèle de Renoir.
Un matin Yves me demanda de l’aider à réaliser un tableau. La salle de bains d’Anita Granier, la propriétaire du Restaurant le Jimmy’s donnait sur la rue Paisobran. Du second étage on pouvait, avec une douche « téléphone » arroser une toile qu’il présenterait à bouts de bras. Je manipulais le tuyau et Yves orientait la toile ruisselante, préalablement enduite de bleu I.K.B. « Plus fort, disait-il, moins vite »’… Il semblait exécuter une danse. Un paysan qui passait nous fit des signes de commisération : Sont fonduti aquei !
La toile étant ainsi préparée, il la fixa sur le toit de sa 2 CV et accomplit un parcours d’une cinquantaine de kilomètres. L’eau, le soleil, le vent, la vitesse furent les éléments de cette splendide trouvaille. II dort avec sa mère Marie Raymond au joli cimetière de la Colle sur Loup. (Entretien avec Frédéric Altmann)
A noter : Le 26 mars 2013, 19h30, dans l’auditorium du MAMAC, Place Yves Klein, Nice, Claude MACHURAT, Psychanalyste, fera une conférence intitulée : « Un. Bleu. Infinie. Immatériel. Espace Yves KLEIN ». Une traversée « lacanienne » de l’œuvre d’Yves Klein, eu égard au même goût pour le « vide » de Lacan, un « vide » logique eu égard à l’arbitraire du signifiant…