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CHAPITRE 59 (Part I) : Magie des années 60

Dossier Klein, le Grand Bleu

Couverture d’Art Côte d’Azur du 21 juin 2012 - Sculpture éponge sans titre, 1959
Collection particulière. En dépôt au Mamac, Nice © DR

Le 21 juin 2012, la revue Art Côte d’Azur, « supplément culturel des petites Affiches des Alpes-Maritimes », affichait « Dossier Klein, Le grand bleu ». Un dossier original, sortant un peu de l’autoroute qu’est l’histoire d’Yves Klein maintenant fixée par la postérité dans les plus grands musées, les plus grandes médiathèques… Yves Klein est devenu un mythe, mais incontournablement il reste l’enfant avec qui, au Haut-de-Cagnes, Michel Gaudet joua, en compagnie de Jacques Renoir, l’arrière-petit-fils d’Auguste Renoir (Yves et moi prenions le car chaque jour pour nous rendre à l’Ecole Masséna à Cimiez et les jours de congés nous nous amusions avec tous les gamins, fils d’artistes ou de paysans qui composaient une grande famille)… il reste le jeune homme déjà célèbre avec qui Jean-Pierre Mirouze, cinéaste et musicien travailla, construisit des projets (dans le numéro unique du journal « Dimanche » du 27 novembre 1960, Yves Klein lui-même mentionne que le « Projet de ballet sur aspect de fugue et choral » a été écrit par Yves Klein en collaboration avec Jean-Pierre Mirouze en 1959)… et il reste l’homme qui a désiré utiliser des corps de femme comme « pinceaux vivants », dont celui d’Eléna Palumbo-Mosca, qui vit aujourd’hui en Italie, et que nous sommes allés interviewer. Et il reste celui à qui Edouard Adam, marchand de couleurs à Montparnasse au milieu des années 50, a vendu du matériel de peinture, dont la base de son futur IKB.
Jean-Pierre Mirouze, Jacques Renoir, Edouard Adam, Michel Gaudet, témoignent, et aussi Eléna Palumbo-Mosca verbalement, et André Verdet par des textes. Mais d’abord Frédéric Altmann, toujours passionné d’Ecole de Nice, et qui prend les choses, à juste titre, sous l’angle des « pionniers ».

Jean-Pierre Mirouze par Hans Hartung

C’est ainsi que le titre de son article est :

Les pionniers de l’art contemporain sur la Côte d’Azur.... en hommage à Yves Klein (1928-1962) 2012 : 50 ans après

Yves Klein était un prophète. Il a écrit en 1960 : « Je pense que l’Ecole de Nice est à l’origine de tout ce qui se passe depuis 10 ans en Europe ». (Catalogue de l’exposition Yves Klein au Centre Pompidou en 1982). Yves Klein, restera dans ma trajectoire artistique comme un phare... J’ai découvert pour la première fois ses œuvres lors du vernissage du Festival du Nouveau Réalisme organisé par Pierre Restany le 13 juillet 1961 à la galerie Muratore, boulevard Victor Hugo à Nice. Des rencontres inoubliables lors de cette exposition : Arman, André Verdet, Martial Raysse, Pierre Restany, Raymond Hains, César, Jacques Villeglé, Spoerri, Tinguely, Niki de Saint-Phalle, Rotella… Yves Klein était absent... C’était mon premier vernissage, j’en conserve un souvenir indélébile, car voir la tronche du public en découvrant un Klein, un Arman, un Raysse et consort…Cette petite bourgeoisie en était encore aux cadres en bois dorés et autres académismes... Pas un commentaire dans la presse locale, un désert d’indifférence...

Œuvres d’Yves Klein dans l’exposition Rétif
© France Delville

En novembre 1961 dans le numéro 113 bis de « Sud Communications », Sacha Sosnovsky (Sosno) interroge Martial Raysse sur la situation artistique de la Côte d’Azur.

Sosno - Si l’on excepte le groupe restreint de l’Ecole de Nice, existe-t-il, sur la Côte d’Azur un milieu pictural ?
Martial Raysse - Mis à part trois ou quatre peintres d’avant-garde dont l’activité est directement tournée vers l’extérieur, Nice est une ville qui dérive à cent ans au large de l’actualité. Evidemment, on y discerne l’inévitable cloaque de peintres d’anges, qui malheureusement trouve encore le moyen de démarquer les plus mauvais figuratifs parisiens....vous savez toutes ces lignes qui se rejoignent... le puzzle... à l’époque de la physique nucléaire, il faut bien se rattraper à quelque chose... j’ai d’ailleurs pour ces cosmonautes beaucoup d’attendrissement, car avec un bel optimisme ils rejettent toutes les perspectives de l’actualité internationale et retournent délibérément au folklore, ce qui est très attachant car je voudrais que Nice demeure une de ces villes privilégiées où la « Peinture de papa » mijotée et appréciée, se fixera en tradition comme les pipes du Jura ou la dentelle du Puy.

Sosno - Mais quand même, il existe une critique d’art ?
Martial Raysse - Oui, oui... il y a deux ou trois humoristes qui ont raté Corot, mais, croyez-moi, ne laisseront jamais échapper Renoir.

Et Frédéric Altmann continue :
Cette exposition fut la rampe de lancement de l’Ecole de Nice... grâce aussi à l’action du critique d’art Jacques Lepage... Les niçois du Nouveau Réalisme : Arman, Martial Raysse, Yves Klein, n’ont pas fait carrière à Nice, ils se sont envolés vers le nouveau monde, avec succès, chez Léo Castelli à New York et chez Virginia Dwan à Los Angeles… « Nul n’est prophète en pays ».... Le petit cimetière de la Colle-sur-Loup abrite pour l’éternité Yves auprès de sa mère, l’excellent peintre Marie Raymond.
Le rôle de Ben fut d’une grande importance à cette époque avec sa boutique « Laboratoire 32 » au 32, rue Tonduti de l’Escarène à Nice, à quelques pas de l’Ecole des Arts Décoratifs. Mais il faudra attendre 1967 pour voir enfin des expositions sur l’Ecole de Nice, à la galerie Alexandre de la Salle, place Godeau à Vence, et à la galerie des Ponchettes (« Trois de L’Ecole de Nice » : Arman, Martial Raysse et Yves Klein).... et il faudra attendre 2000 pour voir enfin une exposition personnelle d’Yves Klein au MAMAC. N’oublions pas Jacques Matarasso qui fut aussi un pionnier en accueillant Arman dans les années 50, et en encourageant très tôt Yves Klein, sous la forme d’un achat pour sa collection.
(Frédéric Altmann)

Jean-Pierre Mirouze dans l’atelier de Nivèse en 1989
© Frédéric Altmann

En novembre 1961, rédigeant l’article dont il est question plus haut dans « Sud Communications », Sosno démontre qu’il est déjà bien conscient de ce qui se trame d’important à Nice, et l’année précédente, en août 1960, la journaliste Claude Rivière, dans son article intitulé « La charge solaire de l’artiste » (journal « Combat »), pour répondre à la question « Y a-t-il une École de Nice ? », a cité comme en faisant partie, de cette Ecole, Yves Klein, Armand Fernandez (Arman), Martial Raysse, René Laubiès, Jean-Pierre Mirouze et Sacha Sosnovsky (Sosno).
Jean-Pierre Mirouze était un musicien cinéaste, et j’en avais entendu parler par Sosno lorsque je l’avais interrogé pour la confection de « Sosno, traversée en forme de fugue » (livre édité par Melis Editions en 2002), Sosno racontant : « Nous étions obnubilés par le cinéma, ça a été l’une de mes grandes tentations. En 1961 j’ai donc réalisé un film sur l’Ecole de Nice, production Sud-Communications, en 16mm... J’ai des amis qui sont restés dans le cinéma, Jean-Pierre Mirouze, Déroy, le meilleur ingénieur du son français, auteur de courts-métrages… »

Qui était donc Jean-Pierre Mirouze ?

Il synthétise ainsi son expérience : « Né à Nice, j’y ai fait mes études et obtenu tout jeune homme un premier prix de musique au conservatoire de Nice puis de Paris. Mon père, le chef d’orchestre et compositeur Marcel Mirouze, dirigeait, à Nice, l’orchestre de l’Opéra, le philharmonique à la radio, et les Ballets de Monte Carlo. Pour échapper, comme mes amis peintres, à mes maîtres, à l’emprise écrasante et admirable de Stravinsky et Ravel que défendait quotidiennement mon père, je suis rentré dans le groupe de recherche musicale de Pierre Schaeffer, ami d’Arman, fondateur de la musique concrète, explorateur de toutes les sources sonores à la disposition des hommes. Arman que je voyais quotidiennement à Nice venait de déclarer : « le sujet de mon travail c’est l’objet créé par l’homme ». En frappant sur des casseroles, en fait sur tout objet sonore, et en recueillant et manipulant les sons inouïs en résultant, je me retrouvais l’adhérent naturel et passionné du Nouveau Réalisme, le premier mouvement du réveil niçois. J’ai partagé en tant que musicien et cinéaste les expositions et les performances du groupe fondateur ».
En novembre 2008, en vue d’un livre sur l’Ecole de Nice par FA, il décrit longuement le « commencement de cette histoire », et où il dit entre autres : « C’est à ce moment, en 1954, que je les rencontre tous les trois (Yves Klein, Arman, Claude Pascal), emmené par le père Stève, dominicain du couvent du Cours Saleya, un des seuls spécialistes de l’écriture cunéiforme perse, vieille de 7000 ans. (…) Le père Stève, fasciné par ce triumvirat - le ciel, l’homme en action et la voix de la révélation - venait régulièrement confronter sa foi à ces provocateurs. (…) A cette époque j’étais musicien, jeune premier prix du conservatoire de Nice, et je m’exerçais, en tapant sur des casseroles, à faire de la musique avec Pierre Schaeffer. Le maître de la musique « Concrète », ami d’Arman, venait régulièrement à Nice comparer les effets des percussions sonores sur les tôles de son laboratoire de recherche musicale avec les toiles d’Arman, fouettées violemment avec des chaînes trempées dans l’encre, le sang de l’écriture. Mon père, Marcel Mirouze, chef d’orchestre et compositeur, dirigeait entre autres l’orchestre de Radio France, l’Opéra de Nice et les Ballets de Monte Carlo. Il écrivait aussi des cantates pour la chorale de la rue Pauliani, Frédéric, dont tu étais, enfant, une des voix d’or… (1)

(1) La manécanterie des Petits Chanteurs de la Côte d’Azur. Direction : Abbé Maurice Lefèvre. Maître de Chapelle : René Calonicco.

Jean-Pierre Mirouze et Alexandre de la Salle (« Dissolution » de l’Ecole de Nice au Musée Rétif, décembre 2010)

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