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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 14 : Frédéric Altmann - Par André Giordan & Alain Biancheri - Chronique bimensuelle

Résumé des chroniques précédentes

Cette chronique continue à « explorer » les personnalités qui ont contribué à faire « voir » l’Ecole de Nice. Sans eux, l’Ecole n’aurait pas le renom qui la caractérise désormais. Avec les journalistes et les galeristes, quelle fut la place des critiques d’art ? Et lesquels ?
Après Pierre Restany, anti-Ecole de Nice mais toujours présent et Jacques Lepage, pro-Ecole de Nice, on ne pouvait pas ne pas parler de la « place » de Frédéric Altmann, photographe témoin… mais pas seulement !

Frédéric Altmann est sans conteste un des critiques connus et reconnus de l’Ecole de Nice. Il fut même le critique d’Art le plus assidu de ses mouvances. Il s’attacha à faire connaître cette Ecole et ses différents artistes, y compris à un large public, par de multiples articles dans le quotidien Nice-Matin. Mais pas seulement…, il multiplia les conférences, les publications de par le monde entier. Il fut commissaire d’expositions sur l’Ecole au Japon et en Corée du Sud.

Frédéric Altmann, Interviews intimes, France 3 Méditerranée, 2007

« L’exploration des origines (et des techniques archaïques) ont conduit Marcel Alocco à s’intéresser à l’invention du tissage (selon une hypothèse de Freud) à partir des cheveux des femmes. Depuis février 1995, il interroge la peinture avec le support-couleur cheveu, développant de fines miniatures de tissages élémentaires. »
 Frédéric Altmann, Alocco, Travaux récents avec cheveux,
Nice-Matin (extrait), 22 mars 1998

Sa passion pour ce mouvement commença très tôt. Pour preuve, cette « Exposition de documents autour de l’Ecole de Nice » qu’il organisa chez les Vaguants, une troupe de théâtre de l’avant-garde d’alors, en… décembre 1967. De mêmes, les deux tomes de « Chroniques niçoises », qui retracent la naissance de l’art contemporain à Nice et la mise en place du MAMAC doivent énormément à ses archives.
Frédéric Altmann participa largement à la conception de ce Musée d’Art contemporain, développant souvent des idées iconoclastes, avant de diriger jusqu’en 2005 le CIAC, le Centre International d’Art Contemporain de Carros. Un centre où il s’est toujours efforcé de défendre la jeune création. Il y organisa, entre autres, des expositions avec André Verdet, Marcel Alocco (2002), Bruno Mendonça (2002),… ainsi qu’une méta-exposition sur Alexandre de la Salle (2000).

« Il y a une Ecole de Nice qui est formidable. Qui est un fer de lance… (..) J’ai monté des expositions au Japon, en Corée du Sud. Mais dans la région, c’est l’arlésienne. Ou alors on attend que les gens soient morts pour les déifier !.. »
 Frédéric Altmann, interview La fureur de vivre, musée de la Malmaison, Cannes, 2007

Mais difficile de limiter le rôle pro-Ecole de Nice de Frédéric Altmann, uniquement à ce seul aspect de critique d’historien et de journaliste. Sa place « dans/pour » cette institution « sans mur » est multiple, plus complexe et tout autre. On pourrait tout aussi bien le « classer » dans les « artistes de l’Ecole de Nice »… Il y tient totalement sa place, tant ses apports et ses rencontres sont une œuvre en soi... Et cela pour au moins trois raisons principales.
Dès les premiers pas de l’Ecole de Nice, Frédéric Altmann crie « présent » ; il n’est pas seulement témoin et divulgateur. Il rencontre Ben en 1958 dans sa boutique de disques de la rue Tonduti de l’Escarène, alors qu’il suit des cours à l’Ecole des Arts décoratifs, tout à côté. Et, bien sûr, il ne fait pas que de la présence. On le rencontre comme « acteur » à l’époque des premiers concerts Fluxus ou sur la scène du Théâtre total avec Ben, Serge III, Jean Mas et Eribo.
Ensuite, on lui doit une multitude de clichés en noir et blanc qui témoignent inlassablement, durant plus de 30 ans de carrière, de ses rencontres avec pratiquement tous les artistes niçois. A travers cette collection unique de portraits et de moments de vie, il nous offre un témoignage incontournable et inspiré de leur quête. Comme le précise Ben, pour « comprendre la chronologie de la création à Nice, il va falloir passer par l’œil d’Altmann ».

César, à Mougins (1989), Photo Frédéric Altmann
Arman et Nivèse, Photo Frédéric Altmann
Inauguration de l’Arc de Venet 155,5°, Jardin Albert 1er, Nice (1988), Photo Frédéric Altmann
Exposition Frédéric Altmann (2006), Roquefort les pins.

Certains de ces superbes clichés furent vendus parallèlement aux œuvres lors de la première vente aux enchères de l’Ecole en 2009. Un début de reconnaissance pour cette Ecole à laquelle il s’est tant donné…

Frédéric Altmann, Photographies d’une vie, Edition l’Ormaie, 2000

Enfin ses expositions d’abord à Flayosc dans le Var, dans un restaurant-galerie dont la « charmante propriétaire patronnait des expositions d’art naïf » aux dires de Serge III, sa surprenante Galerie l’Art Marginal, sa rencontre avec Nivèse en 1977, ses coups de gueules permanents sur l’art et surtout sur le « monde de l’art », constituent un Art d’attitude qui a toute sa place dans… l’Ecole de Nice !

« Je suis un furieux. Je déplore que beaucoup d’artistes crèvent de faim, je déplore la mysogynie du monde de l’art. Je déplore certaines institutions culturelles comme les Frac qui n’achètent pas aux artistes, qui achètent mal. (..) Je déplore qu’on n’achète pas la jeune peinture, et les jeunes créateurs. On achète uniquement des signatures. »
 Frédéric Altmann, interview La fureur de vivre, musée de la Malmaison à Cannes

La fureur de vivre, photographies de Frédéric Altmann, catalogue de l’exposition de 2007 au Centre d’Art la Malmaison à Cannes

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Interprétation d’une oeuvre

Vivien Isnard 1946-

Démarche Evolution

Né à Forges-les-eaux en 1946, Vivien Isnard a fait ses études aux Arts Décoratifs de Nice, avant d’aller aux Beaux-arts d’Aix en Provence. Ses premières recherches sur le support le font adhérer au Groupe 70, avec Miguel, Chacallis, Maccaferri et Charvolen, mais par la suite il se rapproche davantage des recherches de Supports/Surfaces. Ses expositions à Nice révèlent une démarche axée essentiellement sur le cadre et les limites, avec des supports qu’il découpe, inverse ou retourne en laissant apparentes les transformations formelles.
Son évolution le conduit vers une abstraction beaucoup plus picturale, avec des signes à peine perceptibles ; après des expositions à Paris et en Europe, au MAMAC en 1998, il présente des peintures très colorées, dans une harmonie ou les ocres et les bleus très sourds évoquent les murs lépreux et les aspérités de la matière.

Vivien Isnard, Sans titre, circa 1972-1974 Acrylique sur toile H. 207 cm L. 164 cm.

Description Interprétation

Cette toile présente des bandes bleues et beige obliques, répétées sur toute la surface, avec un décalage situé dans un rectangle central et une grille superposée à l’ensemble. Des coutures fragmentent les différents éléments, ce qui produit un effet de patchwork, avec l’assemblage de pièces cousues entre elles. En fait la partie médiane est constituée par l’envers de la toile, découpé et inversé ; ainsi les bandes ne suivent pas le même alignement et semblent se décaler ; ce jeu alterné de couleurs sombres et claires évoque les peintures abstraites et la grille centrale pourrait suggérer une distanciation (ou un grossissement) de l’image, perçue à travers une fenêtre ou une loupe.
Mais en fait ce sont les coutures et l’absence de châssis qui singularisent cette œuvre. La matérialité du support est montrée car la teinture, par imprégnation se diffuse à travers toute la surface. La couture des différents fragments montre la capacité combinatoire d’une toile qui peut se prêter à des manipulations de type artisanal.

Chromatisme et Morphologie

Les références à l’Art Minimal ou aux grands aplats de la peinture américaine Hard Edge semblent évidents, mais ici le discours n’est pas le même : la couleur a pour fonction de révéler le tissu, tout en étant créatrice de rythmes ; l’alternance des aplats bleutés et beige/rosés, entourés de liserés plus pâles crée un effet de clair-obscur qui illumine la toile. L’éclat des bandes monochromes est rehaussé par les brillances qui provoquent des effets de moirage et de reflets accusés par les plis du tissu. L’apparente monotonie des couleurs propose en fait une très grande variété de nuances, due à la mobilité du support non tendu, et les décalages des différentes surfaces de tissus évoquent des effets proche de l’art cinétique : la répétition sérielle et saccadée des bandes obliques crée un effet de décomposition de l’image. Les ruptures de formes au niveau du rectangle central évoquent les décalages de plans cubistes, tandis que les plis et les coutures orthogonales reprennent par écho les horizontales et verticales formées par la grille centrale.
Cette apparente rigueur, en fait se retrouve adoucie par les irrégularités des cernes et des contours de la toile : c’est l’imprégnation de la couleur dans le tissu qui amène cette vie, et rend les formes plus diluées et mouvantes, en harmonisant l’œuvre pour lui donner davantage de prégnance.

Matérialité

En nous donnant à voir des morceaux de toiles, la matière est omniprésente, magnifiée par les couleurs, la laque et surtout les coutures apparentes. Ce travail, qui se veut comme une véritable démonstration, met en évidence toutes les opérations effectuées et le cheminement qui a conduit à la fabrication de l’œuvre. La toile, livrée à elle-même, se meut en toute liberté ; la partie médiane, présentant le recto de la toile, s’intègre au reste de l’œuvre et crée une planéité qui ne s’interrompt que par les ruptures de formes ; la toile acquiert l’aspect d’un tableau, riche de couleurs et de matières, renouant la tradition picturale de l’abstraction la plus élaborée et annonce les problématiques plastiques de Vivien Isnard après son aventure à l’intérieur du Groupe 70 et de Supports/Surfaces.

Pour en savoir plus

Alain Biancheri et André Giordan (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.
Si votre libraire ne fait pas l’effort de présenter ce livre vous pouvez le commander avec réduction chez l’éditeur Ovadia
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