Chapitre 77 - André Verdet et César Carré à la Fondation Maeght (PartI)
Le samedi 14 juin 2014 à 10h, en marge du Festival du Livre de Nice, dans l’auditorium de la Bibliothèque Nucéra l’Association « Les Amis d’André Verdet » et les Editions Melis ont organisé une rencontre très appréciée, intitulée « André Verdet – de l’ère moderne à l’Ecole de Nice », autour de la projection d’un film de César et Jany carré (Production Channel 7, 1983), intitulé « Promenade d’André Verdet... de Saint-Paul à la Fondation Maeght » : André Verdet interrogeant Jean-Louis Prat et Adrien Maeght sur la création de la Fondation, son fonctionnement, puis analysant la peinture de Fernand Léger face à des œuvres de celui-ci, ce fut un régal.
César Carré put commenter les circonstances dans lesquelles s’était réalisé ce film, à la suite d’un autre intitulé « Sur les chemins de Saint-Paul » toujours avec André Verdet...
Sous la houlette de Luciano Melis, Jean Mas évoqua sa rencontre avec André Verdet à l’occasion de la « confection » de l’ « Ombre », de celui-ci sur les remparts de Saint-Paul, qui fut glissée au milieu d’autres ombres artistes dans le livre sur les Ombres d’Artistes aux éditions Giletta, avec ce texte :
« Son ombre remonte contre la muraille d’un rempart de St Paul. Il fait un geste de la main à un ami lointain. Puis une seconde fois il recommence. Là, tout prend une autre dimension : pour moi le geste devient cri, exhortation : « NON ! HALTE ! ASSEZ ! » Puis tout redevient calme. Le danger semble écarté. Dans le ciel, une force paisible étire les astres pour préparer la nuit des peintres poètes ».
Jean Mas mima, revécut la rencontre, et, à sa manière virtuose et fleurie, nous démontra que la poésie d’André Verdet et la sienne (plutôt lettriste), brillaient par leur différence, ce qui n’avait pas empêché entre les deux poètes-plasticiens une sorte « d’intersection ».
Alors ce serait quoi la différence de « poésie ». Une place différente pour le « Sujet » ?
Sans doute…Et que s’exprime bien ce texte de Jean Mas :
OMBRES DE MAS PAR LUI MÊME
C’est moi, c’est eux, peu importe. Il est là qui attend, traque, prend, fige. Il fait partie du paysage artistique, il est de tous les vernissages, tellement présent qu’on peut ne pas le voir. Mais lui voit tout. J’ai voulu son ombre, la mesurer à la mienne. Une façon de répondre aux flashs qui d’ordinaire dérobent les ombres en m’aveuglant.
Le photographe introduit toujours une coupure. Étrangement elle figure dans ma pièce par un manque. C’est mon hommage au photographe.
Cette absence trahit l’émoi du couple photographe/sujet. Elle évoque cette situation qui fait de lui mieux que tout autre artiste l’esclave de sa liberté.
Et encore :
ART DE L’OMBRE ET BÂTIMENT
Élever une entreprise dans une image artistique c’est en l’occurrence bâtir avec du culturel, ciment porteur de toute une réalité architecturale. Mêler le corps de la cité si intimement au tissu créatif c’est poursuivre la dynamique artistique en l’associant à une réalité vitale de notre économie, le bâtiment.
Retourner la terre, couler des fondations, regarder au travers de la palissade qui filtre le chantier : nous sommes sur une surface porteuse de l’ombre des hommes et des choses. Si une archéologie de l’ombre était possible, combien de gestes, de mouvements nous révélerait elle dans la production de cette activité humaine.
Fort de son ombre, le bâtiment avance, assuré par son histoire de la pérennité de son œuvre. Il laisse à la terre la trace de sa présence. Il conduit l’homme, dans le regard de la pyramide, de l’équerre et du compas à se fondre dans une activité qui s’inscrit pleinement dans la mouvance de l’immensité cosmique. (Jean Mas)
Question de la structure et donc question du langage sous toutes ses formes ?
Ben il dit bien que Jean a trouvé une manière unique de le faire :
Je me souviens de Mas, depuis le magasin de la rue Tondutti de l’Escarène. La plupart du temps les artistes viennent d’un milieu petit bourgeois culturel ; Mas c’était le prolétaire qui voulait faire de l’art contemporain. Et il a réussi.
Qu’on le veuille ou non Jean Mas fait non seulement du nouveau mais il fait rire, un rire surréaliste. Un jour il m’a emprunté une balance pour peser sa merde et connaître ainsi le poids de son déchet journalier.
Parfois je me dis : c’est un poète, parfois je me dis Mas est l’ombre qui tire plus vite que Lucky Luke, parfois je me dis : c’est un artiste d’art contemporain super stratégique qui fait semblant d’être naïf.
Mas a compris très vite le mécanisme de l’art contemporain. C’est à dire qu’il fallait trouver quelque chose de personnel il a cherché et a trouvé la cage à mouches puis les ombres.
Mas ne s’est pas perdu dans les recherches formelles de l’abstraction ou du conceptuel, il est allé tout droit à l’art d’attitude où la relation de l’artiste à la vie est plus importante que le produit. Il y a ainsi un Mas pansémiotique, un Mas Fluxus, un Mas Art Total, un Mas de la cage à mouches, un Mas de l’esprit d’escalier, un Mas romancier et même un Mas joueur d’échecs. (Ben Vautier)
Et même une manière lettriste sans que ça se voie !
Avec Jean Mas, une volonté, un souci constant apparaît d’occulter l’objet que l’on semble vouloir proposer et auquel on substitue une trace qui en témoigne en le dissimulant dans une signification apocryphe.
La mouche (invisible dans les productions de cages à mouches de l’artiste) s’efface devant la cage qui fonctionne alors comme un leurre, la bulle (de savon porteuse d’encre) dont l’empreinte restera, résidu, sur une page blanche, les « peu » qui se fondent dans les jeux de mots... et aujourd’hui les ombres d’Arman, de Ben...
Ainsi, les travaux de Jean Mas, s’ils sont ceux d’un artiste, d’un performateur, d’un écrivain parfois, sont intrinsèquement unis dans un projet virtuel inhérent à sa personnalité.
Les faces qu’il nous en propose, dont nous venons d’énumérer les quelques "têtes de chapitres" sont multiformes et peuvent surprendre ceux qui s’en tiendraient aux apparences épidermiques. Sous tendant cette extériorité, une pensée déterminée configure et homogénise les activités de l’artiste.
A travers ou plus exactement traversant la diversité du parcours de Mas, les divergences des écritures, l’absence, affinité fondamentale conjoint les éléments de l’œuvre.
On peut attribuer à Mas, à ses travaux, un propos de Jean Jacques Lebel parlant de John Cage « Œuvre ouverte, jamais achevée, irréductible à un message monosémique, toujours en devenir et en fluctuation ». Cette insécurité est le propre de Jean Mas et de ceux qui comme lui sont porteurs d’une nouvelle conscience de l’art, de l’art contemporain ne le réduisant pas à redire le déjà dit, à montrer le déjà vu. Comme il conte l’histoire en la déconstruisant il œuvre en art dans le refus de la séduction et des facilités du déjà connu. Ses travaux récents sur et à propos des ombres, sur l’ombre et les ombres le marginalisent en lui accordant l’accès d’un territoire où il défriche un sol vierge.
En effet les travaux de Mas énoncent d’autres relations interprétatives que celles manifestées au répertoire d’ombre ; cette nouvelle approche plastique l’occupe de façon majeure dans son déchiffrement.
Le fait que Mas est un artiste sensible à la plasticité des matériaux avec lesquels il œuvre lui interdit de limiter son approche de l’ombre au symbolisme et l’ombre chère à Camisso (Aldelbert von Chamisso de Boncourt) que son héros de roman « Pierre Schlemihl » bradait ne peut circonscrire sa recherche. S’il évoque lui-même la caverne platonicienne c’est pour mieux s’échapper du lieu commun philosophique et pour situer l’ombre tel qu’il la maîtrise, dans une situation verticale, celle de l’œuvre humaine, du tableau, de l’objet de contemplation.
On remarque que l’ombre chez cet artiste n’a rien d’un reportage photographique. L’anecdote est évacuée, c’est une masse non modulée à laquelle on se heurte, relevant du discours plastique, sujet de cette discipline.
Plastique certes, mais hors tout académisme. Œuvre autonome, détenant son langage propre, le créant en le découvrant dans sa matérialité même. Refusant virtuellement au discours de lui appliquer son insanité. L’originalité de cette approche, prouve par ses transcriptions, la maîtrise conceptuelle de la démarche de l’artiste. Jean Mas confère à son Art, ici celui de l’ombre, l’assurance qui fonde une œuvre dans son entendement avec une contemporanéité garante de l’importance de l’artiste, de sa valeur. Saisissons nous de notre regard pour faire au fil de la découverte un repaire (repère) pour les ombres à venir. (Jacques Lepage)
(A suivre){{}}