" J’avoue m’intéresser à la manipulation du réel et à ses images “ imaginées “. En définitive, c’est toujours le regard que pose un artiste sur son époque qui est essentiel. La manipulation informatique est devenue une nouvelle façon de voir la réalité qui permet de rendre l’illusoire réel et même le réel illusoire. La mémoire de l’ordinateur, les nouvelles technologies de reproduction et la contamination des disciplines artistiques donnent une liberté de création jusque-là inimaginable. Mais le plus intéressant, c’est que la substance même de la réalité s’en trouve changée. Le “vu “ est moins sûr que jamais ; les nouveaux matériaux de la création questionnent d’une manière inattendue la question du “déjà-vu”.
L’orientation de mon travail artistique tient certainement à l’interconnexion de mon itinéraire personnel (judaïsme, déracinement), de ma formation artistique classique (beaux-arts), de la culture médiatique qui nous submerge (chaines infos et réseaux sociaux) et de mon parcours professionnel (création publicitaire).
S’agissant de la thématique de “Quid novi ?” (Quoi de neuf ?), on pourrait dire qu’elle est l’interrogation de la situation d’opprimé tout au long de l’histoire de sa représentation.
Le christianisme prêche un Dieu qui a voulu éprouver dans sa chair notre souffrance. Un Dieu fait homme pour connaître le tourment, l’abandon, la solitude. Mes images issues de l’actualité,
en surimpression sur celle de son corps supplicié, ne font que matérialiser, rendre plus visible, plus concret le martyr quotidien de l’humanité. L’image christique, intemporelle et universelle, submergée par le réel, n’en est que plus frappante, donnant ainsi à l’imagerie contemporaine un caractère sacré et lui permettant de s’élever au niveau de l’universel.
Bien sûr, l‘iconographie religieuse a déjà été détournée depuis le début du vingtième siècle pour condamner la violence, le racisme, la ségrégation sexuelle… mais ce qui m’intéresse c’est la rencontre de temps distincts et de techniques qui interrogent le réel. En questionnant l’avers et le revers des médailles : sacré/profane, passé/présent, expression/répression, affect/
intellect, je tente d’apporter une vision autre sur les doutes et les peurs de notre monde."
Yves Hayat
Edito de Jérome Viaud Maire de Grasse
L’art contemporain s’invite à Grasse. Pouvait-il y avoir meilleur écrin que la cathédrale ND du Puy pour accueillir la nouvelle exposition d’Yves HAYAT ?
Après « Le Parfum, cet obscur objet du désir », très remarqué au Musée International de la Parfumerie à l’automne 2017, l’artiste nous fait le plaisir de revenir et d’investir l’un des lieux les plus emblématiques de la ville historique. En scénarisant la crypte de la cathédrale avec « Quid Novi ? », il bouscule les codes, interpelle les visiteurs et pose un regard engagé sur la misère du monde.
Traversés par des questions existentielles, nous voilà confrontés aux larmes, au sang versé, au chaos toujours possible affichés avec un soin esthétique qui dérange et fascine. Happés par les idées noires autant que submergés par la beauté des formes, nous sommes reconnaissants à Yves HAYAT de si bien révéler toute la complexité de notre humaine condition.
Jerôme Viaud Maire de Grasse
Président de la Communauté d’agglomération du Pays de Grasse
Vice-Président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes
Yves Hayat par François Birembaux
(...) Malheureusement l’art contemporain semble souvent une imposture, la politique un jeu de corruption et la religion un prétexte de désamour et même de haine. La quête d’une élévation possible paraît aujourd’hui vouée à l’échec quand on voit à quel point on a perverti la culture. Or, « Quid novi ? » propose une manière de mettre en avant l’interrogation de l’artiste face à l’hybris de l’humanité. Les oeuvres exposées, faites de superpositions ou de juxtapositions sont à l’image de cette contradiction entre la beauté et la laideur, la dure réalité et la magie de l’illusion, la puissance du superfétatoire et le désir (comme l’énergie du « vouloir »), les élans vers le divin et les chutes dans l’immonde dont est composé notre quotidien.
Ce sont des images, des représentations, des figures qui empruntent certains symboles christiques et les triturent pour les faire coller à la réalité en les transformant en une perception de notre monde actuel. Dépassant le simple jeu de l’opposition, Yves Hayat en vient à jouer avec la confusion intrigante qu’il crée dans notre esprit.
Yves Hayat par Francis Parent
(...) L’oeuvre de Hayat est complexe et sans concessions. Certes son aspect esthétique n’est pas négligeable, et ses compositions d’images, ses agencements de couleurs (d’origine ou manipulées numériquement ), ses (re)cadrages, etc., manifestent une maîtrise parfaite du vocabulaire plastique par leur auteur. Mais par delà « l’artisticité » et la qualité de ces images, ce qui est le plus important, c’est plutôt ceci : n’utilisant pas les moyens plastiques d’autrefois mais les technologies disponibles d’aujourd’hui, cette oeuvre aurait pu emprunter les chemins de « l’in-sensé » ( le sens écrasé par la techné ) ouverts dès 1985 par « Les immatériaux » de J.F. Lyotard, et élargis par les « Arts technologiques » de F. Popper ensuite ; au contraire, elle s’enracine dans l’Histoire afin d’en faire mieux jaillir – via le regard de l’artiste sur le présent - le sens de notre Futur.
Car, on l’aura compris, bien qu’éloignée de la « picturalité » classique, son oeuvre singulière et implacable restera comme une « peinture » absolument irremplaçable de notre Temps et de nos Sociétés…
Thierry Martin à Yves Hayat
“Lorsqu’on regarde ton travail depuis longtemps, on ne peut croire que ce Christ soit seulement une figure, comme on le dirait d’un symbole universel, c’est-à-dire d’une icône, dans ta trajectoire artistique et d’homme ; qu’il soit étranger à ta métaphysique. Il revient trop souvent et trop profondément dans ta représentation du parcours humain pour n’être qu’un paradigme somme toute neutre, une quintessence a-idéologique. Qui est-il chez toi ?
Ce qui me frappe aussi c’est que tes Christ n’expriment l’amour qu’en creux. On peut penser que tu montres Jésus souffrant pour signifier l’amour qu’il a donné au monde, payant sa quote part de blessures, voire « rachetant » le crime dont il est l’objet, et par-delà, tous les crimes. Mais jamais rien de ton travail ne le montre aimant hors la douleur. Pourtant, la force de sa souffrance est l’exact contrepoids de sa certitude de joie et de paix. Il a aimé en positif – sa mère, ses camarades, Judas surtout, Marie-Madeleine (comment ? jusqu’où ?), aimé le vin, le pain, c’est-à-dire les nourritures terrestres. Pendant longtemps la symbolique utilisée pour l’évoquer n’était pas une croix mais un poisson – peut-être pour signifier celui qui vit, bouge, nage, luit dans la vague, alimente les hommes, souligne les courants, joue de
leurs forces, de leur fraîcheur, de leur vitalité ? Tout se termine-t-il nécessairement dans le cri et le sang ? Même si les hommes semblent peu changer au fil des siècles, ils changent.
Pour une très grande part de l’humanité, ils ont été marqués par l’amour christique en relief et non en creux, celui-là qui rapproche, tourmente tôt ou tard l’assassin, parle de tempérance, de partage. Et, si lente soit son apparente progression, ce message va sa vie, à sa lente mesure immense. Jésus ne se résume pas à sa croix, et les hommes à leurs clous. Ce qui me frappe enfin, c’est la qualité de ton dernier travail, qualité imaginative, comme qualité de traitement esthétique, ta très réelle capacité à attraper les images et les mots qui scandent le temps, l’interrogent, le torturent, pour les imprimer, au sens littéral, sur ce corps désincarné, dématérialisé, sorti du temps. Tu utilises le corps-symbole de Jésus comme un parchemin, un écran de télévision, une affiche – et chaque message frappe, percute. Une des forces de ce travail (elle était déjà le filigrane des travaux précédents) c’est l’équilibre entre la douceur (car elle existe) et la brutalité, l’esthétisme et la rudesse : pour moi qui te connais (mais je crois que je le devinerais sans te connaitre), c’est l’expression de la peur du romantisme dont nous a détourné le matérialisme. Notre génération en garde la terreur de la mièvrerie (probablement, du reste, nous forçons excessivement le trait). Cet équilibre trame ton travail et, sans doute, dope ton imaginaire formel pour trouver l’espace de la conciliation. Tu y réussis très bien”.