Va-t-on empailler Fluxus ?
Le Guép’Art, revue polémique de Serge III, n’est pas à négliger, et Z’éditions a eu le bon goût de la rééditer intégralement en fac similé.
Dans le tome 1 on trouve ce « Supplément au catalogue de l’exposition Fluxus à Nice. Edition spéciale du Guep’art. Maintenant que G.F. Maciunas est mort, va-t-on fossiliser ou empailler Fluxus ? » :
Le mouvement ou la tendance Fluxus est entré dans l’Histoire. Déjà chacun écrit la sienne et les participants et les témoins de Fluxus ont du mal à s’y reconnaître. Histoires exactes ou pas peu importe, en, fait au spectateur en 1979. Qu’on l’amuse, qu’on le distraie, c’est ce qu’il attend. Ce serait dommage qu’on le déçoive. Cependant Fluxus a beau être récupéré, aujourd’hui, par le système, il a tout de même rempli sa fonction subversive il y a quinze ans. De temps en temps, quelques artistes, peintres et poètes, écœurés par le marasme pontifiant des tendances académiques dominantes en art du moment, éprouvent le besoin de foutre un coup de poing dans la gueule des bourgeois et des caciques d’art.
Il y eut Dada, il y eut Fluxus. En leur temps les gens convenables ont tout fait pour occulter et ignorer ces mouvements, pour finir par les récupérer quand ils ont été à bout de souffle quelques années plus tard.
Je n’ai pas assisté à Dada. J’ai vécu l’aventure Fluxus.
Fluxus à Nice fut essentiellement un art de spectacle. Appelé Théâtre Total par Ben, animé par des acteurs venus de diverses troupes locales de théâtre amateur, il donna un certain nombre de représentations à l’Artistique, au Théâtre de Cousin Bibi, sur la Promenade des Anglais et dans la rue… Pour être marginal ce fut un mouvement marginal. Lors de la venue de Maciunas à Nice, la représentation prévue au Nouveau Casino fut réalisée dans l’Hôtel Scribe, à l’a suite du dédit de la direction du Nouveau Casino. Les spectacles de rue et sur la Promenade furent régulièrement dispersés par la police. Je crois que c’est à force de nous entendre dire que ce n’était pas de l’art qu’on a trouvé la formule Non¬ Art. Pour les représentations à l’Artistique, Ben, dans son magasin, faisait la retape auprès des jeunes qu’il appelait les blousons noirs de la place Garibaldi.
Avec son magasin Ben faisait figure de riche. C’est lui qui louait les salles, qui faisait imprimer les affiches et achetait le matériel pour les spectacles. Il n’hésitait jamais à offrir des tournées au bistrot, et, même si, au restaurant il annonçait, au début, que chacun payait sa part, il payait souvent l’addition générale. On l’a bien accusé de faucher les idées d’après boire des copains, mais ceci est une autre histoire.
Une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous faisions ça pour l’amour de l’art. Sortant de troupes de théâtre, insatisfaits des pièces d’avant-garde que nous mettions ou tentions de mettre en scène, le Concert Fluxus, que nous appelions Théâtre Total, était pour nous une aventure et une expérience passionnantes. Il est certain que des idées des uns ont pu être attribuées à d’autres.
Etant donnée la dispersion, après 1968, des différents membres du groupe, nous fîmes encore quelques concerts, Ben, moi et des « petits jeunes » (Ben dixit). Nous finîmes par ne plus jouer que toujours les mêmes pièces, les plus scéniques, et toujours dans le même ordre. C’est pour ça qu’en1971 j’ai refusé de jouer au Théâtre de Nice et que j’ai édité le tract intitulé RENTREZ CHEZ VOUS.
Sur le plan objets, il n’y a pratiquement pas de production niçoise spécifiquement Fluxus. On ne peut pas définir comme production niçoise des objets édités par Maciunas aux U.S.A. d’après des descriptions fantaisistes de Ben, d’idées ou d’œuvres d’artistes niçois.
Que ce soit à Nice ou ailleurs, je pense que les trois quarts des artistes, dits, faisant partie de Fluxus, ne se sont jamais définis comme étant Fluxus. Plusieurs m’ont dit qu’ils avaient été incorporés d’office par Maciunas et s’ils n’ont pas lancé de démenti c’est parce qu’ils s’en fichaient ou par amitié. Aujourd’hui, c’est apparemment une gloire d’avoir son brevet d’ancien combattant Fluxus et de raconter Verdun, c’est pourquoi je ne citerai pas de noms, je ne suis pas un artiste policier. Un aspect de Fluxus qu’on n’évoque généralement pas c’est le côté engagement politique. A commencer par G.F. Maciunas qui, s’il n’était pas communiste, était nettement à gauche. Lors de son second passage à Nice, Maciunas est allé à Villefranche-sur-Mer distribuer des tracts contre la guerre au Viet Nam (ou à St Domingue) aux marins de la 6ème flotte des U.S.A. Voici quelques citations de son manifeste :
Purger le monde de la maladie bourgeoise, de la culture intellectuelle, professionnelle et commerciale ....Promouvoir un courant révolutionnaire en art. Fondre les structures des révolutions culturelles, sociales et politiques en un front commun ayant des actions communes.
Il y eut ensuite Robert Bozzi communiste, Pierre Pontani maoïste, Dany Gobert et moi-même anarchistes, Robert Erébo occitaniste. Seul Ben, étant citoyen suisse, était gaulliste. Fluxus n’était pas sous l’influence d’un mouvement ou d’un ¬parti politique précis, mais on ne peut pas dire que Fluxus était apolitique. Dans la logique de l’Histoire après le Flux vient le Reflux et si on parle du Flux, en période de mer étale, c’est qu’en son temps il a fait mal. Il faut redire et répéter, car certains ont trop intérêt à l’oublier, que le geste artistique est une réaction de l’individu contre le milieu. Le geste artistique est donc, par essence et par définition, subversif. S’il n’y a pas, ou n’y a plus, un contenu subversif, il n’y a pas ou il n’y a plus art. Il n’y a plus que répétition ou archives.
Même si l’exposition Fluxus 1979 surprend certains, il ne s’agit que d’une rétrospective revue et aseptisée, dont le potentiel subversif a, en plus, été assimilé et récupéré avec le temps Si Fluxus est passé dans les vieilles lunes, il y a peut-être un mouvement qui se développe aujourd’hui, qui fera pendant quelque temps office de coup de poing dans la gueule de la bourgeoisie et du pédantisme dominant actuel.
Dans plusieurs villes de l’hexagone il apparaît des lieux créés par des artistes ou des gens qui s’intéressent à l’art contemporain, des lieux où on montre des œuvres ou des interventions et qui sont plus ou moins boudés par les gens dits convenables. Tous ces lieux ne sont probablement pas animés par des gens ayant les mêmes motivations. Tous n’auront pas la même dynamique subversive, mais je crois qu’il y a plus de nouveau et d’intéressant à y voir qu’aux rétrospectives Fluxus. Voici quelques noms et quelques lieux parmi d’autres :
Atelier ENTRE, de Jacques Pineau, à Toulouse.
Mixage, de Joël Hubault, à Caen.
Articules, de Pascal Fanconi, à Avignon.
Hétéroclite, de Thierry Agullo, à Budos, Landiras.
Le Poisson d’or, de Jacques Donguy, à Auch.
Les Malappris, à Lyon.
Calibre 33 it is art ? Collectif, à Nice.
La Galerie Suicidaire, de Serge III, à Nice.
Et, j’imagine, la liste n’est pas close .....
Une mise au point sur la roulette russe
Et puis suit : « Une mise au point » :
En I964, au Festival de la Libre Expression, au Centre des Etudiants Américains, le 28 mai, j’ai joué à la roulette russe en scène pendant le Concert Fluxus. Je suis entré en scène, j’ai introduit une cartouche dans le barillet d’un révolver, j’ai tourné plusieurs fois le baril¬let, je me suis appliqué le canon du revolver sous le menton, j’ai tiré une fois, j’ai extrait la balle du barillet et l’ai jetée dans le public.
Ben fait courir le bruit que le revolver n’était pas chargé. La seule raison qu’il aurait de l’affirmer sont les témoignages de R. Bozzi et de U. Liutkus à qui j’avais été obligé de dire que je n’avais pas de balle, parce qu’ils m’empê¬chaient d’entrer en scène. J’avais la balle dans la poche et l’ai bel et bien mise dans le barillet. Je l’ai expliqué par la suite à Bozzi et à Liutkus et ils m’ont cru. Je l’ai expliqué à Ben et il avait admis le fait à l’époque.
Maintenant, il prétend que le revolver n’était pas chargé. Je ne peux pas prouver qu’il l’était et n’ai pas l’intention de recommencer mon geste.
Ben n’a aucune possibilité de savoir, ni aucun droit d’affirmer qu’il ne l’était pas. Si Ben le croit vraiment, c’est que lui n’aurait pas chargé le révolver s’il avait fait la roulette russe. Mais personne n’aurait l’idée de le chicaner ou prétendre qu’il antidate ses gestes ou déclarations.
Il a peut être aussi un compte à régler avec moi pour un tract de 1971 qu’il n’aurait pas encore digéré, sans parler de la campagne du Guép’Art en 1978.
Rentrez chez vous
Suit le tract intitulé « Rentrez chez vous » (de 1971) où Serge III explique qu’il refuse de faire le concert Fluxus prévu au théâtre de Nice parce qu’il est subventionné, le succès de Fluxus et de Ben en ont fait du « concert Fluxus de papa ». Ensuite « ça ne m’intéresse pas de jouer pour des gens qui ont boycotté nos premiers spectacles, qui se sont toujours moqué de nous et qui vont bader d’admiration, simplement parce que cette fois le concert a lieu au théâtre de Nice. Je ne veux pas ce genre de promotion ».
Serge III était rafraîchissant. Il nous manque.
Le tout premier numéro du Guep’Art était inséré dans REG’ART avec l’accord de Ben, il était un supplément gratuit et indépendant à REG’ART, ne jouant pas le jeu de la démagogie de Ben, « il est capable d’avoir la sienne propre ». Suivait une liste de lieux et groupes à Nice : Galathée (Galerie-Atelier de René-Gilles), puis garage 103 (Olivier Garcin), Galerie Suicidaire, donc l’atelier de Serge III, Ruy Blas… et la Galerie Altmann, 17 rue de la Préfecture. Une pub, dessous, indique : « Spécialiste des « premières » d’artistes. Actuellement cinq peintres à l’ARC2 Paris ». Etc.
Relire tous les numéros, c’est faire une plongée dans un passé savoureux, acide, agressif et tendre malgré tout, cela s’appelait l’Ecole de Nice… et c’était, du côté de Serge, un peu limite du côté de la préservation de soi… Vous avez dit… suicidaire ?