| Retour

Chapitre 51 (part V) : Rêve de l’origine

Suite et fin de la chronique de France Delville de la semaine, consacrée à Olivier Calvel et la Galerie Marc Piano...

Olivier Calvel dit que les photos – ses photos - exposées dans la Galerie Marc Piano, ont un rapport au rêve, on peut comprendre que ce qu’il aurait cherché sans le chercher serait un impalpable, comme dans cette voie royale – le rêve - où toute bribe renvoie à une autre bribe signifiante (un trou pour un clou absent, deux trous pour un format inconnu, un mur boursoufflé qui dans la monstration officielle est caché), et un flou où tout retournerait à un sens neuf, une remise en jeu du sens. Marc Piano parle lui de mémoire archaïque pour son cœlacanthe, qui a l’avantage d’être un trésor symbolique puisqu’il en existe à la fois de nombreux fossiles et deux espèces vivantes ayant peu évolué depuis trois cent cinquante millions d’années, ressemblant ainsi aux ancêtres aquatiques des vertébrés terrestres. Leur poche de gaz à parois épaisses évoque un poumon ancestral et le terme panchronique qu’on lui applique évoque lui un de tout temps qui est impressionnant, ce n’est pas loin de l’éternel.

Eternité du cœlacanthe

Marc Piano a donc installé une forme d’éternité chez lui avec cet étrange poisson, et ce n’est pas pour rien car tout son travail n’est qu’un hommage au Temps, aux différents temps qu’il subvertit en s’appropriant leurs formes reconnues pour les écrire autrement, et les renvoyer ainsi à l’insondable. Un autre cœlacanthe, anthropomorphe cette fois car on peut y lire des visages miniatures et même une forme féminine englobante, vient dire que le cœlacanthe c’est nous, intemporels dans l’océanique qui est notre dimension intime et dans lequel – par lequel – nous sommes reliés à l’univers. Marc Piano fait un sort à l’idée d’antenne – qu’il faut décrasser (par un ramonage de cheminée, dirait Anna O), et dans la médecine chinoise et autres interprétations entre bouddhisme et zen, l’être humain est une antenne entre ciel et terre. « Corne », pièce de 2005, est un animal-corne, tout y est érectile comme pour pouvoir toucher un maximum de la surface du monde, et le « Mastar » de 2006, en dehors de son premier degré d’humoristique appellation, est un bijou à dimension surhumaine, une montagne gravée de civilisation, Everest sculpté par le langage, même sous forme d’alphabets inconnus comme peuvent l’être les codes des forêts, pas encore articulés. On est un peu dans une holophrase plastique, à coups d’idéogrammes avant la lettre si je peux dire, un peu comme les Indiens d’Amazonie inscrivaient sur leur corps leurs structures élémentaires de la parenté.

MASTAR

L’aspect de permanente polysémie de l’œuvre de Marc Piano, qui s’est bien noué avec le même aspect polysémique de l’œuvre d’Olivier Calvel, m’invite évidemment, par un jeu très sérieux, à aller voir les divers sens de « Mastar », et je ne suis pas déçue car Mastar est aussi un mortier hydraulique de scellement, et, sous forme de Model for Assessment of cmoS Technologies And Roadmaps - Modèle pour l’évaluation des Technologies CMOS et des feuilles de route - un outil de calcul spécialement conçu pour l’évaluation des caractéristiques électriques de transistors CMOS perfectionnés, basés sur différentes technologies : planar bulb, Double Grille, Silicium sur isolant. Le calcul est basé sur des équations qui dépendent des principaux paramètres technologiques du transistor (longueur de grille, dopage de canal, épaisseur d’oxyde, etc.). L’application MASTAR est développée au sein de STMicroelectronics dans le but de déterminer, en avance de phase, quelles seront les technologies qui permettront d’améliorer les performances électriques des transistors et donc des circuits CMOS. L’application MASTAR est distribuée librement sur le site Internet du comité ITRS qui l’utilise pour établir les feuilles de routes qui vont déterminer les technologies à explorer dans les années à venir. MASTAR est en effet capable d’évaluer immédiatement l’impact des différents paramètres technologiques sur les caractéristiques principales du transistor.

Motherboard

Je n’ai évidemment rien compris, comme vous, mais quel soulagement d’avoir trouvé de MASTAR une définition qui mène au transistor, et ensuite à ces petites merveilles que sont les cartes-mémoire des ordinateurs - il y a même des cartes-mère, des Motherboard - qui semblent être venues se coller sur la carapace du faux Minotaure de Marc Piano dans une version science-fiction du Labyrinthe. Le terme de Motherboard est fascinant, c’est comme un Tao technologique, ou une Déesse-Mère belle comme l’intérieur d’un piano.

Urbain

A ce moment « Urbain » (2006) découle tout naturellement de cette réinterprétation de toutes choses, en tant qu’habitat produit par l’homme, ou son environnement, montagne de matière plus mystérieuse qu’il n’y paraît lorsqu’on lui enlève les repères attendus, et munis de cornes à multiples fins : à fin d’antennes pour sonder le ciel, à fin d’excavateurs pour sonder le sol, à fin de cornes pour détruire l’autre, pratique fondamentale. Cet Urbain-là a aussi des ancres comme il se doit, et des doigts, et une bouche, des dents, un trident, il n’est pas lisse lui, venant de sortir du chaos, et il a l’avantage de nous faire sortir du tohu-bohu, et re-débuter une Genèse, re-initialiser comme on le dit d’un programme l’écriture du monde, au moment où, l’aleph étant perdu, celui-ci, le monde, doit se construire sur le mode de ce qui vient en second, dans un après (un apprêt) : l’Histoire. L’aleph c’est le temps non compté, d’avant, qui est donc le diapason que fait résonner Marc Piano avant de produire un objet de « l’après » : objet-dans-le-temps nécessairement, mais à qui l’écho de l’intemporel vient donner, déjà et pour toujours une allure de fossile. Ce qui signifie que tout est déjà passé, sur le tapis roulant où tout s’effectue. Difficile de mieux construire sur cette question-là que ne le fait Marc Piano. Surtout s’il se fait aider par Arthur Rimbaud sur son bateau ivre privé de ses haleurs, et qui donc, insoucieux de tous les équipages (de l’Art), peut descendre où il veut. Et les péninsules démarrées/N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants ». C’est bien ce que je disais.

Fin.

Retrouvez la première partie de cette chronique.

Retrouvez la deuxième partie de cette chronique.

Retrouvez la troisième partie de cette chronique.

Retrouvez la quatrième partie de cette chronique.

Artiste(s)