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Louis Dollé, l’artiste-homme orchestre

Homme orchestre hyperactif, utilisant de très nombreux langages et techniques de création, Louis Dollé occupe une place singulière dans le paysage artistique niçois.

Né à Nice en 1971, ses premiers paysages, le Mont Boron et La Réserve, s’ancrent dans le regard d’un enfant plutôt solitaire, mal à l’aise à l’école et dans son corps, mais dont les mains ne cessent de s’activer. Il modèle, construit des cabanes, dessine, sculpte tout ce qui lui tombe sous la main : « tout me semblait un problème qu’il fallait régler », mais comment raconter avec ses mains ?

Table, frêne,1985

Sa mère grave et sculpte des cougourdes (dans le vieux Nice), une activité traditionnelle. Elle est connue, il voit passer Francis Gag, Max Gallo, Ernest Pignon Ernest.
Lecteur de BD (Astérix, Tintin à partir de Objectif Lune), des Fables de Rancher (le La Fontaine nissard qu’il a illustré dans une page de bd géante), il se plonge aussi dans les livres d’histoire de l’art et voit sa première exposition au Palais Lascaris - à dix ans.

Inscrit au Lycée Professionnel Pasteur, il apprend le métier d’ébéniste et réalise sa première table à 14 ans (elle est toujours là dans son atelier).

La rencontre avec Nicolas Lavarenne et Cortèse (son professeur qui a aussi formé Fondacaro) est déterminante.

Moai de La Réserve © Louis Dollé

Cortèse réalise du mobilier, des sculptures personnelles, mais travaille aussi pour l’Hôtel des Monnaies et les Armées (pour lesquelles il confectionne les bouches à canon des porte-avions Foch et Clémenceau).
« Cortèse a été généreux, il m’a ouvert une autoroute ».

Il lui apprend à regarder, à aimer Picasso dont il n’avait pas encore compris le génie, au contraire de Giacometti qui, en revanche, lui a plu de suite, et bien sûr, les grands maîtres de la Renaissance Italienne : Michel Ange, Léonard, etc.

Cortèse l’emmène visiter la Fondation Maeght, «  une grande claque », lui montre une belle Madone de Picasso, et surtout, lui conseille de lire, et de beaucoup dessiner.

Parallèlement, Louis doit faire des petits boulots, travaille jour et nuit dans une boulangerie (le geste de pétrir le pain n’est pas si loin de celui du modelage), avec « un homme formidable », M. Cravero (rue Mascoinat), encore un artisan philosophe.

Il s’inscrit à la Villa Thiole, une « excellente école », fait « une belle rencontre » avec Patrice Juge, qui le prend « sous son aile ». Grâce aux stages de formation, il apprend des milliers de choses. Il tente la photographie, mais ne sait pas trop quoi dire avec. « La vidéo c’est plus rigolo » (le montage se faisait encore sur bandes), mais c’est le dessin de tout ce qui se présente devant ses yeux qui l’occupe : les statues de la ville, les ornements des immeubles, les sculptures des musées.
Il décide de passer le bac en candidat libre. Pour cela, il va devoir forcer sa nature : dyslexique, disorthographique, des problèmes de formulation dans la phrase et d’attention qu’il doit dépasser. Il fait de la philosophie, de l’histoire et se passionne pour l’histoire de l’art (en 2005 il fera une performance sur le thème : « 25 000 ans d’histoire de l’art en 25 minutes »). Aidé d’un professeur, il obtient son bac.

Il passe ensuite quelques mois peu convaincants à la Villa Arson, fréquente un peu les ateliers, mais décide d’abandonner à la fin de la première année.

« À l’âge de 20 ans, je voulais savoir ce que je voulais, qui j’étais, ce que je pourrais faire de moi  ».

Danaé © Louis Dollé

Habitué depuis son enfance à la plage de La Réserve où il plonge en apnée (il avait appris avec son père), il remarque les deux poteaux plantés là depuis on se sait quand. Il décide de s’y attaquer de nuit pour commencer - la journée, il allait écouter ce qu’il se disait, puis sculpte de jour, en public, appréciant les échanges avec le public.

Il réalise deux Moais, en référence à ceux de l’île de Pâques, mais qui regardent la mer, au contraire de ceux de l’île qui regardent vers l’intérieur.
Dans son premier atelier (avenue Lympia), il crée Lucienne (qui se déshabille), au corps lissé, déjà étiré et au visage à la Picasso, un douloureux Mendiant, et la superbe Danae, une figure accroupie, émouvante avec son dos fendu le long de la colonne vertébrale. Elle fait penser à « l’Implorante » (appelée aussi « Suppliante ») de Camille Claudel, mais en plus rugueuse, plus brutale, quasi expressionniste.

En 1993, il sculpte une « Femme enceinte » dans un bois impropre à la scupture, un défi qu’il se lance. Il invente aussi une technique de collage de morceaux de bois selon leur veinage (comme s’il modelait) et réalise ses premières sculptures-collages.

Rue Saint Vincent, dans son deuxième atelier, il réalise son œuvre princeps, un manifeste : « L’homme qui marche ».

À la différence de ceux de Giacometti, le sien s’aide d’une canne (le troisième âge de la vie).

Il a aussi l’air moins éthéré, plus vigoureux, ses pieds bien ancrés dans la terre qu’il foule d’un pas décidé.

L’homme qui marche, bronze, Pasteur 2 © Photo Eric Clément-Demange

Après les corps, il s’attaque aux visages et modèle en plâtre une grande série de têtes où il s’essaie à différentes techniques, réalisant plusieurs portraits par jour : « Magda » (1995), Mareva, Guylaine, etc., et « Le Baiser », son premier bronze, un émouvant visage tendu pour l’éternité dans la quête, l’attente, du baiser de l’autre.

L’homme solitaire s’estompe. Les années suivantes seront sociales, relationnelles, associatives.

À partir de 1997, il travaille au Bonnet d’Âne, un café littéraire du Vieux Nice, où il rencontre Ben, Maumau, des artistes, des musiciens, des gens de gens de théâtre, un monde qui lui plait : « L’art c’est les arts, ça m’enrichit ». Il construit des décors, s’improvise scénographe, joue de la trompette, prend des cours de chant, compose, écrit, met en scène. Il apprécie particulièrement le contact avec le public, le lien social. Sa matière première a changé : ce sont les gens.
Cela se traduit dans ses créations. Avec des fils de fer recouverts de papier, il crée des petits personnage bondissants, souvent reliés entre eux.

Baiser, bronze © Louis Dollé

En 1999, c’est la grande époque des Diables Bleus, puis de La Brèche, des regroupements d’artistes dans des friches industrielles.

Il crée son association « Orange Bleue » en référence à la chanson de Michel Berger, donne des cours de dessin, de sculpture, de peinture (c’est toujours le cas).

Une période très active où « tout se mélange ». Il dispose d’espace pour faire de grands dessins, en taille réelle : un bel autoportrait, un mendiant (il travaille auprès des SDF), un enfant, une Vénus Botticellienne. Des dessins qui, à la matière de Ernest Pignon Ernest, sont collés de nuit devant le Palais de Justice.

Autoportrait, crayon © Louis Dollé

Son travail est repéré.

En 2000, il réalise L’Homme qui Marche (de deux mètres de haut), qui sera acquis (en bronze) par souscription populaire pour les nouveaux bâtiments de l’Hôpital Pasteur en 2016.
Pour l’UMAM (Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne, fondée par Matisse), il sculpte en bois de chêne un Juge Acrobate (pour l’équilibre de la justice).
Dans une exposition à la Chapelle de la Providence, il reprend des thèmes de la Renaissance Italienne (comme L’Enfer de Dante) qu’il détourne en ajoutant une iconographie contemporaine (Superman, Goldorak, etc.), ainsi que des thèmes chrétiens comme Marie Madeleine (en taille réelle) au crayon sur Canson, ou Saint Michel.

Son art très centré sur le corps rencontre la nature grâce à no-made, l’association très active dirigée par Denis Gibelin qui lui donne carte blanche.

Ses interventions dans la nature en interaction avec le public l’enchantent, il déploie avec énergie et plaisir ses personnages le long des sentiers, dans les forêts. Un plaisir aussi pour le promeneur qui découvre des sculptures ou installations s’intégrant parfaitement au paysage, ou au contraire, inattendues, insolites, provoquant un étonnement qui oblige à regarder autrement son environnement.

En 2002, il sculpte une Ève souriante de 4 m 50, dominant un immense paysage (voir la superbe photo de Jean-Claude Fraicher).

Poma (Eve), 4,50 mètre installée à lʼArboretum de Roure, Résine Polyester, Fabriquée aux Diables Bleus © photo Jean-Claude Fraicher

Pour l’arboretum de Route, il crée une « Gaia », embrassant un arbre et réalisera d’autres hamadryades (ce qui fait corps avec un arbre), des « Anthropolites » (en 2005) : moulages de visages semés dans la nature comme autant de vrais faux fossiles aux dessins effacées par le temps, et le « Le Jardinier », une installation composée d’une centaine de mains moulées en ciment (il en offrira une au Prince Albert de Monaco, mécène des lieux).

Parallèlement, il continue ses recherches, apprend la soudure qui lui ouvre un nouveau champ d’action.

Il crée des personnages aux longues jambes dans différents matériaux métalliques récupérés : acrobates, danseurs, coureurs, couples, et un « Vélomane » (en 2011), où la matière du corps est mêlée à celle du vélo. Pour Louis, « Le métal se modèle comme la terre ».

À la Galerie Ferrero, il expose de grands dessins dont celui d’une femme de ménage du Word Trade Center voyant arriver l’avion qui va percuter l’immeuble.

Veloman, fer © Dollé

Il se remet à la peinture, encore un défî et réalise « L’Hydre », puis Chloé (toile offerte à l’Hopital).

Hydre, huile sur Isorel, 1m x 1,80 © Louis Dollé

Il modèle aussi à la main des visages en papier journal collés qu’il colle sur des murs ou des arbres (la « mémoire des murs »).

Chaque année, depuis aujourd’hui plus de quinze ans, il participe à l’aventure no-made, créant de nouvelles œuvres, très souvent in situ, inspirées par les lieux.

Son actualité : une exposition au Japon, à Fukuoka (28 mai - 18 juin) où il exposera ses peintures, sculptures, installations et réalisera deux performances.

On peut voir dans son atelier les œuvres déjà prêtes à partir au bout du monde : un Arbre en Fleurs (en fer) dont les racines sont des pieds et les fleurs des mains ou des visages, un Grand Pied en châtaignier (le pied parfait de la Renaissance avec un écart marqué du pouce et des orteils), plusieurs tableaux d’arbres printaniers sur des ciels lumineux et clairs... D’autres projets sont en cours.

Le jeune homme qui se demandait il y a vingt cinq ans « quoi raconter et comment ? », aura largement exploré une multitude d’approches, de techniques matérielles, mentales et spirituelles dans de très nombreux domaines.

Peintre et sculpteur de la comédie humaine, ses corps, ses portraits à « l’excès de présence » (Jean Mas), nous parlent de ce qui est impossible à dire, à décrire (les mots n’y suffisent pas) : les émotions humaines.
Ses matières âpres, brutes, austères contrastent avec l’homme qui est plutôt doux, amical, ouvert aux autres. Elles sont au service de sentiments subtils à transmettre, d’une recherche de convivialité, de sérénité.
De l’Ymagier du Moyen âge (qui réalisait des images bien faites) auquel il s’est identifié un temps, au sculpteur inventif et iconoclaste, modelant le fer et le bois comme si c’était de la terre, son parcours impressionne... et n’a pas fini de le faire...
Alain Amiel

Arbre, acrylique sur toile © Louis Dollé

Photo de Une (détail) Poma (Eve) © photo Jean-Claude Fraicher

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