La nouvelle exposition de Régis Perray est formée d’un ensemble d’œuvres, dont beaucoup sont inédites, constituant une réflexion sur l’habitat et son apparat intérieur. Depuis le début de sa carrière, les sols et les murs représentent un territoire de recherches et d’expériences physiques. L’artiste explore des gestuelles précises, adaptées aux lieux, aux matériaux, aux objets, pour en extraire des fragments d’histoires. Les murs et les sols portent deux fonctions : la première, celle d’abriter, puisqu’ils sont tous deux constitutifs de l’habitat ; la seconde, celle d’être les supports et les surfaces destinés à l’ornementation du foyer. Les sols peuvent être recouverts de carrelage, de tapis ou de plancher, tandis qu’aux murs sont tendues les tapisseries, collés les papiers peints et accrochées les peintures. Régis Perray s’empare du contexte de nos maisons, de leurs apparats, ainsi que du rapport quotidien que nous entretenons avec les motifs qu’elles recèlent, pour en faire un matériau qu’il manipule, déchire, ponce et caresse.
Au sol, Attention !!! Pose du carrelage instaure une idée chère à l’artiste, celle du chantier en cours. Les carreaux sont simplement posés au sol, tandis que les cartons d’emballage les entourent. Débutée pour une exposition au Château d’Ardelay (Vendée) en 2013, l’œuvre est ici augmentée. Les carreaux, tous fabriqués de manière artisanale, impliquent une progression du motif et de la couleur dans l’espace. Une articulation est produite entre le sol et les murs, puisque dans l’esprit des cabinets de curiosité ou des accrochages dix-neuvièmistes, l’artiste entremêle deux collections : les Papiers Peints Poncés (PPP) et Les Ponsées. Depuis une dizaine d’années, Régis Perray souhaitait travailler le papier peint, un matériau lié à la famille, à la maison d’enfance. Un matériau avec lequel nous avons grandi. En 2012, il découvre chez sa grand-mère un vieux catalogue d’échantillons de papiers peints qui constitue le point de départ d’une collection qu’il décide de poncer. Armé de papier de verre, il procède à un travail de passages successifs. Le processus de ponçage requiert patience et exigence. Son objectif n’est pas d’effacer les motifs, mais au contraire de les ranimer en leur conférant un vécu. Il réveille ainsi leurs qualités intrinsèques et leurs motifs. Les traces du ponçage agissent comme celles du temps dont l’artiste accentue les effets. Il en est de même pour Les Ponsées, une série de peintures récoltées auprès de brocanteurs nantais. Dans leurs stocks, les croûtes, réalisées en majorité par des peintres du dimanche, attendent de réintégrer un foyer. Comme pour les papiers peints, l’artiste ponce les natures mortes, les paysages et les portraits chinés. En ôtant couche par couche la matière, il entre véritablement dans la peinture : la surface, la matière, le motif, la couleur et les secrets enfouis. Parce qu’il est férocement amoureux de la peinture et de son histoire, l’artiste choisit, par le rapport physique et abrasif, d’attaquer les toiles. Une relation paradoxale est générée au profit d’une relecture d’œuvres négligées, écartées des maisons et des musées.
Les gestes (nettoyer, frotter, poncer, caresser) rendent hommage aux matériaux, comme en témoigne le film, Acariciar Lisboa, réalisé lors d’une résidence à Lisbonne en septembre 2013. Sur place, il est fasciné par la ville et les azulejos qui parent ses murs. Il découvre alors que la fonction originelle des carreaux de faïence n’était pas tant de décorer les murs, mais de les protéger. Suite au tremblement de terre de 1755, les murs des maisons et des bâtiments sont construits avec du sable extrait de l’océan Atlantique. Le sel contenu dans le sable ronge et attaque la pierre. Les murs fragilisés sont renforcés avec un parement de carreaux de faïence. L’artiste, conscient de la fragilité et de la beauté du patrimoine lisboète, arpente la ville et décide de caresser de la main droite une centaine de murs ornés d’azulejos. Chaque mur est une véritable rencontre, où la caresse participe d’un corps-à-corps amoureux entre l’artiste et la ville.
Sans visée iconoclaste ou subversive, ni aucune volonté de hiérarchiser les matériaux et les registres, Régis Perray entre dans la matière (sa fonction, son histoire, ses motifs). Produits de manière industrielle ou artisanale, les matériaux portent chacun des motifs qui, par la répétition du passage de la main et/ou de l’outil, sont altérés, partiellement gommés, et finalement sublimés. Qu’il s’agisse de peintures empilées chez les brocanteurs, de rouleaux de papiers-peints abandonnés dans un vieux cellier ou de carreaux de céramiques abimés, l’artiste s’approprie, par le geste, le matériau délaissé pour lui donner une nouvelle existence. Par la collection, pratique qui traverse son œuvre depuis les années 90, il transcende les matériaux du quotidien.