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A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L'Ecole de Nice, Ovadia, 2007
  • A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L'Ecole de Nice, Ovadia, 2007

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

CHRONIQUE 40 : La culture à Nice au temps de l’Ecole de Nice (3)

Résumé des chroniques précédentes...
Une question revient très souvent : comment une telle mouvance d’Art contemporain – l’Ecole de Nice- a pu émerger à… Nice ?.. Sous-entendu « dans ce désert culturel de province » !.. Les deux Chroniques précédentes furent l’occasion de montrer que depuis la Belle Epoque, Nice a toujours tenu une place particulière dans la culture française… et même internationale.

Après les écritures poétique et en prose, que s’est-il passé à Nice en matière de théâtre et de musique ? Comment la cité niçoise s’est-elle inscrite dans la culture des années soixante, « setanta » et « vuetanta », comme on dit à Nice, pour soixante-dix et quatre-vingt ! Comment ce contexte particulier a-t-il pu « jouer » pour favoriser l’éclosion de l’Ecole ?

Le théâtre

Dans cette seconde partie du XXème siècle, Nice, c’était une dizaine de troupes de théâtre de qualité. Le théâtre populaire Niçois (T.P.N) en particulier est créé en juin 1964, issu du Théâtre de Forme et d’Essai fondé en 1961 par Cargos Caracci et André Riquier ; cette troupe constituée d’amateurs donne sa première représentation en octobre 1964 [1] et se séparera en 1969.

TPN, Affiche, Nord 17ème
DR

Ce fut également la troupe des Vagants, du café Le Relax, rue Pastorelli. Ce groupe donna une suite de spectacles très innovants dans les années 60. Leur répertoire affectionnait l’absurde (Beckett, Ionesco). À partir de 1967, ils invitent le Théâtre du Soleil (La cuisine de Wesker), Chéreau (L’héritier du village), Gillibert (Phèdre)... Il fonde un Club Antonin-Artaud, rue Alberti, où ils consacrent une exposition à l’école de Nice. Ils sont considérés, avec Les bâtisseurs d’Empire de Boris Vian, comme une des révélations de la Biennale de Paris 1965.

Sous l’impulsion du Centre d’Art Dramatique, créé en 1969, l’activité théâtrale à NICE connaît un nouvel essor ; il s’installera dans un préfabriqué sur l’Esplanade du Paillon [2] avant de rejoindre son bel hexagone en marbre de Carrare friable en 1989 ! Ce sera le TNN, le Théâtre National de Nice, devenu le premier Centre Dramatique National en termes de fréquentation.

Construction du TNN en 1989
DR

Sur un plan plus local, citons l’œuvre immense et inclassable de Francis Gag [3] , puis l’influence du Bar des oiseaux, de mère en fille depuis 1961 (avec Noëlle Perna aujourd’hui Mado la niçoise) et l’incontournable auteur niçois Richard Caraschi.

La Musique

Sur le plan musical ou de la danse, Nice n’a certes plus l’envol qu’elle eut à la Belle Epoque. Elle conserve toutefois durant les années 60-70 un opéra à l’italienne où triomphent à plusieurs reprises de grands chanteurs, comme Mario del Monaco et un orchestre symphonique créé en 1945. Restructuré en 1982, l’Orchestre Philharmonique de Nice anime une vie musicale intense à Nice et sur la Côte d’Azur, en partageant son activité entre les répertoires symphonique et lyrique.
Nice, c’est également le Festival de Musique Sacrée de Nice. Fondé en 1974, à une époque où l’idée était fort peu répandue. Il est né de la volonté de personnalités hors du commun, comme Pierre Cochereau [4] qui tint longtemps les orgues de la Cathédrale de Nice et Paul Jamin, peintre. Ce festival consacra le travail de longue haleine de l’Abbé puis Chanoine Bernard Navarre, à la direction de la Maîtrise de la Cathédrale de Nice.

Maîtrise de la Cathédrale de Nice
DR

Notons également les « Nuits musicales de Nice », sous la direction de Jacques Taddei, qui existent depuis 1958. Elles ont lieu au cloître du monastère de Cimiez. Il s’agit d’un festival de musique de chambre. Enfin, il a existé encore le festival « Vieux-Nice Baroque en Musique », une série de concerts de musique baroque, et le festival MANCA (Musiques actuelles Nice Côte d’Azur), organisé par le CIRM, créé en 1978 par Jean-Étienne Mari.
En matière de « chanson dite moderne », Dick Rivers, de son vrai nom Hervé Forneri, est un chanteur de rock français, né à Nice le 24 avril 1945. Il démarre sa carrière dans sa ville avec son groupe les chats sauvages et son batteur André Ceccarelli.
Les années suivantes, Nux Vomica (du nom d’un laxatif homéo !) emmené par Louis Pastorelli, est devenu à son tour une référence. Depuis les Nux Vomica ont mêlé les arts plastiques, la vidéo et la musique. Il est vrai que le groupe avait été monté par de jeunes peintres qui recherchaient un espace d’expression dans le quartier de Saint Roch.

Sans rencontrer le succès des Corses ou des Bretons, les Mauris, Christian Bezet, Jan-luc Sauvaigo, L’Ontario, L’as Pagat lou capeu et le Courou de Berra ont aminé de façon très spécifique la vie musicale de ces années là… sans oublier le festival du Jazz qui se tenait chaque début de mois de juillet dans les Arènes de Cimiez [5] avec les plus grands noms : Dizzy Gillepsie Louis Armstrong, Stéphane Grapelli, Django Reinhardt et Lionel Hampton.

La vie culturelle

Nice, ce fut encore une vie culturelle permanente avec le CUM, le centre universitaire méditerranéen, auquel l’ancien maire Jean Médecin tenait beaucoup pour l’image de sa ville. Créé en 1933, il fut jusqu’en 1965 un centre intellectuel et culturel de prestige ; Paul Valery en fut son premier administrateur. Le CUM fut à l’origine de la nouvelle université niçoise avant de redevenir un centre d’échanges, de recherche et d’expression. Lieu de mémoire et de prestige, le C.U.M., offrait quotidiennement au grand public des conférences, concerts, colloques, tables rondes…

Le CUM, année cinquante
DR

L’université de Nice, depuis 1965 l’année de sa création, est devenue une université de premier ordre. Une série de laboratoires et de professeurs se sont fait connaître sur le plan international pour la qualité de leurs travaux. Citons Jean Alexandre Eugène Dieudonné, son premier doyen. Mathématicien, l’un des membres fondateurs et moteur inlassable du groupe Bourbaki. Il continuera son oeuvre à l’université de Nice où il obtient un poste en 1964. Outre ses publications au sein de Bourbaki, on lui doit notamment les 9 volumes de son traité Éléments d’analyse ; le Calcul infinitésimal, les Éléments de géométrie algébrique qu’il a corédigés avec Grothendieck et l’Abrégé d’histoire des mathématiques, dont il a dirigé la rédaction.
Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien et philosophe, a consacré en plus de ses travaux en physique théorique une part importante de ses activités à l’histoire, à la politique et à l’épistémologie des sciences d’une part, à la vulgarisation et à la culture scientifiques d’autre part. Il a fondé notamment la revue Alliage, qui confronte sciences et cultures, et a dirigé les collections Science ouverte et Point science au Seuil.

Jean-Marc Lévy-Leblond
DR

"Je sais gré à certains artistes de m’aider à prendre l’indispensable recul critique qu’exige aujourd’hui le développement de la technoscience."
Jean-Marc Lévy-Leblond, La science et le monde, l’art et le moi,
Magazine européen (1996)

D’autres comme Michel Lazdunski, spécialiste mondial des canaux ioniques se sont fait remarqués en biochimie ou comme Motais et Brahim Lalhou en physiologie. Ces derniers sont des élèves de Jean Maetz, qui créa à la station zoologique de Villefranche-sur-mer un important laboratoire sur les perméabilités des membranes cellulaires. On leur doit nombre d’avancées sur le domaine.
Nommé en 1966 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice dans la chaire de Psychologie et Pédagogie, Roger Mucchelli s’est fait connaître pour ses travaux sur les entreprises. Il a fondé au cours de sa carrière, trois centres de psychopédagogie et de psychosociologie et deux revues internationales ; aux Editions ESF, il a créé et dirigé la célèbre collection « Formation permanente en sciences humaines ».

Nice, c’est encore hors de l’université locale, des chercheurs internationalement connus. L’observatoire, bien qu’à l’origine indépendant de l’université, a continué à tenir une place intellectuelle importante pour ses travaux théoriques ou ses observations sur le Soleil, avec des chercheurs reconnus, comme Jean-Claude Pecker, Évry Schatzman ou Jean Louis Heudier.
Gérard Mendel, au carrefour du psychique et du social, tout à la fois psychanalyste et sociologue, laisse également une oeuvre inclassable où le jeu des affects interroge les formes du pouvoir. Gérard Mendel fut, dans les sciences humaines, un auteur majeur ; mieux : un pionnier. Il connut son heure de célébrité avec la publication de la Révolte contre le père (1968) et son livre 55 Millions d’individus sans appartenance (1983) afait grand bruit.

Gérard Mendel
DR
La révolte contre le père, 1968
DR

On pourrait encore décliner nombre d’autres domaines à la gloire de Nice : la physionique, prolongement de la bionique, fut présentée en première mondiale dans cette ville, lors d’une conférence organisée par le Musée Risso. Elle est largement utilisée par le mouvement des entreprises apprenantes, ainsi que pour comprendre les mutations sociales.
De même sur l’apprendre, un nouveau modèle fut conçu à Nice au début des années quatre-vingt : le modèle allostérique. Il transforme radicalement les idées sur l’enseignement, l’école et la formation ; malheureusement il est plus connu en Suisse, en Chine ou au Brésil qu’à Nice ou en France ! Il sert également de référent pour le mouvement des « entreprises apprenantes ». L’approche de la précocité, connue son essor il y a 40 ans avec les travaux du psychologue niçois Jean-Charles Terrassier ; une première classe vit le jour à l’Ecole Las Planas. La fondation de la Fédération Nationale des parents d’enfants intellectuellement précoces qu’anima avec ténacité une autre niçoise, Monique Binda, se propagea cette préoccupation sur toute la France.

Sur un plan culturel local, l’Academia nissarda (Académie niçoise) reste une société d’études historiques, littéraires et artistiques discrète, mais très pertinente. Créée en 1904 par Henri Sappia et plusieurs autres lettrés niçois, elle a accompagné nombre d’études sur Nice et son Comté pour « faire revivre les traditions locales et veiller à la conservation du patrimoine ». Sa revue Nice-Historique reste incontournable sur les recherches archéologiques et historiques locales.
Dans le même registre, citons encore les travaux de plusieurs érudits : André Compas, Georges Castellana, Raoul Nathiez, Thérésius Passeron, Edmond Rossi et Roger Rocca ; ainsi que le journal le Sourgentin, né à partir du Cercle niçois Antoine Risso, créé au collège du même nom, boulevard Pierre Sola [6] .

Créations tous azimuts

Toujours à cette époque, Nice a tenu une place importante, différente de celle de Cannes, dans le cinéma d’après-guerre. Outre l’abondance des studios pendant les années du muet, elle connait avec les studios de la Victorine une activité constante qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours [7] .?Les célèbres studios ont notamment vu grandir « les Enfants du paradis » de Marcel Carné, la « Main au Collet » de Alfred Hitchcock et tomber « la Nuit américaine » de François Truffaut.

Tournage de la Nuit américaine aux Studios de la Victorine (1972)
DR

Nombre d’acteurs - Elizabeth Taylor, Richard Burton, Cary Grant à Grace Kelly, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, ou encore Jean Gabin et Alain Delon - y ont « tourné ».

Affiche de la Main au Collet, Alfred Hitchcock
DR
Scène du pilou, dirigée par Alfred Hitchcock
DR

Nice, c’est encore une nouvelle relation à la cuisine avec de nombreux chefs qui se sont installés dans la région. C’est surtout Et vive la cuisine niçoise (1988 [8] ) de Giordan de la Peppa et José Maria qui a transformé l’image du domaine.

« Un air de nouvelle cuisine s’impose où l’unique salade niçoise cède le pas à un livre de recettes : Et vive la cuisine niçoise…au micro-onde »,

selon les dires de Jean Mas, mais pas seulement... En fait un livre non pas de recettes mais d’idées pour faire évoluer l’art de la table à Nice qui s’était endormi à la fin du XIXème siècle sur quelques plats prestigieux.

Couverture De la Peppa et José Maria, E vive la cuisine niçoise, Z’Editions, 1989
DR

Le graphisme

Terminons par le graphisme ; un grand nombre de graphistes et de dessinateurs, issus de Nice ou travaillant à Nice, ont fait les beaux jours de cet art, à Nice et de part le monde : de Raymond Moretti et son œuvre en feux d’artifices à Edmond Baudoin, dessinateur et scénariste de bande dessinée [9] , né en 1942 à Nice ou encore Lalou ou Jean Marc Eusébi.

Edmond Baudoin, Dessin pour la couverture du livre
DR

Ce dernier, ardent défenseur de la culture niçoise a disparu trop tôt. Il fut aussi un artiste aux multiples facettes : auteur de BD, dessinateur de presse, illustrateur, concepteur de chars de carnaval et auteur de comédies musicales. Condamné en son temps pour troubles à l’ordre public pour son journal satirique Barre à mine, il fut un des piliers du milieu culturel niçois.

Jean Marc Eusébi, Logo pour Nissa Pilo
DR

La célèbre BD, le Concombre masqué et son auteur Nikita Mandryka fut également niçois dans les années 80 [10] … Dommage que cet art soit toujours considéré comme mineur, la diversité des actions et interventions de ces graphistes aurait pu s’inscrire dans l’Ecole de Nice

Ainsi sur ce contexte culturel multiple et diversifié, se termine cette 40èe et dernière Chronique sur l’Ecole de Nice. Nous reviendrons l’an prochain sur les artistes de l’Ecole. Il sera fait un état de leurs travaux après les années quatre-vingt, dans une Chronique intitulée « Ecole de Nice : que sont-ils devenus ? ».
A partir de début décembre 2011, une nouvelle Chronique se consacrera aux jeunes ou moins jeunes artistes qui travaillent à Nice, toujours après les années quatre-vingt.

Notes

[1] Après avoir fait applaudir Woyzeck de Büchner et Pique-nique en campagne d’Arrabal, le TPN devient un théâtre militant (Homme pour homme de Brecht), puis d’interventions avec (Nord 17 ème Sud, Automne 17). Les affiches sont réalisées par Ernest Pignon Ernest.

[2] Jean Mas escaladera la façade Nord lors de l’une de ses Parformas.

[3] Connu également sous le pseudonyme de Tanta Victorina. Un autre comique niçois eut un immense succès régional : l’inoubliable Jan de Duranus.

[4] Pierre Cochereau donna ses lettres de noblesse au Conservatoire de Nice, dont il eut en main la destinée durant dix-huit années et qu’il éleva au rang des meilleurs établissements d’Europe.

[5] Dans les arènes de Cimiez depuis 1974.

[6] Les trois artisans de la nouvelle publication furent des professeurs au collège d’enseignement secondaire : Roger Gasiglia y enseignait les lettres, Charles Malausséna l’éducation physique et Jean Vincenti les mathématiques.

[7] Sophie Duez, Michèle Laroque, Jean-Paul Moulinot , comédiens et Jean-Pierre Mocky, cinéaste ont également grandi à Nice.

[8] Réédité actuellement chez Serre

[9] Ses premiers albums, ceux qui le firent connaître, ont pour nom : Un Flip Coca (1984), La peau du lézard (1983), Passe le temps (1982), Les sentiers cimentés (1981), Civilisation (1981)

[10] La plupart de ces auteurs furent publiés par Z’Editions, c’est-à-dire Alain Amiel, qui joua un rôle considérable pour faire connaître l’Art à Nice.

Retrouvez toutes les chroniques sur l’Ecole de Nice, réalisées par André Giordan et Alain Biancheri, dans notre rubrique COTE ARTS / ART CONTEMPORAIN.

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