"Photographe de petits paysages, André Pharel n’intervient dans un lieu que par son simple regard et le révèle, donnant à un espace minuscule et banal une grandeur et une réelle beauté. Broussailles, taillis, fouillis, trous d’eau sont transfigurés et deviennent soudain des lieux chargés d’âme et de poésie.
Cette exposition témoigne d’une grande sensibilité à la transparence, nourrie peut-être par la limpidité des eaux de la Sorgue, qui traduit une fascination pour le « voir à travers » et entraîne une transformation du rapport à la matière. Les traversées, déclinées de multiples façons, nous transportent dans des univers subtils où l’on découvre une vision différente qui donne à penser autrement le monde.
Traversées-vagabondages dans les collines ou le long de la rivière ; traversées-jeu de transparences ou de reflets sur les vitres des jardins botaniques ; traversées de fourrés et autres broussailles, faisant pénétrer le monde d’une manière directe, presque animale, évoquant ce que l’on pourrait imaginer des sensations primitives. Et puis, étranges traversées laissant découvrir, par une prise en compte particulière de la lumière et de la proximité, une matière transformée, car en partie dématérialisée.
Ce travail est la proposition d’un regard neuf sur le monde à l’image du jamais vu, une redécouverte de nos perceptions immédiates et instantanément oubliées en permettant, par une déconstruction de notre lecture intellectualisée du monde, un retour à la vision première, jusqu’à conduire parfois à l’abstraction.
La transfiguration du réel est au coeur même de cette photographie.
C’est ainsi que naissent ses quadriptyques qui rendent compte de la construction d’un monde, par la cohérence, l’autonomie et la perfection des éléments qui le composent. Cherchant à être au plus près des petites choses, celles qui font en silence un lieu, celles qui se révèlent dans un rai de lumière avant de s’évanouir l’instant d’après, il touche à l’essence même de ce qui fait la nature du lieu, ouvre les passages d’un espace à un autre, met en évidence le point qui fait basculer d’un univers à un autre et permet alors la traversée de l’image elle-même.
André Pharel cherche à évoquer la troisième dimension dans l’image.
Ce travail sur la transparence qui met en scène la profondeur et ces déclinaisons des traversées en est une belle introduction. Installer des images dans le volume et les rendre mouvantes est la suite de cette quête. En effet, cette exposition comporte aussi une mise en volume de l’image et des jeux de contraste entre images animées et images fixes, entre ce qui change et ce qui demeure, ce qui dure et ce qui disparaît dans l’instant. Le spectateur est ainsi invité à circuler autour d’un « Jalon », sculpture de métal et plexiglas dans laquelle sont insérées des photographies. Celle-ci renvoie à une méditation sur le rapport au temps, au réel et à la création ; sur ce qui est vu mais n’existe pas ; sur ce qui existe mais n’est pas vu ; sur cette part invisible du réel qui échappe ou résiste dès que l’on tente de l’approcher.
L’un de ces premiers jalons fait partie de la collection permanente de la villa Datris, fondation pour la sculpture contemporaine de l’Isle-sur-la-Sorgue, la première à montrer au public cette mise en volume originale de la photographie.
Voici donc une exposition qui affirme le bonheur d’être aux choses simples, à la lenteur ; voies qui permettent d’échapper aux sentiers battus du regard habituel. Elle exprime aussi le bonheur de traverser le monde en s’ouvrant à des pensées sur la nature de l’espace, de la matière, de la lumière... au contact de ces petites choses juste là, qui apportent malgré elles, à celui qui sait les voir, un enseignement sur le monde."
Anne Pharel