La tête et les jambes !
Dans mon exploration des archives, j’ai retrouvé avec plaisir tous ces numéros du magazine « Go ! » - fondé fin 1984 par César et Jany Carré de Meurdrac - qui parlent d’un certain nombre des expositions que j’ai organisées dans ma galerie de Saint-Paul, ces pages évoquent tant de moments caractéristiques de la vie culturelle des Alpes-Maritimes dans les années 80 que j’ai envie de poursuivre un peu l’évocation entreprise par France Delville dans son chapitre 72 sur ce couple dont la passion de l’actualité fut mise en actes tant par des magazines, journaux (papier et internet) que par des films documentaires… . Aujourd’hui César se consacre plus particulièrement à l’écriture de ses romans, et Jany à sa maison d’édition « arHa », mais ce n’est pas exclusif
Il est toujours intéressant de remonter au moment fondateur, et donc voici l’éditorial de César Carré dans le premier numéro de « Go ! » (octobre-novembre 1984), véritable profession de foi qui, en donnant une part égale à la tête et aux jambes, rappelle que le sport aussi peut être un art.
Pourquoi « Go ! »
Encore un magazine, pensez vous ! Pourquoi pas ?
La multiplication des media n’est-elle pas la garantie de la libre expression, du pluralisme, de la démocratie, en un mot de la liberté quoi !
Alors, plus on écrira, on éditera, on créera, on lira, plus l’homme s’élèvera au dessus de la matière et de sa condition, souvent misérable.
Ce magazine est destiné à traiter des sujets à caractères nationaux ou internationaux sur les spectacles, les sports, les loisirs et le tourisme.
Son originalité tient au fait qu’il traitera ces sujets à partir d’événements qui se déroulent aux pays du soleil, soit le sud de la France et d’abord le sud est. Il se veut être aussi une vitrine des activités culturelles, sportives et ludiques de Provence, reflets de l’activité humaine par son caractère universel
POURQUOI GO ? Parce que ce mot anglophone est international, qu’il est l’expression d’une dynamique, d’un mouvement vers quelque chose ou quelqu’un, compris et perçu comme tel par tous. Les Français l’associent couramment à sa traduction, dans une sorte de pléonasme : ALLEZ, GO !
POURQUOI LE SUD EST ? Parce que le sud est est le siège de multiples manifestations culturelles et sportives de portée internationale. Par exemple : Festival du Cinéma de Cannes, Grand Prix Automobile de Monaco, Rallye de Monte Carlo, Tour de Corse, Festivals de jazz de Nice et de Juan les Pins, Midem, MIP TV, Festival de Télévision de Monte Carlo, Open de Golf ou de Tennis, jumping de Cannes, etc.
Parce que le sud est est la région privilégiée où l’Europe entière se retrouve, non seulement l’été, mais en toutes saisons, avec plaisir et envie, du fait de la mer, du soleil, des sites naturels et des villes de renommée mondiale telles que Nice, Monte Carlo, Cannes, Antibes, etc.
Parce que les étrangers du monde entier connaissent la France, Paris et la Côte d’Azur.
POURQUOI LES SPECTACLES, SPORTS, LOISIRS ET TOURISME ? Parce que ces sujets sont l’expression même de la nature humaine qui a dépassé le premier stade de l’homo economicus, primum vivere, deinde philosophare :
la culture c’est pour la santé de l’âme du cœur,
le sport pour celle du corps,
– les loisirs et le tourisme sont le complément des deux précédents, auxquels ils apportent la communication et la détente dans le temps libre.
En résumé, c’est la TÊTE et les JAMBES... Pourquoi pas !
Entre International et Tradition
César Carré, en dehors de son dynamisme et de son audace (toute sportive) lorsqu’il s’agit d’aller faire des reportages jusque dans des lieux très « physiques » (voir magazine « Géo », plateformes pétrolières, haras…), manifeste dans ce texte beaucoup d’humour, mais son idée que les Alpes-Maritimes étaient un lieu de rencontres internationales était évidemment très justifiée, ce qui n’empêche par « Go ! » d’avoir été – un temps trop court, 10 numéros – un espace où la tradition fut accueillie de belle façon, car cela va ensemble. Comme on le sait les étrangers furent très séduits par la valeur historique du pays, aussi bien côté mer que côté villages perchés. Ainsi dans le n°1, Annette Legastelois rend un magnifique hommage au Haut-de-Cagnes, rappelant que « dépositaire d’un important passé historique, haut-lieu du tourisme, refuge des peintres et des artisans et cependant village de pêcheurs et de paysans, tel se présente aujourd’hui, à cinq minutes de la mer entre Nice et Antibes, Haut-de-Cagnes dans les Alpes-Maritimes ».
Et il n’est pas étonnant qu’André Verdet, natif de ce berceau, ait eu immédiatement sa place dans ce n° 1, et pour parler de Chagall et de Fernand Léger qu’il a bien connus, et a su interroger de façon magistrale dans les « « Entretiens, notes et écrits sur la peinture » sortis aux Editions Galilée en 1978. Voici ce qu’il écrit dans « Go ! » n°1, sachant que, pour Channel 7, César Carré l’a filmé en train de faire les honneurs de la Fondation Maeght (un court extrait de ce film d’une heure accompagne la partie I du Chapitre 72 de France Delville), et que, le samedi 5 avril 2014 débutera, à la Fondation Maeght, l’exposition « L’art et l’architecture de Josep lluis Sert », Sert, architecte de la Fondation Maeght. L’époque est à la mémoire.
Enzo Cini, italien de France…
Avant de donner des passages du texte d’André Verdet sur Marc Chagall, et puisque le clip qui accompagne cette partie de chronique est sur Enzo Cini (clip extrait du film « Les chemins de Saint-Paul de Vence », produit par Channel 7 et dont César Carré est le réalisateur), je voudrais rappeler l’exposition d’Enzo chez moi en mai-juin 1980 intitulée « L’Aquarium imaginaire ». En 2000 dans « Le Paradoxe d’Alexandre… », voici, sur lui, ce que j’ai écrit : « Italien de France, peintre-peintre, qui, lui, n’a jamais renoncé au plaisir des couleurs, des tons, des valeurs, de leurs agencements. Il nous montre, personnages ou bien poissons, des entités du réel, des allégories d’un monde qui est là, sous nos yeux, visible à moitié ».
Et Michel Gaudet : « Latin dans la quintessence, Enzo observe, et les sources jouent, génératrices d’inspiration. Des poissons de mer hiératiques et royaux lui content leur histoire et la communion de l’artiste leur confère vie nouvelle. Arachnéennes deviennent les arêtes transparentes, hiéroglyphes leurs dorsales rompues de nageoires... Immuables dans l’intensité de leur progression ils avancent, et la science du peintre donne à l’image les vertus des eaux lentes et soyeuses. Fusiformes ils élaborent leurs structures, mais Enzo dominateur leur concède sa sémiologie. Le signe racé, dispensateur de vie, mieux que tout alphabet, sublime leur force, identifiant une ichtyologie nouvelle, où la recherche permanente est précisément l’éthique de l’artiste. (Michel Gaudet, St Paul, 10 avril 1980).
Mais aussi, dans « GO ! » n°5 (article « Enzo le Magnifique »), Angelo Pradier a écrit : « Evoquant l’artiste, André Parinaud nous dit : Les tableaux nous regardent. Pris d’émotion devant ceux de Cini, nous ne pouvons qu’abonder dans le sens du célèbre critique ».
Chagall ou l’humus de l’Humanité
Mais voici, sur Marc Chagall, le début du texte d’André Verdet :
« Dos à dos », « Couple sur fond rouge », « Songe » sont des tableaux de Marc Chagall qui portent la date de l’année 1984. Tous trois présentent en commun une grande unité d’exécution. Ils possèdent une alacrité picturale, une fraîcheur chromatique, un frémissement de vie intérieure absolument bouleversants si l’on songe que ces pièces ont été peintes alors que l’artiste entrait dans sa quatre vingt dix-septième année. Or l’âge n’a pas prise sur l’œuvre. Nulle fatigue n’entame le cheminement de la main du créateur et dans l’espace de la toile on ne décèle aucun temps : la vie y foisonne en parcelles irradiantes, chaque touche de couleurs y devient une molécule d’existence et l’ensemble de chaque tableau, à l’observation à certaine distance, nous évoque, dans sa mouvance lumineuse le changeant éclat diapré d’une mosaïque.
Ces trois tableaux récents de Chagall achèvent admirablement le parcours de la grande rétrospective anthologique de l’œuvre du peintre, rétrospective qui s’ouvre sur un autoportrait de l’artiste, exécuté en 1909 d’une facture sombre et d’allure romantique. Marc Chagall y est coiffé d’un large béret d’atelier. Son visage inspiré est celui d’un jeune maître, dont le destin de peintre s’inscrit avec résolution dans la fermeté. L’atmosphère de cet autoportrait nous reporte à l’Ecole Flamande, à l’ampleur et au mystère d’un Rembrandt.
Entre ce tableau et les trois derniers plus avant cités, nous assistons au cheminement prodigieux d’une œuvre au climat poétique de légende, une œuvre singulière, à nulle autre pareille dans l’histoire de la peinture et d’une telle fidélité à soi même, d’une telle unicité de vision au travers de ses subtils changements, de ses mutations ou métamorphoses qu’il est difficile de vouloir séparer catégoriquement telle ou telle partie d’une autre.
De Vitebsk, la cité russe natale, dans le terreau et sous le ciel de laquelle l’art de Chagall a pris source, à Saint Paul en passant par Paris, New York, la Judée et Vence, l’œuvre s’inscrit profondément dans les diverses cultures, les différentes civilisations de notre temps tout en changeant des symboles des images rituelles les plus lointaines qu’elles impliquent.
Symboles et rites d’une des plus vieil¬les religions du monde et des plus enracinées dans l’humus de l’humanité. Or le monde biblique de Marc Chagall, s’il prédomine largement, ne s’est pourtant pas emmuré en lui-même, en ses dimensions spirituelles, si vastes fussent elles. Il s’est ouvert au contraire à certaines autres croyances. Par la vertu de son dessin et de sa couleur il les a intégrées dans l’œuvre pour tenter d’en établir une harmonie consolatrice en la seule religion d’un seul amour : l’Amour de l’Amour... Comme un déchirement d’innocence.
Chagall, peintre sacré, celui de la Bible, de l’Ancien et du Nouveau Testament mais encore Chagall peintre profane, celui d’Orphée, d’Apollon, de Daphnis et Chloé, du Cirque, des Amants et des Musiciens. Et l’on peut avancer que souvent dans l’œuvre le sacré et le profane, quand ils cohabitent, s’allient naturellement, se juxtaposant ou se confondant à souhait, tout comme le rapport humanité animalité y est traité avec bonheur et nostalgie à la fois, et comme nul artiste, nul philosophe ne l’a jamais approché auparavant, avec une telle ferveur d’union, une telle volonté de confraternité pathétique. (André Verdet)
(Suite)
Retrouvez les parties II, III, IV et V de la Chronique 30 :
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part II)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré » (Part III)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part IV)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part V)