"J’aime la table qui m’attend, où tout est disposé pour écrire
et où je n’écris pas mais je m’assieds tout contre…"
Francis Ponge, La Table
Dans ces Contes de l’homme meublé, tout sera obscur, voici comment Alexandra Guillot me décrit son exposition. Un espace dans le noir.
La fantasmagorie des choses. Puis, il y a le texte sur le kitsch onirique de Walter Benjamin. Très beau texte qui parle de la fleur bleue. Être à la recherche de la fleur bleue symbolise l’idée d’accéder au rêve inaccessible. Le rêve participe à l’histoire. Oui en effet tout est obscur, un rideau noir est là pour tamiser la lumière entrante. L’ambiance est dark. Un noir profond comme un tombeau. Mise en sommeil de la raison, réveil du décor dans le décor. Tous nos sens sont convoqués. Autre potentialité de la réalité. L’exposition semble nous amener vers un sommeil léger.
Nos perceptions sont-elles altérées ? Quelles sont les hallucinations que nous avons avant de nous endormir ? Rêverie crédule et teintée d’émotions, que la cognition essaye de lier au monde réel. Il s’agit de la définition de ce que l’on appelle les hallucinations du réveil : hypnopompe. Rêve lucide. Faux réveil. Tout sera fiction. Voici les portes de l’imagination, elles sont enfin ouvertes. Confondre la vérité avec la fiction, bibelots, ready made, décor. Théorie des objets selon Moles. Le contact de l’individu avec le monde. Cet environnement artificiel est un monde de signes, de situations et d’objets. Chose existant en dehors de nous-même, chose placée devant, avec un caractère matériel : tout ce qui s’offre à la vue et affecte les sens. Désirer, chérir, s’habituer, entretenir ou mourir d’oubli. Simulacre ? Voilà ce qu’offre le meuble à soi. Non pas un lieu où se recroqueviller, se complaire dans une originalité factice ou se couper des autres, mais celui où l’on se sépare un temps du monde pour mieux se le remémorer : se sentir chez soi et « davantage encore », dit Walter Benjamin. « L’ambition de Benjamin, dans Le Livre des Passages, est d’illustrer les rapports entre monde onirique et réveil, offrant par là-même une théorie des seuils, qui a été présentée à juste titre comme l’« intrication sur-réelle du rêve et de l’histoire. Déjà son article sur Le Surréalisme (1929) avait annoncé cette thématique : « La vie ne semblait digne d’être vécue que là où le seuil entre veille et sommeil était en chacun creusé comme par le flux et le reflux d’un énorme flot d’images […]. ». Le rêve devient la métaphore du passage et le passage, en tant qu’un intérieur pur, l’allégorie du rêve ».
Passé révolu ou futur inconnu.
C’est un précipité chimique. Quand les phénomènes semblent se dissoudre comme des images éphémères sombrant dans l’oubli. Onirisme fantastique. Rendre la frontière trouble. De ce surréalisme, Alexandra Guillot, sorcière néo-païenne, fait émerger au sein de ses œuvres un kitsch onirique. Des papiers peints avec des yeux. Ils nous regardent. Mystiques et religieux, les objets sont détournés. Expérience de flirter avec ces éléments dans un lieu habité par des forces.
L’objet ancien relève du baroque culturel. Intériorités. Humaines. Fantastiques. Le travail du rêve ou le rêve au travail. Le poète travaille en dormant. Rituels occultes qui nous permettent de prendre conscience de l’état des choses et de l’endormissement généralisé dans lequel nous baignons. Crise du réel ou trouble dans le réel et du cadre quotidien. Il s’agit ici des facts, des marges de la société et des refoulés du souvenir.
Texte de Marianne Derrien
1) Françoise Le Bouar, Un meuble à soi, www.strenae.revues.org
2) Georges Teyssot, « Fantasmagories du mobilier », in Id., Walter Benjamin. Les maisons oniriques, série : Philosophie (Paris : Hermann, 2013), Chapitre II, pp. 53-111
3) Ibid.