Ce qui caractérise le style de Philip Glass, c’est le minimalisme d’une musique répétitive
Fortement inspiré par la musique de l’Inde, le compositeur américain a illustré le courant de cette musique en réintroduisant des matériaux thématiques similaires, mais d’une manière totalement différente à chaque fois.
La musique de Philip Glass est donc faite de motifs répétés, ressassés sans fin. Mais d’infimes modifications rythmiques, à peine perceptibles, permettent une transformation progressive dans son harmonie.
Cette apparente simplicité dissimule une grande complexité de rythme. Tout en jouant sans cesse le même motif, l’orchestration reste légère grâce à la présence de percussions – et même d’un orgue – mais les violons sont supprimés. Tempo et pulsations changent peu à peu, produisant un effet hypnotique.
Créé en 1984, « Akhnaten » clôt une trilogie inspirée par de grandes figures de l’histoire
On se souvient avec émerveillement de la découverte de « Einstein on the Beach » (I976) sur le célèbre physicien, suivi par « Sathyagraha »(1980) qui s’attache à la lutte de Gandhi. Akhnaten, lui, parvient à imposer la première religion monothéiste en faisant du Dieu Soleil, Aton, l’unique divinité de l’Egypte.
La mythologie égyptienne inlassablement revisitée est ici différente et donne la part belle aussi bien au visuel qu’à l’auditif. Harmonie est le mot qui vient pour ce spectacle à la fois à voir et à écouter. Une harmonie née de ce point d’honneur mis à donner la juste émotion, sans recette ni contrôle – un spectacle tout à fait affranchi grâce à la singularité de l’art du compositeur.
En trois actes, l’oeuvre montre trois moments du règne d’Akhnaten, sans tenir compte du déroulement de sa vie : sa montée sur le trône, sa mise en place d’un nouveau dogme, sa chute qui s’ensuit et ce qu’il reste de lui aujourd’hui. C’est donc surtout à sa personnalité que s’attache l’Opéra à travers le climat musical et la force visuelle grâce à la danse et à la scénographie.
Pour la danse, l’icône du mouvement minimaliste, associée aux innovations de Philip Glass dès ses premières oeuvres, l’immense chorégraphe américaine, Lucinda Childs, s’est imposée avec de merveilleuses danses en mouvements de voiles aériens. Véritable fée, elle assure non seulement la mise en scène et la chorégraphie, mais, grâce à des projections, elle est également une narratrice impeccable, éclairant la progression de cette création tout en symboles mystérieux restant énigmatiques pour chaque spectateur. Empreinte de spiritualité, la danse prend une dimension à la fois humaine et mystique, en suivant la profondeur de la démarche du compositeur.
Le talent de l’Orchestre Philharmonique de Nice, dirigé sans baguette par Léo Warynski, souligne la flexibilité de ces contrastes en évitant tout mécanisme pour laisser son ampleur à la musique magique et envoûtante, s’inscrivant comme un rituel.
En s’appuyant sur des références de l’Egypte ancienne, les décors et les costumes de Bruno De Lavenère correspondent parfaitement à l’esthétique minimaliste actuelle. Rond, le plateau mobile, qui tourne sur lui-même en oblique, évoque le soleil et sa trajectoire. Des dessins, apparaissant déjà sur le rideau et ensuite, évoquent les hiéroglyphes égyptiens.
Dans le rôle d’Akhnaten, le contre-ténor Fabrice di Falco interpelle de sa voix très haute le non-conformisme de son personnage, la très renommée soprano Patricia Ciofi interprète la Reine Tye, tandis que la contre alto Julie Robard-Gendre occupe avec talent le rôle de Néfertiti et le ténor massif Frédéric Diquero celui du Grand Prêtre Amon.
Cette exceptionnelle production de l’Opéra de Nice, grâce à son nouveau directeur, Bertrand Rossi, restera dans la mémoire de chaque spectateur !
Caroline Boudet-Lefort