Jacqueline Gainon - Jeux dangereux
Après ses séries sur la Mythologie, sur les Guerriers, les Boxeurs, les Couples, etc., Jacqueline Gainon, dans cette nouvelle exposition chez Eva Vautier, nous raconte l’enfance, son enfance ? Pas toute l’enfance, seulement un jour, un après-midi, un court moment... où une petite fille de 8-10 ans à robe rouge est prise à partie par deux garçons un peu plus grands qu’elle. Elle est bousculée, attachée, les yeux bandées, renversée, mise à terre, etc., "comme dans un jeu qui pourrait mal tourner", nous dit l’artiste. Une série de tableaux de même format, parfaitement alignés, comme les instantanés d’une séquence. On est même tenté de remettre de l’ordre dans les images, mais c’est difficile d’en être sûr : les mains attachés précéderaient les yeux bandés ou l’inverse ?
- Gainon © Galerie Eva Vautier
La palette est réduite. Le rouge, le noir et le brun, les jeux d’ombres, accentuent l’impression de tension.
Face à la série peinte, douze dessins à l’encre rouge et noire, au format plus réduit où on s’aperçoit que le jeu d’enfants a dégénéré... La petite fille a tenté de se défendre, mais la brutalité de ses assaillants a eu raison d’elle. Elle est à terre, inconsciente, du sang coule de sa tête. Un des garçon tient un bâton. Le jeu à mal tourné, un malheur est arrivé.
- Gainon, vue de l’exposition © Galerie Eva Vautier
- Gainon, vue de l’exposition © Galerie Eva Vautier
Pourtant, en entrant dans la galerie, les premières toiles de grand format très colorées présentent une famille souriante, posant comme pour une photo. La composition est pyramidale pour mieux signifier la stabilité, la "familiarité", mais les couleurs sont exagérées : fonds bleus transparents, robe d’un rouge intense, chemise bien bleue.
Un paradoxe est installé : une famille unie et une petite fille battue, blessée, par ses frères ? Les jeux d’enfants peuvent-ils s’avérer dangereux et les familles d’apparence heureuse cacher leur agressivité refoulée ?
- Gainon, Famille © Galerie Eva Vautier
On a déjà rapproché la peinture de Jacqueline Gainon de l’expressionnisme allemand, celui de Kirchner particulièrement, mais dans cette série, la touche est encore plus dépouillée, plus affirmée, la représentation est concentrée sur l’action, le geste. Les corps sont projetés au premier plan, il n’y a pas de décor, juste un sol rouge et des fonds sombres. Les tons sont violents, le trait vif, rapide, nerveux. Les gestes sont surlignés, les représentations évidentes. L’artiste ne triche pas, sa peinture est immédiatement compréhensible, "une peinture pour illettrés", des images de livres d’enfants où le sens, les sentiments, les émotions se projettent sans fards.
C’est une mise à nu de la réalité avec laquelle l’artiste nous laisse nous débrouiller.