Voix haut perchée teintée d’accent du sud et moustache virile, faconde méditerranéenne et curiosité intellectuelle toujours en éveil. Rusé et manipulateur pour les uns, attachant et désopilant pour les autres. Parlant sans relâche de son passé sans être passéiste, un ancien pauvre devenu riche et qui s’en moque … Jean Ferrero est un personnage unique, inimitable. Totalement atypique dans le monde de l’art contemporain.
Quand il reçoit chez lui dans son « bric-à-brac », il joue le modeste : « Je n’ai rien ici ! ».
Rien, juste quelques broutilles, un petit Basquiat, un grand Arman, un vieux César : le personnage est tout entier dans ce contraste. Sa vie est-elle vraiment un roman, ou est-ce lui qui en est le romancier imaginatif ?
En tout cas, comme il est extrêmement bavard, nul besoin de lui tirer les vers du nez : « j’ai une mémoire photographique, je n’ai qu’à ouvrir le livre, ça sort… ».
Le romancier imaginatif de sa propre vie
– Une mère « très grande » originaire de Clans, un père de petite taille, immigré italien de fraiche date, un frère « très grand » et lui tenant de sa mère … C’est, si on l’en croit, cette équation qui a forgé sa personnalité et sans doute son destin.
Né à Antibes en 1931 dans une chambre meublée, au hasard des pérégrinations de son père « boxeur, puis larbin pour finir maitre d’hôtel », Jean Ferrero a connu une enfance difficile où il ne mangeait pas toujours à sa faim : « ma mère faisait des ménages, mon père était joueur, amateur de femmes, il n’avait jamais un rond… ».
– Réfugié à Clans pendant la guerre, il a 14 ans à la Libération : « c’était très dur mais on s’amusait, on était libres. On ramassait tout ce qu’on trouvait, par exemple le cuivre des robinets volés dans les villas, qu’on échangeait contre des tickets de pain … C’est là que j’ai appris à me démerder. Je suis devenu riche ensuite mais je peux vivre avec un quignon de pain ».
– De cette époque datent ses débuts en tant que collectionneur ou plutôt « accumulateur de n’importe quoi ».
En parfait autodidacte - il a juste le certificat d’études - il dévore tous les livres qui lui tombent sous la main : « je lisais Gide ou Saint Simon en gardant les moutons … J’ai tellement lu que je serais bientôt aveugle ! ».
Car Jean Ferrero a une énorme qualité : la curiosité. Curieux de tout, du « pourquoi des choses », il lit, rêve en lisant, se saoule de mots, se construisant au fil des ans une bibliothèque énorme, depuis la BD d’avant-guerre (Bibi Fricotin, les Pieds Nickelés, Pim Pam Poum, Pipo) jusqu’aux périodiques comme Science et Avenir ou Connaissance des Arts auxquels il est abonné aujourd’hui.
Par ailleurs, sans doute pour compenser sa petite taille, il devient un fervent adepte de la boxe et de l’haltérophilie. C’est là que lui vient l’idée de « photographier ses copains musclés » mais - riche inspiration de sa part - nus en pleine nature, au milieu des pins. C’est nouveau, totalement inédit : il met quelques publicités dans la presse … Et aussitôt, le succès est immense, en particulier auprès de la communauté gay. Il en vient à vendre en Europe puis dans le monde entier par correspondance : « moi, je suis amateur de femmes mais ça ne se vendait pas » !
Anecdote croustillante : Jean Ferrero eut même un temps un assistant chargé de « gouacher » les sexes sur les photos destinées aux états-unis. Un peu d’eau et les attributs virils cachés aux yeux des douaniers réapparaissaient comme par miracle à ceux de l’acheteur !
– Avec son 6x6, il se déplace dans toute l’Europe en camping-car pour suivre les concours du style Monsieur Univers, accumulant en 15 ans plus de 50.000 négatifs. En 1954, il est photographe indépendant avec une carte de presse, travaille pour les quotidiens la Stampa et Nice-Matin, et commence à recevoir des amis artistes à son studio-domicile de l’avenue Sainte Agathe dans le quartier de Riquier à Nice.
Car il a entre-temps rencontré pour les portraiturer les grands artistes de l’époque - Chagall, Miro, Fontana, Moore - et quelques débutants comme César, Arman, Farhi, Gilli ou Venet … dont il acquière les oeuvres, difficilement monnayables à cette époque.
Mais c’est grâce à ses photos de nu masculin qu’il gagne beaucoup d’argent, s’achète des maisons, des voitures de sport … et ses premiers tableaux : « d’abord du figuratif… je marche à l’instinct, au coup de cœur, j’aime le beau, la couleur, ce que l’homme fait avec ses mains et son esprit ».
L’ouverture de la Galerie Ferrero
– En 1970, il ouvre sa première vraie galerie, dans le grand appartement qu’il loue juste à côté de l’église du port. Bien que située au 4ème étage, les expositions qu’il y organise connaissent un grand succès : « Je voulais en faire un show-room comme en Amérique ». Bosseur, « marié avec le travail », il fait de sa galerie - qui se déplacera ensuite rue de France puis rue du Congrès - un lieu célèbre : César et Arman viennent y travailler, tandis que lui les filme.
– Puis s’y succédèrent Ben, Venet, Gilli, le groupe Supports/Surfaces, plus tard Moya… Mais bizarrement, cette époque n’est pas son meilleur souvenir, même s’il se rappelle quand même ce gros collectionneur monégasque qui acheta pour 700 millions de francs en une heure : « j’aurais jamais dû ouvrir une galerie : c’était la fin de ma jeunesse… ».
D’ailleurs, au mot de galeriste, il préfère celui de « brocanteur d’art » ou même de « mauvais marchand », rongé par le virus de la « collectionnite ».
– Car l’art n’est pas son seul domaine de prédilection : il collectionne également les poupées chinoises et les plaques émaillés, les vieilles caméras et les personnages de Walt Disney entre mille autres choses…
– Volontaire, un brin teigneux, il se force, à 77 ans, à faire ses exercices de musculation dès qu’il ne peut « plus voir ses plaques de chocolat ».
Ce qui ne l’a pas empêché d’être objecteur de conscience dans sa jeunesse, et qui lui avait valu « six mois de taule à Bordeaux Pessac » : « Je ne veux pas porter d’armes, je suis citoyen du monde - J’aime l’art car il est sans frontières ».
– Sous des dehors hyper-virils, Ferrero serait-il un tendre ? Ce qui est sûr, c’est qu’il a « vécu intensément » et ne regrette rien.
Aujourd’hui, il lui reste son projet de fondation, actuellement en pourparlers : « c’est mon plus cher désir, cette fondation. Je n’ai pas envie de m’embêter à la construire, je cherche un lieu de plusieurs milliers de mètres carrés. L’idéal serait une construction légère, comme une usine, avec un éclairage au nord, des cloisons sans fenêtres. J’y réserverais une aile pour Arman, une aile pour César…Elle servirait à initier les gens, un large public, même les gosses, à l’art contemporain."
• merci à Christophe Cys-Debeir pour ses précieuses et précises informations