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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 19 : Tam-tam de l’Ecole de Nice (suite et fin… ou presque !) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes


Depuis dix Chroniques, les personnalités qui ont fait connaître l’Ecole de Nice sont mises sur le devant de la scène !.. Tour à tour, ont été présentés des journalistes, des galeristes, des critiques d’art qui ont cru à ce mouvement de pensée et en ont parlé. Des artistes eux-mêmes, ont joué un rôle capital. La dernière Chronique a porté sur un… éditeur remarquable. Sans eux, l’Ecole de Nice –et les artistes qui la composent- n’aurait pas été connue et reconnue internationalement. Ainsi se meut le domaine de l’Art. La reconnaissance n’est jamais inhérente aux seules œuvres ! Sans un entourage qui présente, « parle », voire investi et bruisse, rien ne se passe…

Les discours sur l’Ecole de Nice ne sont pas clos ! Bien au contraire, avec le temps ils redoublent. Ainsi, depuis que nous avons lancé cette Chronique sur Art Côte d’Azur, a-t-on pu observer une vente aux enchères, la sortie d’un film -dont la plupart des séquences ont été tournées il y a plus de 10 ans- et d’un nouveau livre et une exposition au Musée Rétif à Vence. Celle-ci s’est terminée par un événement, une Performas : « la mise à feu de la crèche de Jean Mas », par l’artiste lui-même, devant « clore » ou « dissoudre » ce mouvement artistique.
Pour Alexandre de la Salle, le galeriste qui organisa 4 rétrospectives et qui fut le curator de l’exposition de Vence, il s’agissait de « refermer les parenthèses ».

« Dès lors l’Ecole de Nice, tel un objet parfaitement identifié, devient à jamais part de l’Histoire de l’Art, mouvement important de la seconde partie du XXème siècle »
 Alexandre de la Salle, Interview Nice-Matin, 5 décembre 2010

La crèche de Jean Mas (photo et montage Catherine Mas)

La crèche de Jean Mas est une oeuvre débutée en 2003. Elle fut exposée en 2004 à la Galerie Matarasso (à Nice), en 2005 à l’Hôtel Windsor (à Nice) et en 2010 au Musée Rétif (Vence). Composée de figurines d’artistes de l’Ecole de Nice : Arman, Ben avec sa pancarte, Sosno, Serge III, Alocco, Chubac, Gilli, César, Nivèse, et Raymond Hains (Nouveau réaliste), Pierre Restany (Critique d’art). Objet central, un livre remplace le petit Jésus d’où s’échappe la poudre « bleu Klein », des bouteilles de vin de Bellet et du Festival du PEU de Bonson. Au premier plan Jean Mas et Madame lancent des vitamines. Parfois des animaux -l’autruche, les pingouins, l’aigle, le chat- remplacaient le boeuf et l’âne.
De présentation en présentation, des personnages ont été ajoutés, comme les éditeurs Amiel et Ovadia ou le spécialiste de la cuisine niçoise De la Peppa ; un monde en fait très éclectique de la culture contemporaine niçoise, allant du psychanalyste aux joueurs de pilou.

Loin de dissoudre cette Ecole, ce passage par le feu, ne fera que la raviver ! Cet « événement » bien médiatisé va susciter certainement une « renaissance ». Le critique Pierre Restany qui écrivit la préface de chaque catalogue des « expositions commémoratives » d’Alexandre de la Salle avait déjà tenté de mettre fin à ce mouvement en 1997 avec un article intitulé « École de Nice. » (point final). Rien n’y fit ! D’autant plus que si les artistes de la première génération sont aujourd’hui décédés, ceux qui les ont suivi sont toujours bien vivants et… très productifs . N’est-ce pas Ben ?!.. « L’Ecole de Nice n’est pas morte, elle renaître de mes cendres ».

Ben, L’Ecole de Nice n’est pas morte…, 2010

Leur célébrité est désormais tellement au firmament que l’Ecole de Nice englobe d’autres mouvements en passe d’être oubliés comme… le Nouveau Réalisme. Du moins si l’on s’en tient à certains critiques d’art anglo-saxons !

« The art school, which counts Arman, Christo and Niki de Saint Phalle (see December RT) amongst its celebrated alumni, has survived despite early skepticism regarding its chances of survival, and has gone on to reach its half-century . »
The Riviera Times, 2010
http://www.rivieratimes.com/index.p...

L’entourage des débuts

Hélène dit « Lola » Jourdan-Gassin, lors de l’exposition de sa Collection (2008) Photo site Lola Gassin

Mais revenons sur ses débuts. Sans être exhaustif, nombre de lieux et de personnalités ont « fait le buzz » –comme on dit aujourd’hui- pour faire face au silence ou au scepticisme de ses commencements. Sur le plan des galeries, d’autres galeries niçoises prirent la suite des Galeries Matarasso, Ferrero et Alexandre de la Salle. Par exemple, la Galerie Lola Gassin, près du Vieux-Nice, au 6 Rue de la Terrasse, a été l’occasion de nombre d’expositions et de signatures.

Citons également la Galerie Sapone créée en 1972 qui s’impliqua vigoureusement dans la recherche d’artistes « de talent ». Pagès, Jaccard, Isnard, Dolla y ont exposé successivement... La Galerie Joël Scholtes - 35, Rue Meyerber - n’a pas non plus négligé les artistes appartenant à l’Ecole de Nice. En 2004, une importante présentation des travaux d’Albert Chubac se tient en parallèle à son exposition « officielle » au MAMAC.
De nombreuses autres galeries ont continué ou continuent à présenter des oeuvres : Art 7, Bebop, Galerie Lympia, Latitude, Itinéraires, Anne Roger, Galerie des Docks, JacquelinePerrin, atelier-galerie Mori... Enfin s’était ajoutée une foire internationale de l’Art Contemporain, Art Jonction, qui s’est tenue chaque année de 1987 à 2001, d’abord au Palais des Exposition avant de migrer à Cannes pour revenir à Nice au Jardin Albert 1er. 15 000 visiteurs annuels -français ou étrangers- pouvaient rencontrer d’autres professionnels, et surtout nombre d’artistes de l’Ecole de Nice.

Parmi les simples personnalités, on ne peut manquer de signaler encore François Pluchart et Raphaël Monticelli dans des apports, des styles et des liens très divergents.
François Pluchart fut enseignant entre autres à l’École nationale des arts décoratifs de Nice. Journaliste au journal Combat, critique d’art, il s’oppose vivement à l’École de Paris et aux tenants de l’abstraction lyrique et du courant néo-surréaliste.

François Pluchart, en 1971, lors de la création de ArTitudes,

Témoin privilégié des avant-gardes des années soixante et soixante-dix, il s’intéresse à la pratique de ceux qui portent une attention particulière à une réalité « perturbatrice » et « exaltante ». Bien sûr, Ben et les Fluxus niçois l’intriguent fortement. Cette complicité avec les artistes l’incite à mener une réflexion critique et sociologique en étroite symbiose, dont il livrera le fruit dans la revue ArTitudes qu’il crée en 1971 ; elle paraîtra jusqu’en septembre 1977. Ses relations avec les artistes niçois furent parfois très conflictuelles, mais il ne manqua jamais de les signaler…

Quelques textes significatifs

Marcel Alocco, L’Ecole de Nice, 1995.
 Alain Biancheri, André Giordan, Ecole de Nice ; Ovadia, 2007
 Claude Fournet, Jacqueline Péglion (dir), Chroniques niçoises, 1991. Tome 1
 Jacqueline Péglion (dir), Chroniques niçoises, 2001. Tome 2
 Alexandre de la Salle, Catalogues des expositions de la galerie- St Paul (France), 1967, 1977, 1987, 1997.
Catalogue de l’exposition inaugurale du Centre Georges Pompidou, A Propos de Nice, 1977.
 Claude Fournet, Sam Hunter, L’école de Nice et ses mouvements. Exposition
à Nice, musée d’art moderne et contemporain - Expositions itinérantes aux Etats-Unis 1989/1990. Nice, musée d’art moderne et contemporain, 1989.
 Sam Hunter, Origins, artists and major events in l’Ecole de Nice et ses mouvements, MAMAC, Nice (France) 1989.
Robert Pincus-Witten, l’Ecole de Nice, a missing book, ARTS Magazine, janvier 1986.
 Alexandre Sosnowsky, Revue Sud-Communications. juin et septembre 1961.
Edouard Valdman , Le Roman de l’Ecole de Nice, La différence, 1991.

Dans un style très différent, Raphaël Monticelli côtoie l’Ecole de Nice depuis les années soixante. Artiste lui-même, il a participé aux mouvements artistiques et littéraires et a animé des revues et galeries alternatives.

Raphaël Monticelli

Agrégé de lettres, plutôt en recul avec les mœurs du monde artistique, il a préféré privilégier la poésie et l’écriture. Régulièrement, il a mené une activité de critique d’art et a collaboré avec plusieurs artistes dans des œuvres croisées. Sa passion fut et reste l’éducation, il s’est impliqué fortement au Rectorat de Nice dans la réforme de l’éducation artistique et culturelle, tout en conservant « des liens avec la peinture et la litte ?rature, sans quoi l’éducation perdrait son sens » comme il aime à le répéter.

" En quelques mots... L’école de Nice qu’est-ce que c’est ?
D’abord ce qu’elle n’est pas.
L’école de Nice ce n’est pas un ensemble d’artistes ayant en commun un regard sur le monde et une pratique de l’art. Ne cherchez pas dans cette école une unité ou une unicité de tendances. L’Ecole de Nice ce n’est pas non plus une réalité séculaire (remonter aux Bréa relève de la plaisanterie). L’Ecole de Nice enfin, ce n’est pas, l’ensemble de tous ceux qui peignent dans la région niçoise.
L’Ecole de Nice, c’est, en gros, trois mouvements dans l’histoire de l’art de ces quarante dernières années, 4 critères, et pleins de controverses...

1.- Des controverses : depuis celles, classiques, qui consistent à se demander si c’est de l’art, jusqu’à celles qui tournent autour de la paternité du nom. Passons... Je suis de ceux qui aiment se dire que le nom est dû à Raysse... Histoire d’histoire.... pour s’opposer à la notion d’école de Paris... On dit parfois Sosno, certains même Lepage. Bon...

2.- 4 critères :
a) bien sûr faire ou avoir fait une partie significative du travail à Nice ou dans sa région.
b) se tenir distant de tout académisme, de toute convention
c) s’inscrire dans une problématique contemporaine (un peintre impressionniste ou cubiste ou informel ou .... aujourd’hui n’en serait pas)
d) être initiateur (ou moteur) et non suiveur d’un mouvement.
(…)
 R. Monticelli, compilation de textes publiés par R. Monticelli entre 1975 à 1990,
http://membres.multimania.fr/lecair...

Presque 50 ans plus tard, Raphaël Monticelli reste un ardent défenseur de la sus-nommée « Ecole », même s’il en dénonce parfois les travers ou les limites.

« Depuis le milieu des années soixante-dix le mouvement spécifiquement niçois semble s’être essoufflé. Effets de l’institutionnalisation ? Nécessité de bloquer médiatiquement et commercialement un label ? Impact des régressions idéologiques qui frappent l’Europe depuis 15 ans ? Ou, de façon plus optimisme, prolifération de centres de création hors de Paris ce qui fait que Nice n’est plus la seule référence face à la capitale ? Les jeunes artistes continuent recherches et travaux, de Elisabeth Mercier au groupe BP, de Puglisi à Moya... Nice demeure un vigoureux lieu de création... C’est, là encore, l’un des enjeux de notre résistance. »
 R. Monticelli
http://membres.multimania.fr/lecair...

Son apport est d’autant plus important qu’il a toujours cherché à situer cette mouvance dans l’histoire de l’Art d’une part et d’autre part dans un contexte local.
« Nice ce n’est bien sûr pas que l’Ecole de Nice.... C’est aussi tout un système de réseaux... parfois contraignants... qui se sont développés et se développent encore dans l’indifférence, l’ignorance, voire l’hostilité des institutions.
C’est des milliers d’artistes, écrivains aux noms prestigieux ou moins illustres, de Le Clézio à Daniel Biga, Cathy Rémy ou Christian Arthaud, de Le Pillouer à Marylin Desbiolles, c’est des comédiens par dizaines de troupes, des musiciens, des photographes, des peintres et des sculpteurs... C’est des rêves de lieux ouverts et dynamiques, comme le Centre National d’Art Contemporain, le premier en province, ouvert à la Villa Arson, entre 1983 et 1985 par Henri Maccheroni avec la complicité de Michel Butor ou comme celui qui anime aujourd’hui André Riquier ; c’est des galeries qui depuis plus ou moins longtemps défendent l’art contemporain : de La salle, Sapone, Ferrero, Lola Gassin, Latitude, Itinéraires, Anne Roger... C’est des propositions alternatives dans lesquelles on cherche, on trouve, on monte, on se rencontre... comme celles de l’Echappée Belle, de la compagnie des Montagnes scabreuse, de Lieu 5 et du Cairn ou de Calibre 33... »
 R. Monticelli
http://membres.multimania.fr/lecair...

Surgit alors un point non encore abordé dans cette Chronique et peu élucidé, serait-ce un tabou à Nice ?- : et la municipalité de Nice, et ses maires charismatiques, Jean et Jacques Médecin, quels rôles ont-ils joué dans cette saga ?

Suite à la prochaine Chronique…


1 Du moins pour certains d’entre eux qui ne se contentent pas de se répéter, continuent à innover et parallèlement à revendiquer leur appartenance à l’Ecole.
2 « L’école d’art, qui compte Arman, Christo, Niki de Saint Phalle (voir Décembre RT) parmi ses anciens élèves célèbres, a survécu en dépit du scepticisme au début en ce qui concerne ses chances de de survie, et a continué pour atteindre son demi-siècle. » (§trad)

3 Il n’est pas possible de ne pas citer Claude Fournet, conservateur en chef du patrimoine, directeur des Musées de Nice. Une prochaine Chronique le présentera en lien avec son rôle à la Mairie de Nice.
4 Monticelli a été le commissaire d’une exposition internationale itinérante Des Artistes, des Mouvements en collaboration avec le Ministère des Affaires Etrangères en 1996, avec les artistes de l’Ecole de Nice (Arman, César, Bernar Venet, Ben, Louis Cane..).

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Arman au Centre Georges Pompidou 15 septembre 2010 - 3 janvier 2011

Après une première grande rétrospective à Paris, à la Galerie du Jeu de Paume en 1998, le Centre Georges Pompidou consacre une nouvelle exposition à Arman. Cette exposition présente 150 œuvres créées entre les années 1950 et la fin du XXe siècle et de nombreux documents de travail (esquisses, lettre et vidéos).

Armand Fernandez, né à Nice en 1928, connu sous le nom d’Arman, a été un artiste très prolifique. Après des études aux Arts Décoratifs à Nice en 1946, puis à Paris, sa rencontre avec Yves Klein aux cours de judo le fera participer à l’aventure Nouveau Réalisme dès 1960 avec Pierre Restany.
Ses premières recherches passent par l’expérimentation des Empreintes, Allures d’objets, trempés dans de l’encre de chine pour laisser leur trace, et les Cachets qui montrent la répétition d’un signe sur une surface donnée. La première exposition des Cachets a lieu au Grand Hôtel de Nice en 1955. La problématique de l’accumulation apparaît ainsi, et va s’étendre des éléments graphiques aux objets réels : nous sommes alors dans l’appropriation de la réalité, par le détournement des objets, et leur présentation en tant qu’œuvre d’art, incorporés dans du plexiglas. Les références à Schwitters, pour l’utilisation des déchets et à Pollock, pour la composition All Over, sont nettement avouées. Objets de consommation ou autres (masques, moulins à café, objets de luxe ou rares,..), les séries et accumulations se développent avec un certain nombre d’opérations plastiques : divisions, recadrages, fragmentations qui multiplient les relations esthétiques à l’intérieur d’un ensemble répétitif.

Arman, Allure d’objets, 1958 Allure, traces d’objets, peinture sur papier marouflé sur toile 150x294 cm collection Marianne et Pierre Nahon, Galerie Beaubourg. (photo Séverine Giordan)
Arman, Guitare relief, 1962 Coupe de guitare sur panneau de bois 130x97x12 cm (photo Séverine Giordan)

Les Poubelles semblent constituer une variante de cette démarche, et la présentation des résidus appartenant à une personne en particulier - comme il l’a fait avec beaucoup de ses amis artistes, à Nice ou à New York- donne un aspect psychologique à ces installations. L’exposition du Plein à la galerie Iris Clert à Paris en 1960 a consisté au déversement d’une benne à ordure le jour du vernissage et a fait suite à l’exposition du Vide de Klein deux ans auparavant.

Arman, Madison Avenue, 1962 Accumulation d’escarpins dans boîte en bois et Plexiglas 60,5Xx100x15 cm collection particulière, New York (photo Séverine Giordan)
Arman, Solex, ici et là, 1989 Coupe de cinq solex 127X214X77 cm Fondation Cartier (photo Séverine Giordan)

La contrepartie de ses accumulations réside dans l’opposition radicale qu’Arman effectue par rapport aux objets : les Coupes, Colères et Combustions se réalisent en direct devant un public, dans l’esprit des happenings qui se développent aux Etats-Unis à cette époque et sont présentées, figées, comme le résultat d’une action éphémère. Ce sont souvent les instruments de musique qui sont privilégiés (violons, pianos, contrebasses,..) peut-être en raison de son désaccord avec le monde musical, mais aussi certainement par rapport à l’esthétique liée aux résonances cubistes.
Ses pratiques se développent par la suite dans la continuité de ses problématiques, en privilégiant les grands formats au niveau pictural avec les pinceaux accumulés pour ses variations sur l’hommage à Van Gogh : La Nuit Etoilée en 1995. L’échelle devient monumentale pour les volumes lorsqu’il réalise une accumulation de soixante voitures dans du béton pour la Fondation Cartier : Long Term Parking en 1982.

Pour en savoir plus sur le Nouveau réalisme, à paraître aux Editions Ovadia, fin 2010.

http://www.leseditionsovadia.com/bo...

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