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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 15 : Pontus Hultén et l’exposition A propos de Nice (1977) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri

Résumé des chroniques précédentes

Cette chronique continue à « explorer » les personnalités qui ont contribué à faire « voir » l’Ecole de Nice. Sans eux, l’Ecole n’aurait pas le renom qui la caractérise désormais. Avec les journalistes et les galeristes, quelle fut la place des critiques d’art ? Et lesquels ?
Après Pierre Restany, Jacques Lepage et Frédéric Altmann, il est un commissaire d’exposition, curator et directeur de grande institution qui eut une place capitale –si l’on peut dire !- dans cette saga : il se nomme Pontus Hultén.

Pontus Hultén, sur le chantier du Centre du Centre Pompidou, en 1975 (Collection Centre du Centre Pompidou)

Pontus Hultén, est né en Suède le 21 juin 1924. Après une thèse à Paris dans les années 1950 en histoire de l’art, sur Vermeer et Spinoza et une rencontre avec Marcel Duchamp, il fait ses gammes de commissaire d’exposition, en particulier dans la galerie Denise René. Elle passe alors pour la galerie la plus vivante du Boulevard Saint Germain ; on n’y faisait pas qu’exposer de l’art, on discutait d’art, de politique et de bien d’autres choses !.. En 1955, il monte notamment l’exposition « Mouvement » sur les cinétiques.

En 1959, Pontus Hultén retourne en Suède pour diriger le Moderna Museet, un nouveau musée totalement dédié vers les nouvelles créations. Il y fait connaître le pop art en Europe. En 1962, il présente Robert Rauschenberg et Jasper Johns, puis en 1964 Andy Warhol et Claes Oldenburg, etc. Le musée doit devenir pour lui un « espace vivant » ; ses expositions associent la danse, le théâtre, la sculpture, le film et la peinture.

Entrée du Moderna Museet à Stockolm

Lors d’un voyage à Stockholm, Georges Pompidou –alors premier ministre et grand amoureux de l’art contemporain - et sa femme Claude visitent le musée et rencontrent son directeur. Ils l’apprécient aussitôt pour ses idées décalées en art. Et au début des années 1970, Pontus Hultén est appelé pour prendre la direction artistique du futur Centre Beaubourg – aujourd’hui le Centre Georges Pompidou-.
Cette décision suscite immédiatement un tremblement de terre dans les milieux artistiques… français ! C’est ainsi…

« Il aime mettre le nez dans tout ce qui est caché derrière l’art, notamment les recherches sur les nouveaux matériaux. Il est pragmatique de la main gauche et idéaliste de la main droite ».
 Renzo Piano, architecte à propos de Pontus Hultén

Et L’Ecole de Nice ?..

Mais quelle relation entre un Pontus Hultén, la Suède, Georges Pompidou devenu Président, le centre Beaubourg et… l’Ecole de Nice ? En France, l’art contemporain est à cent lieues derrière son époque et son musée national est à son image. Le seul pôle où il émerge avec brio est… Nice… Le nouveau directeur du Musée national d’art contemporain -en création- souhaite monter une institution résolument contemporaine. Pour combler les lacunes les plus criantes de ses collections, il achète bien sûr du dadaïsme, du surréalisme, de l’abstraction. Il complète avec de l’Action Painting et du Pop Art américain. Puis il se tourne vers Nice… sous le charme des actions Fluxus et compagnie.

En 1975, Pontus Hulten acquiert le Magasin du 32, rue Tonduti de l’Escarène à Nice, celui de Ben… Il le remontera pour le Centre Georges Pompidou dans les espaces permanents. Par la suite, il s’intéresse de près au mouvement Supports-Surface, avec Viallat et ses acolytes. Il n’oubliera pas non plus les niçois de la première heure : Klein, Arman, Raysse et César.

Boutique Ben, actuellement présentée au Centre Pompidou à Metz (Boutique Ben, détail)

Pour l’inauguration du Centre Pompidou, en 1977, il confiera à Ben Vautier la lourde charge de préparer l’exposition temporaire. Moult discussions conduisirent à l’appeler A propos de Nice . Après s’être fait un peu prier –du moins pour la forme !- la plupart des jeunes artistes de l’Ecole de Nice décident d’y participer.
Une nouvelle étape dans la « visibilité » de l’Ecole est franchie… Elle passa ainsi par la Suède, Georges Pompidou et… Paris ! Le dénominateur commun, le parcours d’un homme atypique : Pontus Hultén.

Ben (Boutique - détail)

« Pontus Hulten, directeur de Beaubourg, est un des rares conservateurs de Musée courageux qui n’a pas peur de mettre de la création dans un musée, et non pas uniquement de la consécration. Un homme de la trempe de Szeemann.
Il achète mon Magasin (L’art marchant un tout petit peu mieux. Je décide de démonter mon magasin pour pouvoir l’exposer.) Ce qui devient une des plus grandes pièces de Beaubourg. »
 Ben, site

LA LISTE DES ARTISTES CHOISIS EN 1976
par Ben Vautier pour l’exposition A propos de Nice (1977)

 Marcel Alocco
Né en 1937 à Nice, habite, travaille et enseigne à Nice

 Arman
Né en 1928 à Nice A organisé le premier bal des Arts Décoratifs Habite Villefranche et y travaille du début 1966 à la fin 1967

 George Brecht
Né en 1925 à Halfway Orégon Habite Villefranche et y travaille du début 1966 à la fin 1967

 Louis Cane
Né à Beaulieu sur Mer en 1943 A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice Est resté à Nice jusqu’en 1964

 Louis Chacallis
Né en 1943 à Alger A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice Vit et travaille à Nice

 Max Charvolen (Groupe 70)
Né le 10 décembre 1946, à Cannes (A.-M.) A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice (Renvoyé) Vit et travaille dans la région niçoise

 Albert Chubac
Né en 1925 à Genève (Suisse) A fréquenté les Beaux Arts de Genève
Vit et travaille à Aspremont depuis 1952

 Erik Dietman
Né en 1935, à Jon Käping, Suède A vécu à Nice, Villefranche sur Mer, Tourettes sur Loup, Entrecasteaux Vit et travaille à Entrecasteaux

 Noël Dolla
Né le 5 mai 1945 à Nice A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice (Renvoyé)
Vit et travaille à Nice

 Jean-Claude Farhi
Né à Paris en 1940 A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice Vit et travaille à Nice depuis 1958

 Robert Filliou
Né dans les Cévennes Vit et travaille dans la région de 1965 à 1968 Revient à Saint- Jeannet. Actuellement vit et travaille à Flayosc

 Roland Flexner
Né à Nice le 2 décembre 1944 Vit et travaille à Nice

 Claude Gilli
Né le 15 septembre 1938 à Nice Vit et travaille à Nice et à Paris

 Vivien Isnard
Né le 4 septembre 1946 à Forges les Eaux A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice Vit et travaille à Nice, depuis son enfance

 Yves Klein
Né le 28 avril 1928 à Nice Etudes à l’Ecole Nationale de la Marine Marchande et aux Langues Orientales de Nice A travaillé à Nice entre 1948 et 1956 Mort le 6 juin 1962

 Rotraut Mocquay-Klein
Née le 27 novembre 1938 Habite à Nice de 1957 à 1958

 Serge Maccaferri (Groupe 70)
Né le 13 décembre 1945, à Troyes A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice (Renvoyé) Vit et travaille à Nice depuis 1960

 Robert Malaval
Né à Nice le 29 juillet 1937 Etudes secondaires au Lycée Félix-Faure Vit et travaille dans la région niçoise jusqu’en 1963

 Jacques Martinez
Né à El Biar, Algérie Habite Nice par intermittences depuis 1958

 Jean Massa (dit Jean Mas)
Né à Nice en 1946 Vit et travaille à Nice Travaille à I’E.D.F.

 Jean Mas (Photo Séverine Giordan, 2007) extrait de Emergences Jean Mas, Ovadia, 2010

 Martin Miguel (Groupe 70)
Né le 14 février 1947 à Nice A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice (Renvoyé) Vit et travaille à Nice

 Serge Oldenbourg (dit Serge III)
Né en 1927, à Meudon Habite et travaille à Nice depuis 1950

 Bernard Pagès
Né en 1940 à Cahors (Lot) Habite la région niçoise depuis 1964

 Pierre Pinoncelli
Né le 15 avril 1930, à Saint-Etienne Vient habiter Nice en 1967 Vit et travaille à Saint-Rémy-de-Provence

 Martial Raysse
Né à Golfe-Juan, le 12 février 1936 Travaille et expose dans la région jusqu’en 1962

 Patrick Saytour
Né le 18 septembre 1935 à Nice Enseigne à l’Ecoie Municipale de dessin de Nice Vit à Nice

 André Valensi
Né à Paris, en 1947 A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice Parti de son plein gré Habite Nice de 1962 à 1973 Enseigne à Perpignan

 Ben Vautier
Né à Naples en 1935 Vit à Nice depuis 1949 N’a jamais fréquenté les Arts Décoratifs, mais aimerait y enseigner

 Bernar Venet
Né en 1941, à Saint-Auban Vit et travaille à Nice entre 1958 et 1966 A fréquenté les Arts Décoratifs de Nice

 Claude Viallat
Né en 1936, à Nîmes Professeur aux Arts Décoratifs de Nice jusqu’en 1967 A travaillé et vécu à Nice entre 1964 et 1967

Liste des artistes choisis pour l’exposition par Ben Vautier, Commissaire de l’exposition.
http://www.ben-vautier.com/ecole-de...

1- Il avait déjà acquis nombre d’œuvres de l’Ecole de Nice pour sa Musée de Stockholm, toujours bien présentées de nos jours.

2- À propos de Nice a déjà été le titre d’un film muet réalisé en 1929 par Jean Vigo et Boris Kaufman et sorti l’année suivante. Il sera repris comme titre pour un Cahier de J.-M.G. Le Clézio. Numéro 1/2008 au Éditions Complicités, 212 p

3- Cette liste sert souvent de référence pour dire « qui est et qui n’est pas » de l’Ecole de Nice. On peut remarquer que Nivèse n’était pas présente. Elle ne sera « admise » que plus tard. Un autre femme est présentée alors : Rotraut, de son nom de naissance, Rotraut Uecker. Elle fut l’épouse d’Yves Klein ; elle s’est ensuite mariée à Daniel Moquay et a disparu de l’Ecole : elle vit en Arizona !

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Interprétation d’une oeuvre

Martin MIGUEL (1947- )

Martin Miguel, né le 14 février 1947 à Nice, étudie à l’Ecole des Arts Décoratifs rue Tondutti de l’Escarène. L’enseignement de Claude Viallat, membre de Supports/Surfaces, va l’influencer dans sa démarche et l’artiste travaille sur les constituants matériels de la peinture. Renvoyé avec Dolla, Isnard et Maccaferri, il poursuit ses études aux Beaux-arts d’Aix-en-Provence. De retour à Nice après son service militaire, il retrouve Alocco, Dolla et Maccaferri et rejoint le groupe INterVENTION jusqu’en 1973. l’artiste participe activement au Groupe 70 et à ses manifestations telles que INterVENTION 70 – en 1970 - ou Groupe 70 - en 1976 - à la galerie Alexandre de la Salle à Saint-Paul de Vence. Il imprègne de couleurs arbitraires des parallélépipèdes en polystyrène ou en bois en différenciant les volumes concomitants. Dès la fin des années soixante-dix, le niçois présente une série de toiles marquées de traces d’éléments naturels (branches, pierres, parties de corps du peintre). Dans les années quatre-vingt, il participe au boum des galeries associatives et monte le Lieu 5, rue Pairolière à Nice avec Marcel Alocco, Max Charvolen, et Raphaël Monticelli puis l’Hermerie le Cairn en 1988, rue Reine-Jeanne avec Max Charvolen et Serge Maccaferi et enfin l’association Le Cairn de 1988 à 2001. Martin Miguel contribue activement à la créativité de la région et possède une place non négligeable dans l’Ecole de Nice.

Martin Miguel, “Sans titre” - 1998 Bois, béton armé, suie à l’huile de lin 154 x 48 x 21 cm - Coll. MAMAC, Nice (photo Séverine Giordan)

Description / interprétation

Cette œuvre se présente sous la forme d’un assemblage disparate de bois, de béton armé et de suie ou de goudron. L’ensemble pourrait provenir de l’édification d’un mur, car les éléments constitutifs sont imbriqués dans un esprit de construction : l’interpénétration des éléments et le rapport évident avec la relation tenon/mortaise renvoie à la pratique du maçon. En fait qui tient quoi, et quel est le véritable rapport logique entre ces matériaux ? Leurs possibilités de solidité, de résistance et de soutien semblent mises en évidence par Martin Miguel qui poursuit ses recherches matériologiques sur le béton, le bois et ses combustions au travers du thème du mur ou du bâti. Cependant l’assemblage et le détourage des formes ôte toute ambigüité sur le coté pratique de cette réalisation. Quelle est sa fonction ? La relation entre les différents éléments peut aussi être interprétée comme un rapprochement insolite de matériaux détournés de leur fonction, dans le plus pur esprit surréaliste, comme le pratiquaient aussi les Nouveaux Réalistes qu’a pu fréquenter l’artiste dans les années 70. Au delà de l’insolite, la métaphore sexuelle paraît évidente à travers une double lecture telle que les aimait Dali, en donnant un caractère érectile au bois et en transformant la dureté du béton en réceptacle féminin. Renversement des spécificités pour interroger le spectateur ?

Morphologie

Le rapport formel entre les trois matériaux souligne leur identité en les opposant : la droite et l’orthogonalité pour le béton, la courbe ou la ligne incurvée pour le bois et la suie. Les contours accidentés de celle-ci mettent en évidence la rigueur des bords du béton, métaphore de la toile du peintre : le rectangle frontal devient le lieu d’expérimentation, des variations d’imprégnations d’un matériau sur l’autre et adopte un statut pictural par ses relations formelles. Il est aussi l’endroit privilégié des références picturales qui vont de l’Informel à l’abstraction lyrique par le jeu des graphismes noirs opposés à la neutralité des zones de repos. D’autres dichotomies fonctionnent aussi sur les différents supports : présence/absence, apparition /disparition, haut et bas, continu discontinu avec l’élision du bois et sa mutation, souplesse et rigidité. Ces notions, réparties dans le rythme ternaire des matériaux présentés, confèrent un statut plastique à cette œuvre qui pourrait endosser le statut de bas-relief.

Chromatisme/matérialité

Martin Miguel entame une réflexion sur l’inscription de la couleur sur divers matériaux ou supports, de manière méthodique et rigoureuse. Le rapport matériau/couleur est redéfini. La couleur devient fonctionnelle - elle est la marque d’une opération - et non plus lieu de projection subjective. Cependant les rapports chromatiques, comme l’élément rose pale au centre du rectangle gris, prolongé verticalement par les ocres subtils du bois vertical équilibrent harmonieusement les relations formelles. Les matières se répondent aussi par leur contiguïté : le mat et le brillant, le lisse et le rugueux, le concave et le convexe ; autant de contrastes qui exaltent les propriétés des matériaux et leur prégnance visuelle.
Martin Miguel interroge la notion de représentation, comme beaucoup d’autres artistes de l’Ecole de Nice, et en particulier Klein - qui a beaucoup compté pour lui et qui travaille aussi sur les notions de présence/absence - et poursuit ses recherches. A mi-chemin entre peinture et sculpture ou bas-relief, son travail reste axé sur les possibilités des matériaux et des couleurs.

Artiste(s)