Les artistes de l’Ecole de Nice ne se sont pas limités à réaliser des œuvres ou des interventions plastiques. Certains d’entre eux ont « mouillé leur chemise », et de diverses façons, pour faire connaître ce mouvement niçois. Parmi ceux-ci, les uns se sont contentés de faire des happenings comme Serge III ou Pinoncelli, d’autres ont usé de leur notoriété, notamment à l’étranger, pour faire parler d’eux et de l’Ecole. Ce fut surtout le cas d’Arman. Klein qu’on avait récupéré dans cette mouvance après son décès servit toujours de « phare » ou de « grand frère »… D’autres encore eurent d’autres positionnements. Prenons quatre exemples, parmi les plus significatifs, les plus impliqués : Sosno, Ben, Alocco et Mas.
Sacha Sosnovsky
Sosno, de son nom Sacha Sosnovsky, fit la connaissance d’Yves Klein et d’Arman dans les années cinquante. Leur rencontre lui fait brûler la majorité de ses toiles "abstraites" de l’époque ! Toutefois, avant de devenir l’artiste que l’on connaît, Sosno travaillait comme journaliste et photographe.
Et en 1961, il crée avec Alex Lauro, la revue Sud-Communications. Dans le numéro de juin de la même année, il énonce la première théorie de "l’Ecole de Nice"… non pas en tant qu’artiste mais comme chroniqueur. Pour lui, « L’ECOLE NIÇOISE veut nous apprendre la beauté du quotidien. FAIRE DU CONSOMMATEUR UN PRODUCTEUR D’ART. »
C’est en 1959 qu’Arman accomplit son grand geste en S’APPROPRIANT LES POUBELLES. Depuis longtemps, ce peintre avait été fasciné par les déchets, les ordures, les papiers gras, les objets abandonnés, déjà utilisés par des artistes comme Kurt Schwitters, Duchamp, Arp, Picabia, mais dans un esprit tout à fait différent. Arman n’utilise plus ces objets d’une manière littéraire et analogique, mais bien pour ce qu’ils sont en soi, en les mettant EN VRAC dans des cuves de verre (Exposition de Dûsseldorlf en 1960).
Il s’aperçut aussi du pouvoir étrange de L’ACCUMULATION d’un même objet dans une cuve. Et il émit alors le postulat suivant : « Mille ressorts de montres sont plus ressort de montre qu’UN ressort de montre ». Maintenant ses oeuvres se vendent aux alentours du demi-million d’anciens francs.
Martial Raysse lui, a été, après de solides études secondaires, étudiant en lettres et aussi champion d’athlétisme. Il abandonna la littérature pour la peinture et en quelques années il arriva à être un des meilleurs peintres abstraits sur la Côte d’Azur et ses oeuvres commençaient à avoir une excellente cote quand il remit toute sa carrière en question, fasciné par la beauté brute du plastique, beauté existant tout naturellement DANS LES OBJETS LES PLUS USUELS. Les grands magasins à prix uniques devinrent son royaume. Un quart d’heure avant l’ouverture de son exposition à Milan (1961), toutes ses oeuvres en plastique étaient vendues à des collectionneurs. Il confirma ainsi pour sa part LA THEORIE DE L’ECOLE DE NICE SUIVANT LAQUELLE LA VIE EST PLUS BELLE QUE TOUT.
A notre époque, des Niçois comme Jefe et surtout Ben se livrent à des travaux d’une grande importance théorique, particulièrement Ben avec ses Écrits où il renouvelle, en les trempant dans le réel, les procédés de peinture lettriste.
L’ECOLE NIÇOISE veut nous apprendre la beauté du quotidien. FAIRE DU CONSOMMATEUR UN PRODUCTEUR D’ART. Une fois qu’un être s’est intégré dans cette vision, il est très riche, pour toujours. Ces artistes veulent s’approprier le monde pour vous le donner. A vous de les accueillir ou de les rejeter.
– Sacha Sosnowsky
In Sud-Communications
n°108 bis, 1961
Et tout au long de sa carrière, Sosno aura le souci en plus de parler de son œuvre de présenter les artistes de l’école de Nice. Il avance même une liste par générations :
« Yves Klein, Arman, Martial Raysse (1ère génération) et Ben, Malaval, Venet, Fahri... (2ème génération), je me situe dans cette deuxième génération. ». Pour lui, la troisième génération comprenait : Alocco, Cartier, César, Chacallis, Charvolen. Chubac, Dolla, Flexner, Gilli, Isnard, Maccaferri, Mas, Mondonça, Miguel, Nivese, Pagès, Pinoncelli, Rottier, Serge III, Sosno, Venet ».?
Il ajoute même :
« On aurait pu rajouter entre autre : Biga, France Raysse, Conodom, Taride, Vernasse, Cane, Tasic, Ultra Violet, Delich, Boisgontier etc...etc... (le groupe B.P... le groupe Support-Surface peuvent être considérés comme des "astronomes" de l’Ecole de Nice...) ».
Notamment à son sujet, il multipliera les articles et les interviews :
Dès que l’on présente des peintres d’avant-garde Niçois, le terme d’Ecole de Nice semble s’imposer à tous. »
Sosno.
« Tout le monde verra une sculpture de Martial Raysse dans un rayon de magasin à prix uniques, toutes les ménagères auront des Arman dans leurs poubelles, et les ouvriers
des concerts dans leurs usines »
Sosno
Attention : Ecole de Nice ! Une anomalie statistique...
L’école de Nice est une anomalie ; c’est d’abord une anomalie statistique : pourquoi cette région depuis 1961 produit-elle 40% de la peinture et de la sculpture européenne ? Personne ne répond exactement encore à cette question. Peut-être est ce parce que l’Ecole de Nice est toujours vivante ? Nous en sommes en effet à la 8ème génération depuis 1961.
En juin 1961, j’ai présenté une première théorie (1) sur l’Ecole de Nice axée sur Yves Klein, Arman, Martial Raysse (1ère génération) et Ben, Malaval, Venet, Fahri... (2ème génération). Je me situe dans cette 2ème génération. Ai-je élucidé le "pourquoi Nice ?
Une explication est la qualité de la lumière et de l’environnement. Mais le soleil brille aussi à San Remo à Toulon ou à Perpignan...(2) Ensuite, tous les artistes contemporains travaillent plutôt à la lumière électrique, et leurs ateliers sont très souvent tournés vers le Nord !
Alors serait-ce le mécénat local ? Non, il n’y a que depuis 3 ou 4 ans que des collectionneurs locaux ont émergé et que les pouvoirs publics ou municipaux aident l’art contemporain, aucun niçois n’a jamais acheté un Matisse ou un Klein. Or un "relief éponge" est coté aujourd’hui 2 à 3 millions de dollars...
Vues mais pas connues...
Une autre explication serait la présence sur la Côte d’Azur de Picasso, Matisse, Léger, Renoir, Chagall, Bonnard...Mais cela n’est toujours pas la raison car l’Ecole de Nice avait peu de contacts avec eux sinon aucun. Par ailleurs, on peut se demander pourquoi ces grands maîtres du passé sont venus travailler et, souvent, mourir ici ? Le mystère reste entier.
Ensuite, on peut remonter aux Russes et aux Anglais qui ont fait au 19ème siècle le Nice moderne. Et pourquoi pas aux Grecs et aux Romains qui l’ont fondé dans l’Antiquité ? Et là, on n’aura rien expliqué du tout.
L’autre anomalie de L’Ecole de Nice est que contrairement à l’Ecole de Barbizon, aucune œuvre d’un artiste ne ressemble à celle de l’autre. L’Ecole de Nice, depuis 61, a illustré tous les courants de l’art moderne, par exemple le pop art, les nouveaux réalistes, Fluxus, l’art brut ou les néo-classiques.
Quelle luxuriance !
Nous nous trouvons face à un phénomène étrange qui jusqu’à ce jour n’a été analysé ni par les historiens d’art ni par les experts. Ce qui a permis au grand critique d’art américain Robert Pincus-Witten de dire "l’Ecole de Nice : The missing book".
– Sacha Sosno, ?St Romain de Bellet, in Art-Sophia, 1998
(1) Revue "Sud-Communication" Juin et Octobre 1961.
(2) Et il n’y a pas d’Ecole de Marseille, d’Hyères, de Nîmes ou Gêne (malgré la présence d’individualités fortes).
Et BEN…
Ben fut de tous les combats ! A partir de 1962 et jusqu’en 1970, la rue Tondutti de l’Escarène où se trouvait le magasin de disques de Ben était le « passage obligé ». Il fut un lieu incontournable de rendez-vous, de rencontres et de discussions pour les artistes et futurs artistes de l’Ecole de Nice.
Ben se trouve toujours sur le trottoir, sa caisse autour de la taille ; il surveille les étalages de disques et fouille à la sortie. Il interpelle et provoque au passage ; les jeunes artistes viennent s’y frotter. Souvent, ils attendent la fermeture pour aller boire un pot dans un bistrot pas très loin, l’Eden Bar.
Parallèlement, Ben et Robert Erébo édite la revue « Ben Dieu » avec le chapitre : « Moi, Ben, je signe ». C’est une liste de déclarations d’appropriations. Venet, Alocco, Massa (dit Jean Mas) et bien d’autres se sentent pousser des ailes à son contact. Ben les parraine, les entoure et les encourage. Serge Oldenbourg (dit serge III) fauché lui « vend son âme » pour 20 F !
Ben, Bozzi, Erébo, Pontani, Dany Gobert et Annie fondent le Théâtre Total. Et de 1963 à 1965, ce seront des « pièces de rue » sur la Promenade des Anglais, ainsi que de nombreuses interventions chez Emmaus (à Saint André qui ne s’appelait pas encore de la Roche) et à la gare SNCF.
Ben est partout : Ben traverse le port de Nice à la nage. Ben signe Nice comme oeuvre d’art ouverte, avec vente de terre sur le Mont Boron. Sur invitation de Jacques Lepage et Paul Mari, alors maire, Ben, Maciunas, Erébo et Bozzi donne un concert Fluxus dans le village de Coaraze.
Cette animation permanente menée par Ben et ses acolytes fait connaître l’Ecole de Nice. Pas à Nice… le climat social est encore trop décalé, mais par le monde artistique. Le célèbre critique d’art, qui a défendu avec passion l’art contemporain dans les colonnes de l’Express pendant un quart de siècle lui consacre un article. Les actualités Gaumont réalise un film sur Nice avec Arman, Ben, Raysse, Gilli, Venet et Fahri. Jacques Lepage écrit dans les Lettres Françaises.
Infatigable, Ben, à travers ses interventions et les « expositions » qu’il organise dans sa boutique « la Galerie Ben Doute de Tout » continuera à faire le tam-tam avec obstination sur l’Ecole… jusqu’à aujourd’hui… avec ses expositions , sa deuxième boutique –« le Centre du monde » rue du lycée à Nice, "le Centre du monde" dans les années 95, ses rétrospectives et son site où l’Ecole de Nice reste un élément central.
Suite dans la prochaine chronique… avec Alocco et Jean Mas.
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