Résumé des chroniques précédentes :
Les tout débuts de l’Ecole de Nice sont difficiles à dater. Impossible de mettre une date précise ; en tout cas sûrement pas 50 ans !.. (voir Chronique 3. http://www.artcotedazur.fr/ecole-de...,1667.html) L’important n’est pas là, son démarrage fut l’objet de jaillissements originaux et de multiples cristallisations en tous sens qui se sont passés à Nice et dans son Comté.
Mais pourquoi une telle émergence de formes, d’idées, de comportements ? Pourquoi autant d’originalités en si peu de temps ? Et surtout que voulaient dire ces artistes ?
Une direction multiple
L’Ecole de Nice est composée de compressions, d’accumulations, d’oblitérations néoclassiques, de restes de repas, de collages, de déchirements, d’extensions, de cinétique, de tissages, d’assemblages géométriques, de coulées, d’arcs minimalistes, de patchworks, de tas de charbon, de bois brûlés, de traces de vent, de corps de femmes ou d’escargots, etc, Elle s’exprime encore à travers des monochromes bleu, rose, or, des ombres, des paillettes, du vide, des cages à mouche, un attentat culturel, des boutiques, des déménagements, un théâtre total, des madones, et plus tard du numérique, etc, etc.…
Inutile de chercher « la » direction, elle est multiple ; leur message n’est pas ni dans la forme directe, ni dans un concept particulier.
« Enfant » de Duchamp, de Malevitch, au croisement du Dadaïsme bien qu’ils s’en défendent, les artistes de l’Ecole de Nice « souhaitaient » contester l’art dans lequel ils baignaient. Leur projet est habituel dans le domaine ; leur approche toutefois est tout azimut et hors cadre !
Dépoussiérer le monde de l’art
Jusqu’aux années 50, la peinture, la sculpture, la décoration ou l’architecture constituaient des genres bien définis. Pour dépoussiérer le monde de l’Art qu’ils trouvent insupportables, ils se lancent à corps perdus, et souvent par défi entre eux, sur les obstacles pour les renverser. L’éclatement des catégories artistiques, amorcée depuis quelque temps, arrive à son point culminant. Avec eux, la notion de « genre » est totalement mise à plat. Les peintures deviennent des « sculptures » ou des « récits ». On déchire les tissus pour les reconstituer autrement. Les techniques d’imprégnation de la couleur sont sans cesse renouvelées. On explore la peinture sur peinture, mais aussi la solarisation de la toile, l’imprégnation, la capillarité de la peinture, la teinture à l’éponge. On pratique volontiers l’assemblage cousu de surfaces peintes. Le théâtre devient un évènement artistique et les spectateurs, des acteurs. Le visiteur devient auteur, le corps de la femme devient pinceau tout comme le pied de l’escargot. On peint à la carabine, au lance-flamme, l’incertitude est au rendez-vous. Apparaissent des sculptures, mi-poème, mi-peinture, des poèmes qui lorgnent du côté de la peinture, et vice versa.
« Du coup, je faisais miens les mots liberté d’expression, et entrais en rébellion contre les professeurs de l’Ecole qui s’obstinaient à ne rien vouloir nous enseigner d’autre que la tradition »
Jacques Dopagne, Connaître la sculpture de Claude Gilli, Ed. François Rolin - 1990 - p.5
L’art sous le sceau de la nouveauté
La décoration, elle, est totalement rejetée : trop vieillotte ! Bien qu’elle transparaisse souvent dans leur travail ! Tout l’art doit s’écrire sous le seul sceau de la « nouveauté », les formes classiques sont détruites ; le plus souvent détournées ou intégrées en fait. Pas évident de tout déconstruire ! Tout doit être pensé dans la « modernité », les artistes se doivent d’être à « l’avant-garde »… du monde nouveau. Le travail d’Arman par exemple -du moins à ses débuts- n’est que « colères », rage, explosions, coupes, vandalisme, destructions, fracas, projections, dislocations, etc.
Une violence inéluctable s’abat sur de rutilantes voitures de sports ou d’honorables instruments de musiques. Une violence qui contamine même le public des happenings où s’opèrent des sacrifices d’objets symboles. Pierre Pinoncelli en fera son « œuvre » sensu stricto… en s’en prenant directement à un ministre, et pas n’importe lequel, André Malraux venu inaugurer sur les terres niçoises le musée Chagall. Il sera recouvert de peinture rouge… L’art devient action, comportement et attitude…
« Bouffon pour les uns, énergumène pour les autres, cet "arteur" éprouvé est un des plus héroïques inventeurs de happenings. Gifles au goût du public, ses interventions perturbent nos attitudes et notre bonne conscience, et accomplissent dans le paroxysme le comportement de DADA et la provocation futuriste... Pinoncelli a rendu l’art inséparable de la vie et il faut qu’on sache que, de tous les artistes de comportement, il est le seul à oser se compromettre hors du monde clos et douillet des Musées et des Galeries. »
Bernard Ceysson, Saint-Etienne 1976
Les matériaux nobles de l’art sont eux-mêmes contestés ; les Nouveaux réalistes de l’Ecole de Nice renoncent au bronze et à pierre… Ils lui préfèrent la tôle ou le ciment, les matériaux industriels et surtout… les poubelles. Les Fluxus de Nice réfutent les expositions et les musées ; ils exposent dans la ville : une boutique, la gare, la plage, chez les Emmaüs ou les petits villages alentour. Les installations doivent devenir « in situ » ; l’artiste devient plus important que l’œuvre qui se voulait éphémère.
Avec Supports/Surfaces, le châssis traditionnel est directement remis en question : Buraglio récupère des morceaux de toile et des éléments de fenêtre qu’il assemble. Dezeuze dissocie la toile du châssis. Viallat emploie des matériaux de récupération, toiles de bâche, parasols, tissus divers, corde nouée ou tressée.
Marqueurs de leur identité, les supports des œuvres sont diversifiés : bâches, toiles de voiles, de parasols, de tentes… Le support favori devient la toile libre de tous châssis ; elle peut rester flottante, et donc peut être pliée, roulée, posée par terre, accrochée directement au mur, au sol ou au plafond. Dans le même temps, ce mouvement explore toutes les possibilités de la récupération : vieilles couvertures, rideaux, nappes, revêtement de chaises, bâches de bateaux, tentes militaires, vêtements, parasols.
« Il est donc possible de ne pas signer et dater un produit, de le réaliser d’une manière primaire et facilement reproduisible, de ne pas le particulariser, de ne pas l’arrêter dans le temps en n’en rendant possible qu’une des apparences à la fois, en n’assurant pas la conservation des matériaux et des couleurs et en jouant sur la modification possible. »
(…) Considérant ses propres "tableaux–pièges" comme une information et une provocation qui incitent à regarder ce à quoi on ne prête généralement pas attention, il précise ainsi son projet : "Tableau–piège : des objets trouvés au hasard, en ordre ou en désordre (sur des tables, dans des boîtes, dans des tiroirs, etc.) sont fixés ("piégés") tels quels. Seul le plan est changé : dès lors que le résultat est appelé tableau, ce qui était à l’horizontale est mis à la verticale. Par exemple, les restes d’un repas sont fixés sur la table même où le repas a été consommé, et la table est accrochée au mur. Tableau–piège au carré (tableau–piège d’un tableau–piège) : les outils utilisés pour fixer les objets sont eux–mêmes piégés en même temps que les objets dans la position qui était la leur à un certain moment de la prise au piège. Travailler à partir de situations fortuites implique que l’on accepte le hasard comme un collaborateur, même lorsque le résultat premier a été atteint ; il en est de même des modifications apportées par le temps, l’eau, la corrosion, la poussière, etc." Otto Hahn, Daniel Spoerri, Paris, Flammarion, 1990, p. 168.
L’objectif de l’Ecole de Nice était double. D’abord pédagogique, ils tentaient de mêler les arts plastiques à la vie quotidienne, à l’espace de la ville, et pour certains d’éveiller les personnes ou du moins les « masses » comme on le croyait alors. Par là, il était politique, et d’autant plus comme l’écrit Viallat qu’ils voulaient « faire sortir la peinture de circuit marchand traditionnel et trouver d’autres lieux d’expositions » . De fait leurs projets étaient implicitement plus ambitieux…
Suite à la prochaine chronique...
Informations pratiques :
Alain Biancheri, André Giordan et Rébecca François (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.
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