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ECOLE DE NICE - Chronique 28 : Les « anciens » issus du Nouveau Réalisme - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

L’Ecole de Nice !!! Quel a été son apport au monde l’art ? Et à la société tout simplement ? Quelles ont été leurs remises en question par rapport au contexte de l’époque ? Les apports de la mouvance Supports-Surfaces, et ceux de Fluxus-Nice ont fait l’objet des Chroniques précédentes.
Remontons encore le temps, pour aborder les « anciens » de l’Ecole, comme on les appelait dans les années 70...

Nice et son ancien Comté ont favorisé l’éclosion de mouvements contemporains dans les années 60/70. En fait, tout a commencé dans les années cinquante, mais sans lien direct avec une quelconque départ de l’Ecole de Nice. On parle alors de groupe Triangle, puis plus tard de Nouveau Réalisme (NR), un groupe très parisien !
Il se trouve seulement qu’Yves Klein, Armand Pierre Fernandez – il se fera appeler Arman bien plus tard- et Martial Raysse sont trois copains, et tout trois sont originaires de la région de Nice. Tous trois s’essaient dans… l’Art sans succès... Ce qui les rassemblait, le judo, la plage, les « filles » et les... apéros...

La « partie niçoise » du Nouveau Réalisme

Restany photographié par Arman, 1961

En 1955, Yves Klein expose des monochromes de différentes couleurs (orange, vert, rouge, jaune, bleu, rose), sous le titre Yves, peintures, au Club des solitaires. Afin d’éviter toute « touche » personnelle, ce qui deviendront plus tard des œuvres, sont peintes au rouleau !.. Au Salon des Réalités Nouvelles, organisé par le Musée des Beaux Arts de la Ville de Paris, elles ne seront pas retenues. Klein refuse d’y ajouter, comme on le lui propose, une seconde couleur, une ligne ou un simple point ! Inébranlable, l’artiste ne croit qu’à la « couleur pure ». Elle représente le « tout » en elle-même pour lui.

Ancien élève de l’Ecole des arts décoratifs de Nice puis à l’Ecole du Louvre, Arman délaisse la peinture pour la sculpture en 1954. Dès lors il va se spécialiser dans le recyclage d’objets hétéroclites, empilant, brûlant et assemblant fourchettes, fers à repasser, pots de peinture, violons, vélos et masques à gaz.
Après de solides études de lettres tout en pratiquant l’athlétisme à haut niveau, Martial Raysse se détourne de la peinture toujours pour réaliser des assemblages de détritus et d’objets divers présentés dans des boîtes de plexiglas. Fasciné par la beauté des objets en plastique, il écume les grands magasins à prix unique et développe son concept « d’hygiène de la vision » pour dénoncer la nouvelle société de consommation.
Tous trois, sous la houlette du critique d’art Pierre Restany, fondent le groupe des Nouveaux Réalistes en octobre 1960, aux côtés de François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely et Jacques Villeglé, rejoint plus tard par César, Mimmo Rotella, Niki de Saint Phalle, Christo et Gérard Deschamps.

Chronologie des rencontres entre les artistes du NR et avec Restany En bleu les niçois. La flèche indique l’importance des rencontres et/ou le sens de l’interaction.
Niki Saint phalle, Miles Davis, devant l’Hôtel Negreso à Nice (photo Séverine Giordan)

Leur notoriété sera immédiate, intense et internationale. Ainsi quand l’Ecole de Nice commence à faire parler d’elle, ils seront immédiatement mis en avant comme « phare » ou « porte-parole » de cette mouvance. Ainsi, ils deviendront la « partie niçoise » du Nouveau Réalisme, classification qui leur est restée… Puis quand ce groupe aura moins la côte dans les années 70, malgré l’insistance de leur mentor de critique, Pierre Restany, Arman et Raysse feront une immense carrière personnelle –Klein décèdera en 1962, tout en étant rattachés dans l’esprit des critiques à la mouvance de Nice.
César Baldaccini, dit César, le marseillais, sera par la suite incorporé dans le groupe des niçois du NR, puis dans l’Ecole de Nice. Niki Saint Phalle, par ses attachements à Nice, aurait dû également être incorporée dans cette Ecole. Elle ne le fut pas à l’époque… Elle le pourrait aujourd’hui.

Les apports du Nouveau réalisme niçois

L’héritage de Marcel Duchamp est évident et la remise en cause du traditionnel langage plastique aussi :
"chaque protagoniste s’affirme au départ par un geste extrême d’appropriation du réel sur lequel il fonde ensuite tout le système syntaxique de son langage"

 Pierre Restany, L’autre face de l’art, Inter : art actuel, n° 85, 2003, p. 14-15 .

Arman, Vitrine de l’exposition le Plein 1960 Galerie Iris Clert , Paris

Le support, d’abord, n’est plus l’espace pictural matérialisé par la toile, le papier, le mur... c’est-à-dire une surface sur laquelle le peintre, en utilisant un certain nombre de codes plastiques (ou gestuels) intervient pour l’animer. Chez les Nouveaux Réalistes, le support, c’est le monde lui-même, ce qui les entoure, et c’est le choix que peut en faire l’artiste qui va lui donner son statut d’œuvre d’art.
Le geste ensuite, n’est plus un geste pictural mais un geste d’appropriation, décidé par le créateur pour prendre un morceau du réel et le transformer en œuvre grâce à un certain nombre d’actes spécifiques de chacun des Nouveaux Réalistes.
Le langage repose métaphoriquement sur une série de verbes qui constituent les actions de chacun des artistes et justifient leur démarche. Au-delà de l’appropriation banale, ils interviennent sur le réel pour le transformer. Chacun se fera ainsi connaître par quelques gestes qu’il répétera.

"Accumuler" pour Arman, qui présente des accumulations de toutes sortes (poubelles, masques à gaz, voitures, horloges,..), et "briser" lorsque le référent est alors montré à travers le résultat qui laisse voir l’empreinte et l’action violente des "colères". "Coupes" et "combustions" figent l’acte de brisure dans une organisation plastique proche des codes cubistes. Ces destructions réorganisent les parties du tout dans un ordre savant.

"Presser" pour César qui compresse aussi bien des véhicules que des objets utilitaires et manufacturés, tels que les cafetières ou certains couverts. Réduit à une forme géométrique, le sujet perd son identité référentielle pour ne revêtir que l’aspect de bloc dont les aspérités animent la surface. "Expanser" ensuite la matière ; le polyuréthane subit une expansion qui modifie totalement l’apparence de sa texture et de sa forme. La déformation quantitative dans sa dimension de démesure s’ajoute au nouvel aspect que prend alors le matériau dans sa dénaturation.

"Magnifier", "sublimer" pour Martial Raysse qui s’approprie les objets représentatifs de la civilisation des années "60" pour les exposer dans l’hétérocléité de leurs matériaux étincelants (plastique, plexiglas, néon, formica...) et de leurs couleurs violemment heurtées, le tout pour constituer une "hygiène de la vision" à travers un amalgame de formes aseptisées - vision privilégiée que pourrait avoir un spectateur anonyme de cette époque.

Enfin "s’approprier" pour englober toute l’action de Klein -et par là toute la problématique du Nouveau Réalisme qui désire faire sien tout ce qui l’entoure, aussi bien le vide que les espaces d’immatérialité, le ciel, la terre, les nuages ou le vent. La couleur pure ("Monochromes bleus" ou "Monogold") le fascine en tant que "Morceau de sensibilité" au point de l’utiliser comme empreinte pour ses modèles nus qui deviennent "pinceaux vivants" ou "pochoirs" ("Anthropométries").

Le 9 mars 1960, au 253 rue Saint-Honoré à Paris, pendant l’exécution de la Symphonie Monoton-Silence, trois modèles nues enduites de peinture bleue apposent les empreintes de leur corps sur de grands papiers blancs, disposés sur les murs et le sol de la galerie. A travers une mise en scène complexe, Klein anime un étrange ballet. Les modèles se roulent ou se traînent par les mains sur le sol, sous les yeux de l’assistance. Le public, en habit de soirée, est composé d’artistes, de collectionneurs, de critiques. Après la « performance », un débat général s’ouvre avec Georges Mathieu et Pierre Restany.

Yves Klein, Anthropométrie, 1960

A partir de toutes ces actions, l’identité du mouvement se précise même si certains points ont permis quelquefois de comparer le Nouveau réalisme au Pop Art. Si l’iconographie présente des similitudes, la dénonciation de la société de consommation est flagrante ; si les origines lointaines paraissent semblables, la démarche des Nouveaux Réalistes est foncièrement originale dans le sens où l’acte d’appropriation prime le résultat et les interventions picturales sont totalement évacuées.
Les œuvres deviennent des "actions" face à une réalité qui est elle-même une œuvre d’art et dans laquelle il suffit de puiser pour en extraire une parcelle signifiante et expressive.

La remise en question de la peinture traditionnelle reste donc l’apanage de ce groupe d’artistes qui constitue l’épanouissement direct de ce que le dadaïsme a enclenché dans la voie du non-art.

Martial Raysse, Etalage hygiène de la vision, 1960.

Le nouveau Réalisme

On commence seulement -50 ans plus tard- à comprendre ce mouvement artistique intitulé « Nouveau Réalisme ». Pourtant ce regroupement d’artistes à l’activité décalé –à l’époque- et débordante, du moins durant ses trois années en tant que mouvance, a joué un rôle majeur dans l’art de l’après-guerre, et pas seulement en France. Il est vrai que les acteurs de cette émergence artistique des « années sixties » sont aujourd’hui plus connus que le mouvement lui-même !

Qui n’a jamais entendu parler des diverses et multiples œuvres, par ordre alphabétique, de :
 Arman de son vrai nom Armand Pierre Fernandez,
 François Dufrêne,
 César, né César Baldaccini,
 Christo ,
 Gérard Deschamps,
 Raymond Hains,
 Yves Klein ,
 Niki de Saint Phalle, née Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phall
 Martial Raysse,
 Mimmo Rotella,
 Daniel Spoerri,
 Jean Tinguely et
 Jacques Villeglé, de son vrai nom Jacques Mahé de La Villeglé.
Treize au total, et pour une fois un nombre incontesté, incontestable ou presque… puisque tous ont signé un « manifeste », en bonne et due forme, même si celui-ci fut plutôt réducteur !..

Niki Saint Phalle, Nana, 1993 (photo Séverine Giordan)

Leur travail collectif fut des plus… bref ! Les expositions élaborées ensemble,… ou presque, s’étendent seulement de 1960 à… 1963 !
Et encore, les querelles, les dissidences furent nombreuses. Armand plaisantait souvent en disant que l’entente autour du Manifeste n’avait survécu que quelques minutes après la signature, dès que Restany qui avait un peu forcé sur le champagne s’était éclipsé ! Il sera « officiellement » dissout –mais sans effet réel- une première fois le 8 octobre 1961, à la requête de Klein, Raysse et Hains, suite à un désaccord profond sur le second manifeste que Pierre Restany publia à l’occasion de l’exposition À quarante degrés au-dessus de Dada. Ces derniers ne souhaitaient nullement assumer une telle ascendance.

En fait, le Nouveau Réalisme en tant que mouvement est l’œuvre d’un seul homme, Pierre Restany, tout à la fois confident, critique d’art et agent des artistes ; et d’une rencontre, celle de ce personnage avec un Yves Klein en début de carrière.

Les deux protagonistes se sont enchantés, fascinés et charmés mutuellement. A la mort d’Yves Klein, survenu prématurément en juin 1962 et malgré les incompréhensions entre sur ce que signifiait leur approche commune, Restany fera perdurer encore le groupe pendant une pleine année avec de nouvelles expositions.

 1960. - Mai : Exposition « Les Nouveaux Réalistes » à la galerie Apollinaire, Milan. Y participent Arman, Hains, Dufrêne, Yves ‘le Monochrome’, Villeglé, Tinguely. Le critique Pierre Restany signe la préface du catalogue.

 27 octobre : signature de la déclaration constitutive des Nouveaux Réalistes chez Yves Klein, signé par Klein, Arman, Villeglé, Hains, Dufrêne, Raysse, Spoerri, Tinguely et Restany.

Signature du Manifeste le 27 octobre 1960 à Paris

 1961 - Février : le Salon Comparaison réserve une salle aux Nouveaux Réalistes, avec Dufrene, Rotella, Villeglé, Spoerri et Tinguely
 Mai : exposition « À 40° au dessus de Dada » à l’ouverture à Paris, de la Galerie J de Jeanine de Goldschmidt, épouse de Restany, avec des œuvres d’Arman, César, Dufrêne, Hains, Villeglé, Klein, Spoerri, Villeglé, Tinguely et de Rotella.
 Juin : Galerie Rive Droite, de Jean Larcade, « Le Nouveau Réalisme à Paris et à New York », mettant en regard les œuvres des Nouveaux Réalistes et celles des Néo-Dadas américains.
 13 juillet-13 septembre : « Premier festival du Nouveau Réalisme » à la Galerie Muratore de Nice et une série d’actions-spectacles à l’Abbaye de Roseland, propriété de Jean Larcade.

Premier festival du Nouveau Réalisme à la Galerie Muratore de Nice, 1961

 1962
 Août-septembre : œuvre-parcours collective, le « Dylaby », au Stedelijk Museum d’Amsterdam, un « Labyrinthe dynamique » auquel participent Tinguely, Raysse, Spoerri, Niki de Saint Phalle, mais également Rauschenberg et Ultvedt.
 Octobre-décembre : exposition « The New Realists » à la Sidney Janis Gallery à New York.

 1963
 Février : 2ème festival du Nouveau Réalisme à la Neue Galerie im Kunstler Haus, de Rolf Becker, à Munich avec la participation de Deschamps et de Christo, mais sans Raysse.
À la 4e Biennale de San Marino, est présentée la dernière des activités collectives du groupe.

1- Paru en feuilleton mensuel dans Domus de janvier à juillet 1978.

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Pour en savoir plus

Alain Biancheri et André Giordan, Les nouveaux réalistes, Ovadia, 2011

http://www.leseditionsovadia.com/si...

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