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CHAPITRE 43 (part IV) : Le Triangle d’Art

Suite de la chronique dédiée au Triangle d’Art par France Delville.

Pour continuer sur le travail très intéressant de Lionel Bouffier, on lit régulièrement qu’il se dit autodidacte, mais l’artiste, sorti ou non d’une école, doit se donner les moyens plastiques et techniques de réaliser ses visions spécifiques. Lui, manifestement la photographie lui va comme un gant, en ce qu’elle lui permet de se saisir d’une forte réalité - la ville, les chantiers - comme d’un décor généreux à réinventer. Qu’il ait commencé avec la « glisse », ça aussi c’est fort, car magique, avec ces corps agiles, acrobatiques, qui s’offrent à la vue, à l’angoisse. Un mouvement qui échappe, c’est une chorégraphie subversive qui est donnée, gratuite. Mais là évidemment le photographe ne pouvait tant que cela intervenir, quoique déjà l’on sente sa capacité d’abstraction devant le fait que le mouvement se présente avant tout comme structure : une arabesque. Aléatoire mais structure quand même. Structure mobile mais structure, une ligne, un dessin.

Lionel Bouffier est un plasticien-né

Lionel Bouffier est un plasticien-né, les choses semblent lui apparaître déjà dans un certain ordre, qu’il brûlerait de modifier, tout en le révélant. Serait-il un touche-à-tout selon ses propres termes ? Si tout le fait vibrer.

Photo de Lionel Bouffier
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Il semble également recevoir le monde comme un choc, sensible à la beauté de chaque détour, interpellé par chaque bribe de récit à venir. Avec ses Urbanités, il est évident qu’un certain talent de mise en scène se met en place, et là, même s’il avoue parfois un certain plaisir à l’esthétisme, on peut trouver dans chaque photo un scénario singulier, une histoire d’autant plus passionnante que réduite à un seul plan, alors le spectateur n’a plus qu’à dérouler le film… Proposition de synopsis réduit à sa plus simple expression, mais les idées sont si chargées d’histoires, même d’idéologies, qu’une situation saute aux yeux.

Photo de Lionel Bouffier
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Avec humour, chaleur humaine, absurdité née de l’impossibilité, mais onirique : comme dans les rêves où tout devient possible dans le sens utopique, c’est-à-dire étendant les audaces créatives des êtres humains. Audace due à une fraîcheur de regard, à la simplicité avec laquelle on peut s’emparer de ce qui est à disposition sur la planète, les techniques bien sûr mais aussi les copains comme matière première – une forme de pinceaux et de peinture à l’huile - un matériel humain qu’on sent consentant avec délices, avec sérieux, sans ménager sa peine…

Photo de Lionel Bouffier
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C’est très beau, l’idée d’une équipe pas flemmarde qui se donne à une sorte de théâtre de rue secret, sans témoins autres que des projecteurs qui illuminent des déserts nocturnes… et le petit frisson qui consiste à réussir une scène incongrue mais qui, fixée, sera capable d’éclairer, justement, la manière d’habiter ce qu’on appelle une ville, et qui est un chaos, selon Lionel, un truc un peu raté, quelque chose de pas contrôlé, de pas si pensé que cela, désordre dans lequel malgré tout des humains s’organisent pour vivre, survivre, jouir, jouer, se l’approprier, et en faire une seconde nature, une nature urbaine. Peut-être ces photos auraient-elles plu au Martial Raysse des années 60, avec les lumières phosphorescentes et tous ces objets utilitaires qui deviennent, par l’art, mythiques. Chacune des propositions de Lionel Bouffier est un « Pop’art » revisité à chaque coin de rue.

Photo de Lionel Bouffier
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Ecritures urbaines

Son parcours est d’ailleurs évocateur, avec, en 2001, à Monaco, une exposition d’écrits sur les murs intitulés « Logoscope ». En d’autres mots ce sont des « tags ». Mais c’est bien d’insister sur le fait que c’est une « parole ». Ensuite une série sur la « vie intime des jouets et poupées », ce qui est certainement très sérieux eu égard à l’importance de ces objets transitionnels » pour les enfants et les adultes, leurs fantasmes. Audace encore, plus que transgressive, dans la réhabilitation d’un nain de jardin – son habilitation à faire sauter la frontière entre bon et mauvais goût, ce qui après tout est dans la tradition du Nouveau Réalisme cher à Nice. Jusqu’au « trash » ? Après tout, c’est le titre d’un film d’Andy Warhol. Et quelquefois on pense à lui, devant certaines ambiances de Lionel Bouffier. De toutes façons les interventions sur l’Homme de pierre de Max Cartier et la Tête Carrée de Sosno sont à peine des vignettes humoristiques, elles sont plutôt l’inévitable prise en compte de l’inévitable marque, aujourd’hui, de Nice par l’Ecole de Nice. Le décor en est modifié, c’est devenu une seconde nature : Bernar Venet, Farhi, Cartier, Sosno, Ben, Nivèse, les plus visibles monuments de la Cité.
En 2005 « Regards du sud », Association culturelle pour la promotion de l’art photographique en région PACA décerne à Lionel Bouffier un « 1er Prix Couleur », ce qui n’est guère étonnant eu égard à la violence de cette couleur dans sa photographie, mais qui prouve l’intégration par les nouveaux jurys d’une révolution dans la définition de ladite couleur : celle-ci, travaillée au bord de l’artificiel, de l’artifice, fait l’effet d’une bombe. Lionel Bouffier, l’homme des feux d’artifice. Et la nuit comme fête, avec ses feux de Bengale, la nuit récupérée comme espace de libération où tous les chats, loin d’être gris, sont revêtus de pelages multicolores. La Nuit comme lâcher d’Arlequins.

Urbanités

En 2006/2007 la série du « surfer urbain », dérivée de la photo sportive mais fondée sur un vrai concept, est invitée à la fondation ART-FORUM de Montreux pour son édition 2007.
En 2007 Lionel Bouffier est gagnant d’un concours pour les 20 ans de Canon dans la catégorie « La ville comme aire de jeu » avec sa série « Quand on arrive en ville » (Série « Urbanité »). Il appelle ça des « délires urbains ».

Photo de Lionel Bouffier
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Mais alors le délire au sens étymologique comme « sortie du sillon » prend ici tout son sens : la ville oublie sa police, son polissage, pour redevenir jungle joyeuse (en toute urbanité), si, hors des rails (ou au contraire en plein sur eux pour jouer du piano), on se débarrasse de sa propension, à la Ville, à imposer un gigantisme hors modulor dirait Le Corbusier. La mesure humaine dévoyée est exorcisée par la reprise en main de la poésie. Le jeu, encore lui, peut faire de la ville une poupée géante, un Godzilla apprivoisé. Métaphores, déplacements, métonymies et autres figures de style jouent avec les volumes et les fonctions comme dans un jeu vidéo immobile, silencieux, et bruissant de sentiments. « Quand on arrive en ville », ce titre mythique va évidemment comme un gant à ce roman-photo. Ce titre qui fut le blason de jeunes gens en interrogation sur leur adhésion aux choix planétaires. Violents de la violence qu’ils subissent, explosant d’élan vital et de l’espoir d’exister. Lionel dit lui-même : Cette série des « délires urbains » est inspirée par la place omniprésente de l’urbanisme dans nos vies et par une volonté de se réapproprier ces espaces interdits en raison de leur hostilité. Ainsi je mets en scène des personnages dans des situations décalées, burlesques, mais, somme toute, naturelles, car dictées par l’envie de liberté ». Et que cette série évolue au gré des personnages se prêtant à son délire et aux lieux rencontrés.
En 2008, « Quand on arrive en ville » (Série « Urbanité ») est encore le coup de cœur du jury « SFR jeunes talents » pour le concours « Chroniques nomades : La relation de l’homme avec son espace vital ». CQFD, évidemment. Et en 2009, très bon score à la 3ème édition du Festival SkyProds, sur le thème « La vie dans ma rue », et, en 2010, Lionel Bouffier est lauréat du concours « Paroles photographiques », et, à ce titre, fait partie d’une exposition itinérante.
C’est une œuvre passionnante, à suivre dans ses recherches et innovations.

Frédéric Altmann, l’autre exposant de Gorbio

Frédéric Altmann, l’autre exposant du Château de Gorbio, même s’il a été comédien de théâtre (le nouveau Gérard Philippe, a un jour titré un journal) puis galeriste, puis collaborateur de Claude Fournet à la direction des Musées de Nice, puis créateur du CIAC (Centre International d’Art Contemporain de Carros), et critique d’art, et écrivain, est peut-être avant tout photographe. A deux voies, comme je le disais plus haut, et la voie, abondante de photographe-témoin est la plus connue, celle qui a fait dire à Ben : « Il y a des photographes qui font de grands discours et ne prennent pas de photos. Il y a des photographes qui se baladent avec leurs appareils à zoom sur l’épaule et regardent les femmes droit dans les yeux. Il y a des photographes qui vous parlent de leurs objectifs, de la lumière, de la profondeur du champ. Altmann je ne m’étais pas aperçu qu’il était photographe et voilà que toute l’histoire de la création à Nice est passée par son œil à travers un discret 24x36. (Ben Vautier)

A suivre...

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