Le Martyre de l’Obèse
Henri Béraud (Lyon, 1885 / Saint-Clément-des-Baleines, Ile de Ré, 1958) peut être considéré comme un « auteur maudit », en raison du tour extrémiste de droite qu’il adopte à partir du 6 février 1934 et de l’affaire Salengro (1936). S’il est des mots qui tuent, il en fait usage, ce qui lui vaudra d’être condamné à mort à la Libération. Mais, sur intervention notamment de François Mauriac, De Gaulle le gracie. Et pourtant, avant de tomber dans le purgatoire des lettres, Béraud, comme beaucoup, puisa ses opinions politiques sur l’autre bord. De même, avant de devenir le pourfendeur hargneux de ceux qu’il rejoindra, il avait tout du bon vivant prédestiné aux agapes du Canard enchaîné. Son père est boulanger et, lui-même, exerce dans sa jeunesse, parmi plusieurs métiers, celui de commis voyageur en vins et spiritueux ou de ramasseur de produits laitiers.
Pendant la Grande Guerre, le pacifiste qu’il fut auparavant, prend du galon. De lieutenant, en servant dans le 48e régiment d’artillerie de campagne. De journaliste, en entrant, en 1916, alors qu’il est sous l’uniforme, dans l’équipe du « journal satyrique paraissant le mercredi », fondé un an auparavant par Maurice et Jeanne Maréchal. Il y développe ses talents de polémiste contre les planqués de l’arrière, les ciseaux d’Anastasie et le bourrage de crâne. Il introduit dans la basse-cour un vin qui sera indissociable des soirs de bouclage de chaque numéro, le Juliénas. Multicarte, il travaille également pour une bonne douzaine de périodiques, dont Le Crapouillot, autre gazette anticonformiste, L’Œuvre, marquée à gauche, Le Petit Parisien, Le Merle Blanc d’Eugène Merle, un anarchiste notoire. Il tire à boulets rouges sur Georges Clémenceau, Charles Maurras, Léon Daudet. Il publie des nouvelles et commence, à l’instar d’un de ses amis, Albert Londres, à arpenter l’Europe d’après-guerre dont il décrit les soubresauts tumultueux. Il se réjouit d’être un « flâneur salarié », titre qui servira au recueil de ses reportages, dont la postface de Francis Lacassin, le décrit ainsi : « Polémiste, humoriste, chroniqueur judiciaire, courriériste, critique, le verre levé et l’injure en bandoulière, il déploie une activité dévorante ; il abat une masse de travail étonnante. Il croque la vie avec un appétit de goinfre ».
Il glisse de la triste réalité – qu’il décrit néanmoins avec une ironie mordante – vers la fiction romanesque. Paraissent, en 1921, Le Vitriol de Lune et, l’année suivante, Le Martyre de l’obèse pour lesquels lui est décerné le prix Goncourt 1922 -
Le héros, un obèse, narre les péripéties d’une farce où, d’un pays à l’autre, il poursuit d’un amour pusillanime, une femme dont l’époux est volage et qui joue à la coquette pour s’en venger. Un scénario qui oscille entre Georges Feydeau et les Marx Brothers. Fier de sa graisse, le gras-double n’osera pas finalement se déshabiller devant la belle, craignant, dans un sursaut de raison retrouvée, une ultime moquerie de sa part.
C’est cette réaction salvatrice qui manque dans le monde contemporain où l’OMS dénombre environ 500 millions d’adultes obèses, 1,8 milliard d’adultes et 21 millions d’enfants de moins de cinq ans en surpoids. Evaluation d’autant plus grave qu’elle atteint paradoxalement non les nantis, mais les individus socialement et financièrement défavorisés. Bourrés de sodas poisseux et de hamburgers visqueux, tous bien caloriques.
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