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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 12 : Le cas Restany - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri

Résumé des chroniques précédentes :

Après avoir présenté les composantes de l’Ecole de Nice, ses artistes et leurs divers apports, les dernières chroniques ont « exploré » les personnalités qui ont contribué à faire « voir » cette Ecole. Sans eux, l’Ecole n’aurait pas eu le renom qu’elle a. Journalistes et galeristes, souvent collectionneurs, ont joué un rôle majeur, notamment des personnalités comme Ferrero, Matarasso et Alexandre de la Salle.
Et quelle fut la place des critiques d’art, et notamment la quote-part de Pierre Restany, ce critique d’art parisien qui fut le plus adulé, y compris à… Nice ?

Le nouveau réalisme

Pierre Restany est considéré comme l’un des critiques les plus influents en art contemporain de la seconde moitié du XXe siècle. Il fut un témoin constant de l’effervescence artistique new-yorkaise. A Paris, le 27 octobre 1960 , il crée officiellement le « nouveau réalisme » , ce mouvement artistique en opposition au Pop-art, auquel ont appartenu Klein, Arman, Raysse, puis César. Ce fut d’ailleurs lui, et non les artistes, qui écrivit le manifeste ; il y soutenait l’idée que les artistes contemporains prenaient quelque chose de nouveau dans la vie et l’amenaient dans l’art.

Pierre Restany tint ce mouvement à « bout de bras » pendant 10 ans, malgré les multiples conflits avec et entre artistes. Après sa dissolution en « grande pompe » à Milan en 1970, il continua à organiser une trentaine d’expositions, tout en dissertant sur les qualités et les apports des différents artistes.
Par la suite, voyageur infatigable, il fut de tous les principaux projet de l’art contemporain. « Un mythe ! » a dit de lui Andy Warhol. En 1999, il prit la présidence du Site de création contemporaine du Palais de Tokyo à Paris, voué à la promotion de la scène artistique émergente.

Pierre Restany au Palais de Tokyo

Pierre Restany, jeune, photographié par Arman, Musée de la photographie, Nice

Et pour l’Ecole de Nice ?..

Et pour l’Ecole de Nice que fit-il ? A la demande du galeriste Alexandre de la Salle, il écrivit chaque fois un texte pour le catalogue des rétrospectives. Par quatre fois –puisqu’il y eut 4 rétrospectives- on ne peut pas dire qu’il fut très flatteur. Ses propos sont du genre plutôt formel, parfois très très critiques, presque méprisants. Ce fut lui qui fit ajouter le point d’interrogation à l’affiche de la première rétrospective « Ecole de Nice ? » !..

A aucun moment, cette Ecole ne souleva son enthousiasme, toujours enclin à n’avoir d’intérêt que pour ses seuls poulains –Klein, Arman, Raysse et César- certes niçois, il ne le niait pas, mais du… « Nouveau Réalisme » ! Quant aux autres artistes niçois, ils n’étaient pour lui que… « quelques virgules »…
Son « vrai » regard sur l’Ecole de Nice transparait dans plusieurs interview ou textes ! Chaque fois, on ne peut dire que ses propos sont enthousiastes et pleins de louanges...
« L’Ecole de Nice » - est la traduction d’une triple coïncidence : la rencontre des destins hors-série (et hors-Nice) de trois niçois : Y. Klein, Arman et Martial Raysse, (Ben n’a jamais constitué qu’un épiphénomène marginal, résiduel et folklorique).
 L’Ecole de Nice risque-t-elle de se substituer à l’école de Paris ?
Les Niçois « arrivés » ou ceux qui se considèrent comme tels (c’est-à-dire les leaders de la jeune génération artistique dont les appétits de carrière et les rêves de gloire ont été provoqués et nourris par le mythe d’Yves Klein) sont fidèles à leur terroir natal, à leur soleil et à leur mer. Ils retournent passer les vacances au pays.
Si ce phénomène de retour au bercail trouve une place une structure d’accueil adéquate (un directeur de musée d’art moderne vivant, un critique d’art intelligent, un mécène-promoteur un peu plus fou que d’ordinaire), il se peut que l’Ecole de Nice devienne enfin une réalité socio-culturelle authentique.
Quand à remplacer Paris, que la puissance publique est en train de doter d’un suréquipement promotionnel, exclusivement dédié « à la défense et à l’illustration » de l’art contemporain, laissez-moi rire, pauvre Nice ! »

 Interview de Pierre Restany, 1961

Pierre Restany, jeune, photographié par Arman, Musée de la photographie, Nice

« Une exposition au Musée des Ponchettes à Nice attire brusquement l’opinion sur un constat qui prend l’allure d’une révélation : Yves Klein, Arman et Martial Raysse, figures de proue de la jeune génération picturale, sont tous les trois niçois. La vérité se situe au niveau de la pure coïncidence : une série de rencontres heureuses. C’est l’histoire d’une triple amitié, et d’abord, au sein de cette amitié, d’un visionnaire au destin météorique, mort d’une crise cardiaque en 1962, à l’âge de trente-quatre ans, Yves Klein. Toutes ces manifestations provoquèrent l’indignation ou le mépris.
Mais le ferment était jeté. Il n’a fait que fructifier depuis la disparition d’Yves Klein. Les expositions rétrospectives se multiplient dans les plus grands musées d’art moderne : après Amsterdam, Stockholm, Bruxelles, New-York, la manifestation de Nice prend l’allure d’une très modeste fête de famille.

 Pierre Restany in Plaisir de France, mars 1968

Heureusement, l’Ecole de Nice reçut un regard plus chaleureux et plus porteur de la part d’autres critiques, conservateurs, directeurs d’institution et d’autres personnalités.

Claude Gilli La couleur se déversant sur le pauvre monde, n.d. Coulées en acier peint (photo Séverine Giordan)

Suite à la prochaine chronique

1- Le terme est utilisé dès mai 1960 à propos d’une exposition à Milan regroupant des œuvres d’Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Yves Klein, Jean Tinguely et Jacques Villeglé. L’année suivante, César, Mimmo Rotella, Niki de Saint-Phalle et Gérard Deschamps rejoignent alors le mouvement, puis Christo en 1963. Pour en savoir plus A. Biancheri, A. Giordan, Le Nouveau Réalisme, Ovadia Editeur, 2010.

2 - Il consacre son dernier essai à Yves Klein « Le Feu au coeur du vide » paru aux éditions de La Différence en 2000.

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Interprétation d’une oeuvre

« Sans Titre » 1989 peinture sur bâches 415x340 MAMAC Nice

 Claude VIALLAT 1936-

Démarche évolution

Claude Viallat est né à Nîmes en 1936 et étudie aux Beaux-arts de Montpellier, puis à Paris en 1963-64. Son passage à Nice a fortement marqué de nombreux artistes locaux, avec la formation du Groupe 70. Professeur aux Arts décoratifs de Nice en 1964, il a comme élèves Dolla, Charvolen, Maccaferri et Miguel. À sa première exposition à la galerie A, il utilise déjà son élément de base en forme de haricot écrasé sur des toiles libres et sans châssis. La forme reprend la trame de la toile pour donner à voir sa matérialité. Cette répétition d’empreintes identiques veut remettre en question l’Abstraction Lyrique.
Les expositions et installations en plein air (Coaraze) annoncent la création du groupe Supports/Surfaces dont il est le fondateur, avec Bioulès, Devade, Dezeuse et Saytour ; il quittera le groupe en 1971. Les problématiques du mouvement annoncent la suite de ses productions : rejet du support (celui-ci ne doit montrer que sa matérialité), et la surface ne propose désormais que le rapport de ses deux dimensions. La toile se livre à elle-même et flotte, elle est au sol ou au mur, présente un recto et un verso, s’enroule ou se plie, mais ne s’accroche plus à une cimaise. Le travail au pochoir et l’imprégnation de la couleur se développent dans des supports non traditionnels (tentes, parasols, vêtements) en gardant toujours un aspect pictural.

Description/interprétation

L’œuvre est constituée d’une bâche déployée, mise à plat et appliquée contre le mur. Les éléments identifiables sont mis en évidence : les œillets, les attaches, les coutures, les rabattements latéraux… et participent à l’ensemble de la représentation. Cette production propose la répétition d’une forme identique, évoquant un haricot écrasé ou à une éponge. Ces formes remplissent la surface uniformément ; Viallat met à jour la matérialité du support qu’il a choisi, maintenu par aucun châssis, et recouvert d’un motif qui est l’agrandissement démesuré de la trame de la toile. Il ôte toute connotation subjective et toute interprétation de l’œuvre, pour ne montrer que ce qu’elle est… mais les références et les allusions picturales subsistent face à cette œuvre.

Morphologie
La bâche est symétrique, avec un axe médian qui divise en deux parties égales les grandes surfaces rectangulaires et les triangles latéraux : la répartition régulière de ces masses colorées évoque les grandes compositions classiques ; le remplissage des surfaces par un élément répétitif reprend les compositions All Over des peintres abstraits américains : aucun centre d’intérêt ou ligne de force n’est privilégié. Les accidents de formes surgissent au niveau des bords de la bâche où les fragmentations animent la régularité monotone : les courbes deviennent droites, les arrondis se brisent. En outre, un grand carré cerné irrégulièrement de rouge se superposé à l’ensemble et crée une surimpression qui barre partiellement certaines formes ; cela permet une osmose entre les différentes parties et offre une nouvelle lecture des bâches déployées. Dans le rectangle gauche, l’élément horizontal ocre jaune semble délimiter une nouvelle surface rectangulaire et peut être une référence aux découpages du nombre d’or… Les triangles latéraux s’opposent symétriquement pour conférer un effet de polyptique à l’œuvre, comme l’articulation des différentes pièces d’un retable médiéval.

Chromatisme et technique

Les couleurs dominantes se partagent entre les couleurs chaudes et froides, les ocres orangers et les bleus de cobalt. L’utilisation d’un module de base permet toutes sortes d’inversions de valeurs et de contrastes clairs/foncés ; les ruptures proposées par les verticales et les horizontales multiplient les décalages formels et chromatiques, et les cernes accentuent les contrastes colorés. Certains éléments surajoutés modifient l’ensemble répétitif : le rectangle vertical bleu, la barre jaune d’or horizontale et le carré rouge de la partie inférieure gauche reprennent en réduction l’harmonie générale selon un rythme ternaire, la palette des trois couleurs primaires. La bâche perd son statut référentiel pour devenir « support » comme le prônent les artistes de Supports/surfaces, avec l’imprégnation de la couleur et la surface dépliée. L’utilisation des aplats et des pochoirs renoue avec la démarche de Matisse dans la répétition des motifs décoratifs ; le recouvrement de la surface, laissant des bribes colorées animer les fonds et cerner les figures, ainsi que le chatoiement des couleurs des « pattern » connotent la peinture « patchwork » de la fin des années soixante dix.

Pour en savoir plus
Alain Biancheri et André Giordan (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.

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