Le Bateau ivre, Arthur Rimbaud, 1871
Cette fois-ci est la bonne. Le 15 septembre 1871, après trois fugues depuis Charleroi, Arthur Rimbaud (1854-1891) débarque, pour de vrai, à Paris où Paul Verlaine l’abrite.
À peine quelques jours plus tard, il déclame son poème Le Bateau ivre parmi les Parnassiens, dont le chef de file est Théodore de Banville. Bien que le prodige lui eut proclamé vouloir « devenir Parnassien ou rien », il renie ce mouvement presque concomitamment.
Rimbaud est le bateau. Il rompt ses amarres, se libère de sa vie familiale étouffante, des préjugés moraux et sociaux ambiants pour dériver avec fracas au gré des eaux en furie. Puis exténué par l’équipée sauvage, il se retourne pour contempler son parcours, implorant « que ma quille éclate ! »
L’œuvre est la mise en strophes de la profession de foi poétique de l’auteur, qui, le 15 mai 1871, l’avait adressée à Paul Demeny, en ces termes : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens". Et quand "il arrive à l’inconnu (…) affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues".
Et Rimbaud de mettre en application son programme avant-gardiste, anticonformiste, libertaire, pour vivre ses idées jusqu’au bout, jusqu’à devenir trafiquant et marchand d’armes. Aventure destructrice qui le mènera à la mort.
La société post industrielle vogue vers la même débâcle. Mais, elle, involontairement et sans idéologie, ni idéal. Menée seulement par la course au gain et au confort. Comme un bateau ivre, elle s’enfonce dans la mer qu’elle a souillée et qui se venge : Amoco Cadiz, Torrey Canyon Erika, Exxon Valdez, Selendang Ayu… La liste n’est ni exhaustive, ni close. Et pourtant, elle donne le tournis.