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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 23 : L’Ecole de Nice et les maires de Nice ! (4) L’enfantement du MAMAC - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Connaître l’Histoire de l’Ecole de Nice dans tous ses ressorts fait partie intégrante de son émergence, de ses développements et même de ses succès. Or le monde de l’art aime gommer les cheminements que pour ne conserver que la légende !.. La saga des Médecins, maires de Nice, doit retenir toute notre attention. Elle est très significative…

Très réticent et même hostile lors de ses débuts comme magistrat, aux artistes de l’Ecole de Nice -qui le lui rendaient bien (!)-, Jacques Médecin progressivement va changer son regard sur l’Ecole, au grand dam de ses électeurs de la droite « profonde ». Il est vrai qu’il sut toujours bien se faire conseiller. Il pris à ses côté Hervé de FontMichel, puis surtout André Barthes comme « adjoints » à la Culture et il engagea Claude Fournet à la Direction des Musées de Nice.
Ce dernier fit une politique d’achat d’œuvres très intelligente, il sut surtout se faire apprécier, et sur le plan international, et sur le plan… local (voir Chronique 22). Notamment, son génie fut d’apprivoiser par ses expositions d’Art contemporain la plupart des artistes niçois. Et le 21 juin 1990, le musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice –le MAMAC- était inauguré en grande pompe !

Le musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice a été inauguré le 21 juin 1990. Plusieurs projets cohérents pour la création d’un tel musée apparaissent à Nice dans la seconde moitié de ce siècle.
Le premier était lié à la restructuration de la Galerie des Ponchettes, projet soutenu par Henri Matisse et Pierre Bonnard, développé par le Docteur Thomas, puis par Jean Cassarini, première préfiguration du musée d’art moderne de Nice.
La seconde hypothèse qui voit le jour, consistait à construire une aile moderne implantée dans le Jardin du Musée Masséna. Ce projet est abandonné pour réaliser un parking.
L’idée est relancée au milieu des années 70 avec la nomination de Claude Fournet à la Direction des Musées de Nice. L’ouverture de la Galerie d’Art Contemporain (GAC) et une programmation contemporaine à la Galerie des Ponchettes, proposent au public niçois une vitrine significative de l’art.
En 1985, l’exposition "Autour de Nice" à Acropolis présentant un premier rassemblement d’oeuvres des Nouveaux Réalistes, de l’Ecole de Nice et de Support/Surfaces notamment, va accréditer la nécessaire implantation d’un musée d’art Moderne et d’art contemporain à Nice.
La même année, une convention signée avec l’Etat prévoit la mise en oeuvre sur cinq ans d’un programme ambitieux d’achats d’oeuvres d’art. L’aide financière de l’Etat apportée à la ville dans sa dynamique d’acquisitions, enclenchera le processus de classement de la future institution sous le label "musée contrôlé par l’Etat".
Dès 1987, un accord est signé entre la Ville de Nice et l’Etat pour le financement du projet architectural.
D’ordinaire, la conduite d’un tel projet nécessite une dizaine d’années. Ici, seulement cinq ans s’écouleront entre les décisions et l’inauguration du musée.

  Historique officiel de la création du MAMAC présenté sur le site du Musée

Tout ne fut pas aussi lisse et autant idyllique !.. D’abord il se passa 40 années entre le premier projet de Musée d’Art et sa concrétisation définitive au centre de Nice, près de la Place Garibaldi. Ensuite, le milieu politique niçois -et sa clientèle (et vice-versa) - n’était pas préparé à un tel saut dans ce monde de la contestation de l’art. Enfin les artistes niçois eurent des comportements très paradoxaux d’allégeance et de résistance, suivant les situations, sans aucune véritable ligne directrice entre eux.

Dans ce contexte, Jacques Médecin se révéla un véritable maître d’ouvrage. Sans lui, le projet serait encore dans des cartons à dessin !.. En fonceur invétéré, il fit fi de tous les obstacles pour parvenir à la réalisation d’un « musée monumental » suivant son expression. S’il servit par là l’Ecole de Nice en lui offrant une meilleure visibilité, notamment pour Supports-Surfaces, le groupe 70 et tous les atypiques (y compris Serge III ou Jean Mas), on ne peut pas dire que ce furent les motivations artistiques qui l’emportèrent chez lui !
Ephémère ministre du tourisme , parfois visionnaire, le député-maire comprit avant ses concitoyens l’importance de l’art dans le développement de sa ville, grâce au… tourisme. Son premier projet fut un centre des Congrès, Acropolis, l’œuvre des architectes Buzzi, Bernasconi et Baptiste. La première pierre fut posée en août 1981, il est inauguré le 31 mars 1984. En complément des conférences et des conventions, une exposition Autour de Nice à Acropolis présente l’année suivante un premier rassemblement d’oeuvres des Nouveaux Réalistes niçois et de Supports/Surfaces notamment.

Présentation de la première esquisse du Musée d’Art moderne à l’Espace niçois d’Art et de Culture, 1986 de gauche à doite : Sosno, Jacques Médecin, Yves Bayard l’architecte, André Barthes et Claude Fournet

Cette exposition va accréditer la nécessaire implantation d’un musée d’art Moderne et d’art contemporain à Nice. Elle amadoue nombre d’artistes, et pour commencer Sosno et César. Un lieu lui est immédiatement suggéré : l’esplanade du Paillon dans son prolongement avant la gare des Autobus. Des négociations ombrageuses sont alors engagées avec le Ministre de la Culture d’alors, le mitterrandiste Jack Lang, avec qui Jacques Médecin eût toujours des relations délicates.

Claude Fournet, Catalogue exposition Autour de Nice, Acropolis, 1985

Une convention est quand même signée avec l’Etat ; elle prévoit la mise en oeuvre sur cinq ans d’un programme ambitieux d’achats d’oeuvres d’art. Et en 1987, un accord est passé entre la Ville de Nice et l’Etat pour le financement du projet architectural. La majorité avait changé, Jacques Chirac était premier ministre et François Léotard était devenu Ministre de la Culture. Ce fut le projet du MAMAC d’Yves Bayard, l’architecte dit « poète », un régional habitant la Colle sur Loup, qui fut retenu.

Présentation du projet définitif de MAMAC, Nice matin, 17 juin 1987
Yves Bayard, au moment de la construction

Mais le plus dur restait à faire : faire accepter ce musée par la majorité municipale. Heureusement Jacques Médecin tenait bien ses troupes ; et malgré des réticences multiples –évoquées à mi-mots en son absence- pour un tel investissement chez ces dernières, il put imposer son projet. Bien sûr pas question d’en dire trop, et sur l’art contemporain, et sur l’Ecole de Nice. On mit surtout en avant les anciens peintres que la bourgeoisie locale commençait à accepter : Matisse, Dufy,.. D’où le titre de « Musée d’art moderne » dans MAMAC.
L’argument principal qui emporta l’adhésion du Conseil municipal fut une fois encore : l’importance d’un musée d’art – « au même titre que le carnaval et ses batailles de fleurs »- pour le tourisme ! Les politiques artistiques sont ainsi… pleinement politiques…

Les architectes Yves Bayard et Henri Vidal ont fait une proposition originale d’une sorte d’arc tétrapode à cheval, d’une part sur le cours du Paillon, d’autre part sur l’axe de l’ancienne nationale 7 reliant le quartier du port et la vieille ville aux quartiers qui se sont développés aux XIXème et au XXème siècles.
L’architecture du musée avait à concilier deux éléments constituants du tissu urbain niçois : la planification urbanistique sarde et l’utopie exotique de la Belle Epoque.
Une monumentalité inspirée par les principes du Classicisme (plan carré, arcature) répond à l’ordonnance de la place Garibaldi. Un jeu optique lie les tonalités ocre rouge du soubassement aux surfaces lisses en marbre de Carrare des tours sur lesquelles se découpent les oliviers, transposant au coeur de la cité les registres d’ordre et de paix de la nature méditerranéenne.
La couverture du Paillon donne une opportunité rare de disposer de terrains en centre ville et permet le développement ample d’un dispositif baptisé "Promenade des Arts" constitué d’un musée et d’un théâtre.
Cette implantation cruciale au coeur de la ville imposait un développement en hauteur réalisé par quatre tours carrées sur une base de 20 mètres de côté pour une élévation de 30 mètres.
De l’extérieur, elles sont aveugles mais reliées par des passerelles vitrées. La distribution des espaces d’exposition se fait sur trois niveaux, plus un niveau de terrasses accessibles au public. Le premier niveau abrite les expositions temporaires, les 2ème et 3ème niveaux sont réservés aux collections. La surface disponible est d’environ 4 000 m2 sur trois niveaux totalisant 9 salles d’exposition. Le recours à des cimaises mobiles permet de cloisonner partiellement les espaces pour obtenir les mètres linéaires nécessaires à certaines expositions.
Les terrasses sont traitées comme des belvédères d’où la vue embrasse largement la ville. Sur l’une d’entre elles, est présenté Le Mur de Feu d’Yves Klein, réalisé avec le concours de la Direction des Musées de France ; c’est une édition de l’un des projets développés par l’artiste pour l’exposition de Krefeld en 1961.
L’entrée principale et la boutique du musée se trouvent au niveau du parvis qui abrite également l’auditorium et la galerie du musée.

 Description de l’architecture du musée sur le site du Mamac
http://www.mamac-nice.org/

Esquisse du MAMAC, 1986

Et le politique s’invita encore lors de l’inauguration

Une rétrospective Arman était prévue pour l’inauguration du MAMAC. Or Jacques Médecin, fortement critiqué sur ce qui deviendront ses « affaires » , flirte alors avec le Front national. Il reçoit « pompeusement » Le Pen à la mairie ; trois conseillers municipaux aussitôt démissionnent. Dans un interview à Antenne 2, le maire prononce une parole rapide et malheureuse –qu’il regrettera officiellement- : « ce sont les juifs qui partent »...
Une polémique féroce s’enclenche sur le plan national pour ces propos qualifiés d’antisémites . Arman, le plus connu des artistes niçois, renonce à sa Rétrospective, dans sa propre ville et pour l’inauguration d’un musée construit pour lui et ses collègues niçois… Scandale !

« Après la réception royale faite à Jean-Marie Le Pen et à l’ancien Waffen SS Shoenhuber et les déclarations assez antisémites de M. Médecin, je n’ai pas au le cœur d’inaugurer cette exposition main dans la main, sourire dans le sourire avec le maire de Nice »

 Arman, Déclaration du 8 mai 1990, à l’AFP

Jack Lang, de nouveau ministre de la culture (et des grands travaux), envoie à Arman un télégramme de félicitations.

« Au moment où Monsieur Jacques Médecin récidive et revendique à 99,9% les thèses du Front national, Jack Lang espère que d’autres artistes accepteront de suivre l’exemple d’Arman. »

 Jack Lang, Texte publié dans Libération le 15 avril 1990

La condamnation des propos du maire fait l’unanimité chez les artistes de l’Ecole de Nice. Leurs réponses par contre sont diverses ; elles hésitent entre l’importance d’un tel événement pour leur art et leur caution à la cause de l’antiracisme symbolisé par le geste d’Arman. Fâché, Jack Lang indique que l’Etat ne prêtera pas d’œuvre des musées nationaux et refuse de venir à l’inauguration.
L’art devient second, on a affaire à un combat de « Jack contre Jacques », comme le titre la presse internationale… qui contribue néanmoins à faire connaître sur le plan national et international le Musée et l’art à Nice ! Sur fond d’opposition gauche/droite, Jack Lang se veut le chantre de l’antiracisme et « Jacquoù de Nissa », le défenseur de la décentralisation.

L’inauguration eut bien lieu à la date prévue, devant une foule considérable, mobilisée à l’appel de la puissante Association des amis du Maire ! Cette même association qui était très réticente à l’érection d’un tel musée et qui brutalement pour soutenir leur « idole » prend fait et cause pour l’Art contemporain. A quoi peut tenir l’amour de l’art !..

Beaucoup d’artistes niçois boycottent la cérémonie , d’autres se font porter pâles. Seuls sont présents Sosno, Fahri, Max Cartier, Jean Mas et Ben. Ce dernier porte un écriteau sur lequel on pouvait lire : « Je suis contre le racisme et le diktat de Paris ». Le lendemain un grand nombre d’artistes emmenés par le groupe Fluxus-Nice font une contre-inauguration. Jean Mas organise ultérieurement une inauguration-performance, le 29 juin, qu’il lie à une pétition .

« Cette sombre histoire du Musée de Nice a quatre avantages : elle fait de la pub à Arman, elle en fait à Médecin, elle en fait pour le Musée et elle fait vendre des journaux… Tout donc pour le mieux dans le meilleur de l’immonde »
 Artension, juillet-août 1990.

Serge III et Jean Mas récupéreront cette polémique par un grand « geste artistique » dans la pure lignée de l’Ecole de Nice. Ils iront explorer et peindre avec José Ferrandi, dans le lit du Paillon, les « dessous » du MAMAC :
« Nous sommes sous l’art »
Jean Mas et Serge III, 7 novembre 1991

Nice Matin 8 novembre 1991
Intérieur du MAMAC, une installation de Viallat à gauche et une installation d’Arman à droite. (photo Séverine Giordan)

(suite à la prochaine Chronique)
- 1 Il fut ministre du tourisme du 12 janvier 1976 au 31 mars 1978, sous Giscard d’Esteing, lors d’un gouvernement Barre.

 2 Repris dans Chroniques niçoises, Genèse d’un Musée II, Musée d’art moderne et d’Art contemporain, 2001

 3 Quelques mois plus tard, en septembre 1990, Jacques Médecin démissionne de tous ses mandats et s’enfuit à Punta del Este en Uruguay. Charles Pasqua, et une bonne partie des niçois et le journal Nice-Matin continue de le soutenir. Ce dernier allant jusqu’à écrire qu’il a démissionné « par lassitude dans un combat inégal contre la calomnie. »

 4 Jacques Médecin ne l’était pas certainement pas.

 5 L’association internationale des critiques d’art (AICA) boycotte
également l’inauguration.

 6 Pétition publiée dans Arthèmes, Jullet-août 1990.
 7 En savoir plus : Alain Amiel, Performas, 40 ans d’Art Attitude, 2009

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Fluxus-Nice (suite)

SERGE III 1927-2000

Cet artiste marginal –malheureusement encore trop peu connu- a été d’un apport essentiel à l’École de Nice par ses accointances avec Fluxus et ses approches très personnelles de l’art contemporain.
De son vrai nom Oldenbourg, Serge III est né le 4 février 1927 à Meudon et rompt avec l’art classique des années 50-60 dès 1962 grâce à une rencontre avec Ben. « Pour 1 Franc » il lui propose « de lui vendre son âme ». Son but était de traiter avec dérision ce que d’autres prennent au sérieux, et démarre ainsi une œuvre où l’ironie et l’humour deviennent une occasion de donner à voir autrement.

Son œuvre sera alors marquée par des interventions pour dénoncer des évènements en relation avec l’actualité, ou des thèmes traditionnels comme la religion ou le pouvoir. Dès 1963, il participe aux happenings Fluxus et se met à peindre sans connaître le travail de Klein tout ce qu’il trouve en bleu. Puis les anecdotes se succèdent très vite : en octobre 1966, à Prague suite à des happenings et des concerts Fluxus, il donne son passeport et un costume à un soldat ; condamné à 3 ans de privation de liberté il est échangé contre un espion tchèque.
En mars 1968, lors d’une exposition à Lyon organisée par Alocco sur les nouvelles tendances de l’Ecole de Nice, il y présente des Christ et des croix : des Christ sur porte-manteau, sur disque, dans une gaine de révolver, dans un aquarium. Dans une galerie éphémère située au Pont du Loup, il exhibe une centaine d’objets ou drapeaux tricolores en déniant aux militaires l’exclusivité du drapeau et en revendiquant les trois couleurs pour tous les objets d’usage quotidien.
Par ailleurs à partir de 1964, Serge III travaille sur les problématiques du contenu-contenant, le message-langage, le fond-forme, « même combat ». Il fait des moulages intérieurs de contenants : bouteilles, paquets de cigarettes, de café, appareils photos, à Bordeaux en 1969, au Musée d’Art Naïf à Flayosc en 1973, à Porto (Portugal) en 1974 et au Centre Georges Pompidou en 1977. Il réalise également des tableaux dont les couleurs disparaissent à la lumière, des toiles avec des peintures qui ne sèchent pas.
En juin 1969 pour le Festival non-Art, il repeint en vinyl blanc tous les tableaux à sa portée. Les actions continuent avec Fluxus comme l’Auto-stop avec un piano en 1968 et une armoire en béton brut de décoffrage. En 1970, à l’expo Environs Il à Tours, il braque un autobus.
Et en 1973, lors de l’expo Hors Langage, organisée par Jacques Lepage dans le hall du Théâtre de Nice, il n’y expose pas d’œuvres, il y campe. A Montauban, il présente une œuvre éphémère réalisée. à partir de matériaux trouvés sur place. Il fabrique une potence sur laquelle il met l’inscription Défense d’accrocher.
En 1974, à Marseille, il tend un rideau de barbelés entre deux salles en ne laissant qu’un étroit passage. Ce qui le conduit à créer une série de tableaux sous barbelés, de la Joconde à Van Gogh. Symbole de l’oppression, il met également des barbelés sur de nombreux éléments très connotés : carte de pays fascistes, affiches de la Commune, déclaration des Droits de l’homme, ou réalise encore des sapins de Noël en barbelés...
Sa contestation est chaque fois une protestation directe et partisane contre un état de choses. Il continuera ainsi jusqu’à la ?n de sa vie un « art de la subversion », en produisant des « CECI N’EST PAS », des « JE T’AIME », des « LES VERITES PAS BONNES A DIRE », des « MIROIRS », des « PAGES ROSES », des « PRISONS », des « TRAVAIL DE LA BALLE », des « TRICOLORES » et des « VINYLS BLANCS ».

Serge 3, Van Gogh sous barbelés (1987, Collection Alain Amiel, Photo Séverine Giordan)

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