Pourquoi une telle dynamique artistique à Nice dans les années soixante et suivantes ? Habituellement, ce sont les grandes capitales comme Paris ou les « capitales économiques » comme Milan, New York et aujourd’hui Shanghai qui attirent ou génèrent arts et artistes. Ces métropoles sont propices au bain culturel. Elles concentrent musées, lieu d’expositions, biennales et galeries. Là, se trouvent également les acheteurs potentiels.
Dans les années cinquante, Nice ressemble à une « ville de province » comme l’énonceraient des parisiens avec un brin de mépris. La Cité dort mélancoliquement au soleil, sans université. Elle vit de son tourisme, sans grande activité culturelle, si ce n’est quelques musées trop vieillots.
Alors, l’Ecole de Nice serait-elle une « anomalie », comme le proclame Sosno en 1998 ?
« Attention : Ecole de Nice ! Une anomalie statistique...
L’Ecole de Nice est une anomalie ; c’est d’abord une anomalie statistique : pourquoi cette région depuis 1961 produit-elle 40% de la peinture et de la sculpture européenne ? Personne ne répond exactement encore à cette question. Peut-être est-ce parce que l’Ecole de Nice est toujours vivante ? Nous en sommes en effet à la 8ème génération depuis 1961. »
– Sacha Sosno , St Romain de Bellet -1998
Sûrement pas… Rien n’émerge spontanément du néant ! Dans les années 60, Nice combine tous les ingrédients pour que jaillisse la nouveauté. En premier, la Cité possède un patrimoine culturel immense. Certes il est trop peu connu des niçois, encore moins des étrangers qui viennent y chercher repos, soleil et mer !
Nice a connu trois périodes culturelles particulièrement fastes
– Dans l’Histoire, Nice a connu trois périodes culturelles particulièrement fastes. Entre 1420 et 1525 œuvrèrent un premier groupe remarquable de peintres niçois. Ils se nomment Jacques Durandi, Antoine et François Bréa et bien entendu… Louis Bréa. Ces artistes formèrent ce que le milieu des Arts appelle maladroitement « les Primitifs Niçois » pour les distinguer des Primitifs flamands, ou, plus près de nous, de l’école d’Avignon ! Sans doute serait-il préférable de les considérer comme la « première Ecole de Nice ».
Ce creuset attira d’autres peintres : notamment Miralhet, originaire de Montpellier, dont la seule œuvre connue est le retable de la Vierge de la Miséricorde peint vers 1430 et propriété de l’Archiconfrérie des Pénitents Noirs, mais, aussi Canavésio, originaire du Piémont qui orna de fresques de nombreuses chapelles de l’arrière pays, comme Notre Dame des Fontaines à la Brigue.
– Une deuxième période florissante fut le XVIIème siècle, suite à la contre-réforme du Concile de Trente. Il en est résulté plusieurs églises baroques décorées avec exubérance par de géniaux peintres . Citons par exemple, Melchior Siaudo et des Baudoins, père et fils. Le père a travaillé pour le Palais communal de la Place Saint François. Il a réalisé par ailleurs deux magnifiques toiles trop peu connues : La Crucifixion visible dans l’église de Belvédère et la Descente de la croix à Saint Martin-Vésubie. Citons encore Jean Rocca pour sa Piéta de Tourette-Levens, Jacques Bottero pour celle de Roquebillière le Vieux, Gaspard Toesca, pour de multiples huiles dans l’arrière-pays, et surtout Guillaume Planeta et Jean-Baptite Passadesco. Deux de leurs tableaux valent à eux seuls le détour, du premier l’Adoration des Bergers dans l’ancienne église de la Tour sur Tinée et du second l’Apparition de la Vierge à la Cathédrale Sainte Réparate de Nice.
– La fin du XIXème siècle, c’est la « Belle époque » et une troisième époque culturelle intense. Les têtes couronnées de l’Europe viennent y passer l’hiver. L’impératice Alexandra Feodorovna, veuve du Tsar Nicolas 1er, inaugure l’histoire d’amour entre la Russie et Nice. Le Tsar Alexandre II confirme le penchant des Romanov pour cette ville. La Reine Victoria, Léopold de Belgique, les Prince de Prusse, le roi de Roumanie, du Monténégro, la reine du Portugal et autres ducs adorent également l’endroit. Autour, se presse une bourgeoisie industrielle.
La ville nouvelle avec le Quartier des musiciens, Cimiez, le Parc Impérial est parée d’admirables hôtels et de magnifiques villas décorées avec ostentation par de multiples peintres et sculpteurs. Les plus grands architectes, comme Garnier, celui de l’Opéra de Paris, y ont posé leurs signatures. Même l’ingénieur Eiffel sera sollicité pour moult consultations.
Pour occuper cette faune oisive, se multiplient spectacles et évènements. Y participent les plus grands acteurs, chanteurs et danseurs de l’époque. Nice comptait à l’entrée en guerre en 1914 une vingtaine de théâtres publics et deux opéras. Les hôtels ont leur orchestre attitré quand ce n’est pas les aristocrates ou les nantis qui ont leur propre théâtre avec troupe au complet ou leur vraie salle d’opéra, comme au Château de Valrose.
Ecrivains, compositeurs, ou autres célébrités passent par Nice. Certains abandonnent tout pour s’y installer, comme les écrivains Jean Lorrain, Gaston Leroux, Paul Déroulède, et Jules Romain, Nietzsche, Tolstoï, Maupassant et des musiciens comme Bizet, Massenet ont éprouvé une réelle fascination pour Nice.
Au fil des temps, Nice a ainsi capitalisé un immense patrimoine architectural et artistique. La vieille ville est un musée en soi avec ses églises et ses palais ; la « ville nouvelle » affiche de multiples belles demeures. .. Toute la ville baigne dans un bain culturel permanent.
Certes après la Guerre de 14-18, tout change irrémédiablement. Mais la ville continue à attirer artistes en tout genre. La douceur de vivre alimente leur imaginaire et stimule la créativité. Ainsi, au cours des temps, Van Loo, Toulouse Lautrec, Modigliani, Bonnard, Dufy, Renoir, Picasso, Chagall, Matisse passent par Nice ou s’y installent.
Dans ce cadre culturel d’une grande richesse, se greffent entre les deux guerres un certain conservatisme, cultivé par la classe politique et une certaine passivité sociale. Avec le nouveau boom économique et le baby boom de l’après-guerre un climat propice à la contestation peut se mettre en place. Il suffit de quelques lieux jouant un rôle de catalyseur et de quelques personnages -pour la majeure partie issue de la classe cultivée- pour que l’éclosion se fasse.
Sans les lieux, les rencontres et les personnages décrits lors de la Chronique 2 (http://www.artcotedazur.fr/l-ecole-...,1591.html), rien ne se serait produit. Sans doute, la tradition, le contexte, comme on l’a vu plus haut a privilégié l’éclosion.
« L’histoire n’aurait pas été la même sans les activités et les rencontres qui eurent lieu dans la région niçoise »
– Pontus Hulten, Préface, A propos de Nice, Centre Pompidou,1977
"C’est quand j’ai décidé qu’il n’était ni nécessaire, ni même bon de "monter" obligatoirement à Paris pour se faire connaître mais qu’on pouvait et qu’on devait créer dans sa région. En ce qui concerne les autres artistes, j’ai souvent pensé qu’ils considéraient que Nice était une étape avant d’aller à Paris et New York. C’est la différence entre eux et moi, avec quelques autres dont Dolla. L’école de Nice était devenue une option politique, la défense d’un projet de décentralisation. Et les deux expositions de groupe que j’ai organisé en furent l’illustration. La première exposition des Niçois que j’ai organisée à Beaubourg pour l’inauguration en 1977 et l’exposition à Tarbes," Fach à Nizza", avaient toutes les deux des catalogues dans lesquels je soulignais l’option régionaliste de ma sélection. »
– Ben, 1970
Suite au prochain numéro !
– Pour en savoir plus
Alain Biancheri, André Giordan et Rébecca François (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.
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