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CHRONIQUE 35 : Ecole de Nice...Continuons avec les Atypiques ! - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Depuis cinq Chroniques, sont présentés des artistes « atypiques » qui font tous partie de l’Ecole de Nice … Ils illustrent cette grande disparité de formes, de gestes et d’interventions caractéristiques de cette mouvance. Leurs parcours ont été très riches et mais très divers. Qu’en dira la postérité ?

Cette dernière chronique sur les atypiques est l’occasion de rencontrer un pilier de l’Ecole : Claude Gilli. Cet artiste est un pur produit niçois ; on trouve des traces de sa famille dans les archives de la ville dès le XVième siècle. Et déjà en 1958, avec Albert Chubac et Martial Raysse, il inaugure par une exposition le “Laboratoire 32 ?, la boutique de Ben au 32 rue Tondutti de l’Escarène, à Nice. Jacques Martinez, lui, est né à El-Biar, petit village sur les collines d’Alger, il passe son enfance dans la ville de Bône, aujourd’hui Annaba. Il arrive à Nice en 1956 et sa première exposition date de 1972. Dans un livre publié en 1985, il écrit se sentir plutôt « étranger ou pour le moins marginal vis-à-vis de toute cette histoire ». Pourtant son approche est proche à ses débuts du Nouveau réalisme niçois et de Supports-Surfaces et il participe à de nombreuses expositions de l’Ecole, dont celle de 1977 au Centre Pompidou.

CLAUDE GILLI 1938-

Né à Nice, en 1938, rue Arson au centre de la ville, Claude Gilli suit les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice et se lie d’amitié avec celui qui deviendra son acolyteà ses débuts : Martial Raysse. Dès la fin des années cinquante, Claude Gilli participe pleinement à l’émulation artistique de la ville et de la création du Nouveau Réalisme niçois en particulier.

« Au début, nous étions un groupe de quelques amis : Yves Klein, Martial Raysse, Arman, Ben, Malaval, Bernar Venet, Chubac et moi. Nous étions inconnus et nous ne pensions pas pouvoir vivre un jour de notre peinture. Nous avions tous en commun le refus de l’art traditionnel ».

Edouard VALDMAN, Le roman de l’Ecole de Nice, Ed. La différence,
Paris, 1991, p.109

Claude Gilli à la foire de Nice, dans les années cinquante

En 1958, au Laboratoire 32 de Ben, il y expose des oeuvres inspirées de Nicolas de Staël. Très vite, il fabrique des tableaux-montages où il traite du folklore niçois dans un style proche du Pop Art anglais et américain. L’assemblage de bois et d’objets ordinaires donne naissance dès le début des années soixante à des séries d’autels ou d’ex-votos honorant ironiquement notre société capitaliste, basée sur la consommation et le spectacle.

Claude Gilli, Souvenir Bonne année 1963, Coll. MAMAC (photo Séverine Giordan)

En 1966, il réalise sa première exposition personnelle à Paris à la galerie Yvon Lambert. L’année suivante apparaissent les Tableaux reliefs. Des séries de plaques de bois ou de plexiglas découpées à la scie créent des superpositions sommaires de plans aux couleurs chatoyantes (vert, jaune, rouge) et à l’esthétique lisse rappelant l’imagerie publicitaire dans un esprit iconoclaste.

Par ce travail d’assemblages, Gilli s’inscrit toujours dans la mouvance d’appropriation des Nouveaux Réalistes. Les thèmes – la plage, le farniente, le corps – et la couleur bleue, comme chez Matisse et Klein, font de l’oeuvre de Claude Gilli un hymne au mythe méditerranéen et à la Côte d’Azur.

Claude Gilli, Femme-fruit, 1964
Claude Gilli, Bleu N°5, 1985

Le MAMAC revient sur cette période féconde en 1999 en lui vouant une rétrospective d’une grande richesse.

Viennent ensuite, dès le milieu des années soixante, les célèbres coulées, puis la découverte des potentialités plastiques de l’escargot, oeuvres qu’il présentera en 1979 à la galerie Matarasso puis en 1981 à la galerie le Chanjour, toujours à Nice. L’oeuvre sort du cadre du tableau, s’empare de l’espace et joue sur la dichotomie peinture/sculpture. Les coulées de peinture font écho aux expansions de César. Le gastéropode est utilisé pour les traces transparentes qui laissent lors de son passage, un clin d’œil humoristique aux pinceaux-femme d’Yves Klein. Il peut également se muer en véritable sculpture ou trophée, par la juxtaposition de coquilles moulées rappelant les accumulations d’Arman.

Claude Gilli, Coulée d’escargot

Depuis le milieu des années quatre-vingt, Gilli s’attaque à l’acier et crée des oeuvres monumentales qui ornent de nombreux édifices contemporains à Nice. Ils sont toujours visible à Acropolis ou à l’Arénas...

Claude Gilli, La grande coulée, devant Acropolis, (photo Séverine Giordan)
Claude Gilli (2006) Extrait du film Sur les traces de Claude Gilli,
réalisé par Constance Ryder

« Au début les gens n’aiment pas ce qu’on leur propose. Puis à force de montrer nos idées ils trouvent que c’est beau. Ce qui me fait dire que les artistes inventent la beauté. »


Claude Gilli

En 2003, la Villa Tamaris à la Seyne sur Mer lui consacre une rétrospective. Si aujourd’hui, Claude Gilli est moins reconnu que ces aînés, c’est sans doute parce qu’il n’a pu, suite à une maladie grave, s’expatrier outre-atlantique pour acquérir une notoriété internationale. Son travail, toutefois, très riche et d’une grande diversité - (Ex-votos, Paysages, Découpages, Coulées, Transparents et Escargots et ses grandes sculptures monumentales), toujours joyeux et coloré, reste encore largement à découvrir.

JACQUES MARTINEZ - 1944

Jacques Martinez est né lui en Algérie ; dès 1956, il s’installe à Nice où il fait ses études et obtient une maîtrise de philosophie. Parallèlement, il rencontre les artistes des mouvements qui ont été à l’origine de l’éclosion de l’Ecole de Nice, en particulier le Nouveau Réalisme et Supports/Surfaces.

Sa première exposition en 1972 montre déjà ses affinités, ses références à Marcellin Pleynet et à son ouvrage : l’Enseignement de la Peinture. Son oeuvre est alors rempli de références théoriques, mais aussi picturales envers les initiateurs de l’Abstraction comme Klee, Mondrian, et Kandinsky, ainsi que des tenants de la peinture américaine contemporaine : Pollock, Rothko et surtout Franck Stella pour la déconstruction des surfaces.

Jacques Martinez, Nissa la Bella ou le traité de la coloquinte et du coucourdon, sculpture, peinture et étampes, Mamac

De nombreuses expositions de prestige montrent l’évolution de son travail et de ses recherches plastiques, depuis la Galerie Ferrero à Nice en 1973, à la galerie Daniel Templon à Paris, puis à Milan, Stockholm, et plusieurs rétrospectives au MAMAC à Nice...

Jacques Martinez, Merenda’s Virgin Boogie, 1984,
collection Mamac (photo Séverine Giordan)

Le problème de la représentation constitue l’axe principal de ses recherches et lui permet de mettre en scène un certain nombre de pratiques issues des codes plastiques de la Renaissance italienne. L’espace est revisité à travers des équivalences de matières (acier, aluminium) qu’il déploie dans de grandes surfaces minimalistes. La notion de cadre, ou d’encadrement est approfondie pour jouer sur
la présence ou l’absence du tableau par rapport à ce qui l’entoure – ou le fond au décor.
Il exploite cette ambiguïté entre la forme et le fond en multipliant les virtuosités techniques. Au niveau des matériaux d’abord, avec des cadres biseautés, des découpages sophistiqués, des stries et cannelures dans le métal ou des soudures complexes. Mais c’est la pratique traditionnelle revisitée qui contredit surtout l’apparence formelle quasi abstraite que présentent ses toiles : les hachures au pastel ou fusain reprennent la gestualité de la peinture pour mieux la faire comprendre.

Jacques Martinez (1998)
Jacques Martinez, extrait de Cinc Estacions, Beaux Arts Editions, 2007,

Ce travail sur de grandes surfaces s’applique aussi sur d’immenses papiers déployés
 véritables anamorphoses de volumes virtuels - et constitue un des volets importants du travail de Jacques Martinez pour compléter ses productions picturales par une démarche similaire.

« Comme si chaque tableau devait, à l’instar de ce que l’on appelait autrefois « chefs-d’œuvre », faire la preuve d’une expérience acquise tout au long de l’histoire de la peinture, ancienne, moderne, et exactement contemporaine, jusqu’à aller au-delà de cette histoire, puisque Cinq Saisons (titre de l’exposition) place d’emblée l’œuvre dans un excès de temps »

Catherine Millet, Jacques Martinez in Catherine Millet, Bernard-Henri Lévy, Jacques Martinez : Cinc Estacions, Beaux Arts Editions, 2007, 119 p.

A partir d’octobre 2011, cette Chronique se consacrera progressivement aux nouveaux artistes qui travaillent à Nice.

Suite à la prochaine rubrique...

Pour en savoir plus

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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