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CHAPITRE 24 : Des nouvelles de « MADI aujourd’hui » ? - Chapitre 24 - Chronique réalisée par France Delville pour Art Côte d’Azur

L’exposition « Madi Internacional, Argentina, Brasil, Uruguay »

Artistes de l’exposition « Madi Internacional » au Palais de Glace de Buenos Aires, au centre : Sofia Arden Quin, dernière épouse de Carmelo Arden Quin.
Dans l’exposition, l’une des salles Arden Quin
Salle Eugenio Monferran, madiste argentin
Salle Lorena Facio, madiste argentine

donne l’occasion de noter quelques adresses où trouver des développements de MADI hors la France : Pour l’Argentine : www.macla.laplata.gov.ar (chercher : Patrimonio – Obras del patrimonio - Collecion Madi), pour les U.S.A (Dallas) : www.geometricmadimuseum.org (chercher : Madi artists), pour le Japon : www.satorusato-artmuseum.jp (chercher : Collection- Overseas Artists’ Works – Lien 1/2/3/4 etc.), pour la Hongrie : www.mobil-madi.org, pour le Brésil : www.sobral.ce.gov.br (chercher : Cidade- Museus – Museu Madi), pour l’Italie : www.spaziolattuada.com (chercher : saletta Madi), et www.galleriamarelia.it (chercher Madi), et www.magi900.com (chercher : sala delleEccellenze Madi)

« MADI aujourd’hui »

Dans cette exposition, Eugenio Monferran et Lorena Facio, argentins et dernière génération de madistes, font aussi partie de l’exposition du Centre International d’Art Contemporain (CIAC, Château de Carros), intitulée « Conscience polygonale, de Carmelo Arden Quin à MADI » et qui se termine ce 29 mai. La plupart des artistes du Palais de Glace étant aussi présents à Carros. La série de manifestations Arden Quin et MADI qui s’enchaîne dans le monde (y compris celle du Musée de Cholet le mois prochain), nous pourrions l’intituler « MADI aujourd’hui », ce qui nous mène tout naturellement à scruter la période « MADI maintenant/MADI adesso » des années 1980 qui fut, accomplie par Alexandre de la Salle, la « renaissance » de MADI.

« MADI maintenant/MADI adesso »

Comment Carmelo Arden Quin, ayant, début des années 50, recréé à Paris, rue Froidevaux, un « Centre d’Etudes et de Recherches MADI » peu de temps après son arrivée dans la capitale (Paris étant son vieux rêve, malgré le succès incontournable du Mouvement MADI en Argentine à partir de 1946), s’est-il retrouvé à Saint-Paul pour une nouvelle « venue » de son Mouvement ? Centre d’Etudes et de Recherches MADI dont maintes galeries parisiennes des plus importantes montrèrent les travaux, sans parler d’une Salle MADI annuelle au Salon des Réalités Nouvelles.
Et comment cet artiste va-t-il être obligé de devenir, selon ses propres termes « un peintre du dimanche », se contentant de confectionner des collages (admirables) le temps de prendre la tête de l’usine de marqueterie de son beau-père décédé, en charge de châteaux français et autres bâtiments prestigieux… comment cet artiste, ayant eu la bonne idée de venir passer du temps à Nice (Nice étant à mi-chemin entre Paris et Turin où vivait et exerçait sa compagne psychanalyste Edith Aromando), va entrer dans la galerie d’Alexandre de la Salle, lui faire par lettre compliment de ses choix, et trouver en celui-ci un homme qui, adolescent, l’avait entraperçu dans la galerie de son père Uudo Einsild, qui, rue Jacques Callot, était marchand de Modigliani, Soutine, et d’autres ? Alexandre va immédiatement tomber amoureux de l’œuvre d’Arden Quin, qu’il va inclure dans ses expositions, présenter à la FIAC, avant de ramener l’artiste dans sa dimension fondamentale : MADI. Cette période s’appellera « MADI maintenant/MADI adesso ».

Mais l’Histoire…

La période parisienne, qui débute en 1948 par l’arrivée d’Arden Quin en bateau, à Naples puis à Paris, débute également par le geste devenu habituel chez lui de prendre contact avec des artistes pour faire, ensemble, de la « recherche ». Très vite une nouvelle équipe MADI est constituée, et, dans cet esprit, se succèdent des expositions à la Galerie Colette Allendy (Arden Quin, Vardanega, Eielson, Bresciani, Desserprit, à cette époque Michel Seuphor aide à la traduction du pré manifesto N°7), au Salon des réalités Nouvelles (la Salle MADI 1950 présente les précédents + Lerein, Koskas, Chaloub). Mais c’est en 1951, avec l’arrivée de Volf Roitman, que le Centre de Recherches et d’Etudes Madistes est structuré, où entrent Lerein, Sollat, Neyrat, Guevara, Nùnez, Pierre Alexandre, et Marcelle Saint-Omer, l’épouse de Carmelo. Le Centre rend incisive l’influence de l’esthétique Madi sur la recherche de la jeune avant-garde et surtout sur les Vénézueliens du groupe « Dissidents », qui, dans le 4e numéro de la revue homonyme de 1950, reconnaît en Arden Quin un des novateurs les plus importants du champ de la recherche contemporaine.
La Galerie Suzanne Michel va montrer Arden Quin en compagnie de Soto, Otero, Kosnick, Kloss, Youngerman etc. et en 1952 la Galerie Denise René exposer Arden Quin et madistes avec toutes les vedettes du moment, Picabia, Le Corbusier, Vasarely, Arp, Herbin, Sonia et Robert Delaunay, Dewasne etc. , et la Galerie Suzanne Michel : seulement des madistes. Un « Acte MADI » est exécuté à la Sorbonne, suivi d’une conférence. Les madistes s’expliquent…. En 1953, dans « Actualités Artistiques », parlant de MADI, le critique Robert Vrinat écrit : « S’ils ont voulu au départ briser le carré qui pour eux représente l’ordre traditionnel, la force statique, ils sont sans doute sur la voie d’un renouvellement plastique bien plus important... » Mais MADI poursuivant son chemin parallèlement en Amérique latine, en 1953 Arden Quin expose et fait une conférence au Musée d’Art Moderne de São Paulo, Brésil. En 1954, la Galerie de l’Odéon, Paris, présente Arden Quin et madistes, même chose à la Galerie de l’Odéon, Buenos Aires où Arden Quin, Pellegrini, Villalba, Vardanega, Resnik, Jonquières, Tomasello, etc. fondent l’Association Arte Nuevo. Les expositions se succèdent en Argentine, et, à Paris, présentation à la Galerie Cimaise. En 1960, à New-York, Volf Roitman anime un théâtre révolutionnaire, et « Quinze ans d’Art Madi » sont organisés au Musée d’Art Moderne de Buenos Aires. Arden Quin publie son admirable recueil d’aphorismes « Opplimos » chez José Corti, Paris et à partir de 1962 ce sont des « Actes poétiques » commis par Arden Quin et ceux de la revue « La Phalène », Godo lommi, Josée Lapeyrère etc. Avec Volf Roitman revenu à Paris, et d’autres artistes éminents, Arden Quin crée la revue « Ailleurs », qui tiendra huit numéros.

Pour revenir à « MADI maintenant »…

Collages donc pendant toute une période, et écriture, de textes, de poèmes, de manifestes. Et advient donc la rencontre d’Arden Quin avec le monde de l’art des Alpes-Maritimes, et c’est à partir du milieu des années 70 que Carmelo Arden Quin sera en permanence à la Galerie de la Salle, Saint-Paul, ce qui fait dire en 1977, dans « Artitudes », à François Pluchard : « Aujourd’hui présentée après un trop long silence, cette œuvre révèle une force organique intense qui a su se développer à partir de quelques unes des percées majeures du constructivisme, sans oublier d’en privilégier une aux frontières de la densité maximale du poème et de la structure mathématique de la musique ».
A la FIAC d’octobre 78, Alexandre de la Salle présente une « Rétrospective Arden Quin » qui fait dire à André Parinaud : « Qu’Arden Quin soit un des inventeurs de l’art contemporain, c’est une certitude, qu’il soit resté l’homme secret que l’actua¬lité fait semblant d’ignorer est un des non sens écla¬tants d’aujourd’hui, que le moment soit venu de reconnaître sa qualité est un fait de justice. La double exposition que la Galerie de la Salle, à St Paul-de-Vence et la FIAC viennent de lui consacrer, est une première étape notable qui nous réjouit. Arden Quin est un des grands noms de l’art contemporain ».
A la FIAC de 1979, Alexandre de la Salle présente des « Coplanals » d’Arden Quin. En 1980, Bolivar adhère à ce Mouvement Madi qui est actif aussi en Italie avec Salvatore Presta, en Belgique avec Jean-Pierre Faucon. Les expositions d’Arden Quin se succèdent à la Galerie de la Salle, comme celle des « Découpages et collages » (1949-58), « Peintures mobiles et Coplanals » (1945-53), et « Poèmes mobiles ». C’est dans le catalogue édité par l’Espace Latino-américain et la Galerie Alexandre de la Salle que celui-ci écrit une longue préface intitulée « ARDEN QUIN ou la passion d’inventer ».
Dans le catalogue intitulé « MADI maintenant/MADI adesso »,

biface et bilingue, Alexandre de la salle dessine un diagramme de MADI, tandis qu’écrivent Arden Quin, Presta, Susana Sulic, Arnoldo Rivkin, Salomon Resnik, et Josée Lapeyrère, que nous verrons dans le clip de l’Acte Poétique de février 1996 à la Galerie Alexandre de la Salle. Le texte de Josée traite de la transmission, ce qui n’est surprenant pour une psychanalyste. Elle dit : « Qu’est ce que la transmission dans l’art ? Quelles en sont les conditions ? Et quels en sont les effets ? Et par ailleurs c’est la même question mais déplacée au delà du particulier qu’est ce qui fait « mouvement » au sens historique du terme ? Comment assurer la transmission, comment succéder et faire que se succède, pour qu’il se passe autre chose qu’une simple répétition, du même au même ? Que doit on faire avec ce qui nous a été légué, quelle sorte de droits y a t il à payer ? Comment être fils mais aussi père ? (…) Donc, à partir de ces questions implicites, ce sur quoi va s’interroger MADI, en partant de ce qui est reçu, de ce qui est déjà là, ce sera sur le déplacement d’un élément (ou plusieurs) jusque là immuable et fixe ».
Et Arnoldo Rivkin, du Groupe Laura (architecture) : « Etant de ceux que requiert la phrase « notre architecture sortira à tous les horizons » (MADI, Manifeste 1948 1950) : nous nous sommes refusés à attribuer à la forme immatérielle l’absolu d’une transcendance qui trouve dans l’utopie son idéal et qui fait de la production imaginaire le seul paradigme de toute production artistique. C’est pourquoi en nous écartant de la manipulation des images propre à un démiurge, nous adhérons à une action qui, reconnaissant la diversité des matériaux et des lieux, opère un effort d’articulation dont la puissance affirmative entraîne une « remontée de la matière » au rang de la forme, action propre à la finesse du constructeur. (…) Nous avons constaté que si nos villes se dégradent sans cesse, cette situation est le résultat d’une méconnaissance du milieu qui amène à prétendre qu’il est possible d’ignorer le paysage en le couvrant par une densification artificielle, produit de la chimère des images. C’est pourquoi la rareté discrète de nos architectures nous oblige à parfaire leur édification et à raffiner l’achèvement de leur usage ; non pas pour qu’elles s’enferment en elles mêmes, mais pour qu’elles puissent répandre les effets d’une acoustique plastique dans un paysage à travers le libre arbitre d’une construction qui introduit le ciel dans son ordre et qui est capable de sortir à tous les horizons ».

« Madi maintenant/Madi adesso »

« Madi maintenant/Madi adesso », c’était plus précisément, dans le catalogue adéquat Sulic, Rivkin, Presta, Pasquer, Luquet, Lapeyrère, Humblot, Faïf, Da Costa, Dancy, Chubac,

Art Jonction 1989, AQ exposant, Chubac visiteur. Photo Frédéric Altman

Caral, Bolivar, Belleudy, Arden Quin, et qui allaient, de Saint-Paul, se transporter à la Galleria « Il Salotto » de Côme, avec en plus Volf Roitman, et à la Galleria Luisella d’Alessandro à Turin

MAdi à Turin, le 10 décembre 1984, AQ, Edith Aromando, Alexandre de la Salle avec des madistes dont Liliane Contemorra

avec en plus Contemorra, Esposto, Froment, et à l’Espace Donguy où il y aurait encore plus de monde. Un texte d’Alexandre de la Salle dans la revue Kanal d’octobre 1984 raconte MADI : « … Différents mais tous unis par quelques principes communs : Abstraction – Géométrie, Forme extérieure libre, sortie du cadre, Surfaces de tous types : planes voilées courbes-¬ajourées multiples, Mobilité, etc. »
En 1985, Alexandre de la Salle fait le lien entre Carmelo Arden Quin et Claude Fournet, directeur des Musées de Nice, qui va décider d’une Rétrospective de l’artiste aux Ponchettes. Dans le catalogue, Pierre Falicon écrit : « De genèse à jeunesse il y a le temps d’une génération : celle des commencements qui est le domaine de toute grande œuvre. C’est cette origine que nous redonne Arden Quin dans sa geste, après bien d’autres, à ne se placer que dans la lumière des Grecs : « Pantai rei, tout coule », dit et redit Héra¬clite. Ce que nous apporte Arden Quin c’est un rythme nou¬veau au sens grec de donner une forme à ce qui s’écoule. Désormais, grâce à lui ce rythme fait partie de notre univers tout autant que celui ci se continue éternellement dans son ordre hasardeux ». Et Claude Fournet : « Les tableaux d’Arden Quin sont de dimensions restrein¬tes. Mais qu’on y prenne garde : ils sont sans dimension. Ils ressemblent à des maquettes impossibles. On ne sait rien de ce qui s’y dit de l’espace projectif, tous les chemins sem¬blant mener jusque là. Un espace aussi qui se construit au-¬delà de toutes les frontières et qui se focalise en un lieu (le tableau relief) qui lui même est à traverser de toute part : telle semble la liberté que tente de jouer Arden Quin, liberté esthétique au plus haut sens du mot, celui d’un manque complet d’entraves. Cela ne va pas sans un certain humour qui fait qu’Arden Quin semble aimer à jouer dans la commu¬nication le quiproquo et où le manifeste Madi dont il fut l’inventeur explicite qu’il s’agit d’une attitude « qui confirme le désir inaliénable de l’homme d’inventer, d’aller toujours de l’avant, de faire des objets dans le contexte des valeurs permanentes, coude à coude avec l’humanité dans sa lutte avec la construction d’une société qui libère l’énergie et en vienne à dominer et l’espace et le temps en tous sens, de même que la matière, jusqu’aux ultimes possibilités ». On voit que tout n’est pas si simple au pays de la simplicité ».

Dans le temps où la Galerie de la Salle expose la « Programmation du plastique n°2 » d’Arden Quin, dans sa revue « Art Thèmes » Marie Lou Lamarque Mouzon écrit : « Faire à propos d’Arden Quin de la dialectique, au sens de l’analyse critique, d’une œuvre, quand cette dernière pose comme principe fondamental la dialectique matérialiste au sens de la mise en œuvre ou plutôt en place de la logique, tient de la gageure quand elle ne sombre pas dans le sophisme. Mais ce serait emprunter un raccourci par trop facile et ne pas répondre justement aux sollicita¬tions, à l’impact, à la puissance, aux ouvertures d’hier sur aujourd’hui et sur demain, que représente l’œuvre de Carmelo ARDEN QUIN exposée à la Galerie municipale des Ponchettes de Nice, durant ces mois de mai et juin, retraçant la production de l’artiste des années 1936 à 1985, tandis que la galerie Alexandre de la Salle présente du 17 mai au 15 juin, du même artiste, « Programma¬tion du Plastique n°2 », travaux de 1986, le n°1 de cette programma¬tion étant accroché à la galerie 30 à Paris ». En 1986, à l’Espace Belleville (CFDT), Arden Quin expose en compagnie d’Agam, qui était passé par son atelier, et Albers, Marcelle Cahn, Geneviève Claisse, Cruz Diez, Froment, Garcia Rossi, Herbin, Jonquières, Le Parc, Leppien, Magnelli, Mansouroff, Aurélie Nemours, Peire, Satoru, Seuphor, Tomasello, Vasarely, Yvaral…
La même année, exposition « Movimento MADI » à la Galleria Sincron de Brescia, avec laquelle la Galerie Alexandre de la Salle va faire des échanges passionnants. Un « Manifesto di brescia » verra même le jour, signé d’Arden Quin, écrit à Turin en mai 1986. Dans la revue Kanal de l’automne 1986, Alexandre de la Salle publie un texte intitulé « Les constructeurs » : « L’artiste constructeur est celui qui interpelle l’espace. Par-delà la rigueur de ses structures, ce qu’il a d’abord visé, dans la grande tradition classique, c’est, même sur une surface réduite, à suggérer l’immensité. Dans les petits portraits de Piero della Francesca par exemple. Les peintres abstraits, plus particulièrement les abstraits géométriques, éliminant toute profondeur de champ, n’ont retenu du tableau que la surface peinte et les relations précises qu’y établissent ses différents éléments : les Constructivistes russes, Mondrian... Les artistes construits se recrutent sur les deux rives, l’abstraite et la figurative, c’est normalement que l’on retrouve chez moi les deux expressions. Pour Arden Quin et pour sa mouvance MADI, la surface est devenus de plus en plus ce lieu où s’exercent les visées constructives de l’artiste moderne, surface qu’il faut considérer en tant que telle, et, pour lui en faire dire plus, déformer, découper, surcharger de reliefs, rendre mobile, et même, lui ôtant son caractère de plan parfait, voiler, courber, trouer. L’image va céder la place à l’objet ludique, madique, tour à tour peinture ou sculpture, poème spatial ou structure variable, habitable. Œuvres ouvertes sur l’avenir, accueillantes au métal dur comme à l’herbe folle, à la poésie électronique comme au chant des oiseaux, et dont la prétention métaphysique sera de susciter un homme moins craintif, plus léger, sachant mieux respirer ». En 1987, sous le titre « Arden Quin ou L’invention permanente », un texte de Michel Giroud paraît dans « Interventions » : « L’art non figuratif sud américain a puisé ses principes dans l’œuvre pictu¬rale et théorique de Torres Garcia, dès les années trente. Arden Quin le rencontre à Montevideo en 1935 et dès 1936 il produit ses premières peintures non orthogonales. Les dix ans qui suivront seront consacrés à l’élabora¬tion de la plateforme sud américaine pour la défense de l’art non figuratif, à travers des revues (Arturo puis Madi), des expositions, des rencontres, des conférences, jusqu’au lan¬cement du mouvement Madi en 1946 ».
En plus des expositions personnelles de Carmelo Arden Quin (par exemple de ses « 20/20cm »), et d’artistes MADI, vont se succéder un grand nombre de manifestations intitulées « Abstraction géométrique » qui vont élargir la constellation autour d’Arden Quin. Le Groupe Sincron sera invité à la Galerie au printemps 1987, composé de Belmontesi, Bertolio, Bizzarri, Castagno, Fedi, Contemorra, De Marinis, Gini, Giuman, Grimani, Mosso, Persiani, Pinna, Presta, Simonetti, Ulivi, Takahara, Vancheri, Vecchione, Zanoletti, invités d’honneur Arden Quin et Bruno Munari. Au même endroit, en 1988, Arden Quin exposera ses « Formes galbées » (1971) et ses « Mobiles » (1946-1952) avec Aurélie Nemours.

Aurélie Nemours, Arden Quin, Edith Aromando, Bolivar

En 1989 auront lieu en même temps à la Galerie de la Salle les « Peintures 1936-1952 » d’Arden Quin, et au Musée de Pontoise, la Collection Arden Quin d’Alexandre de la Salle. La Conservatrice, Edda maillet, écrit : « Carmelo m’a permis de réunir au Musée de Pontoise, pour son soixante quinzième anniversaire, une vingtaine de ses œuvres. Que ce nombre soit ici, à cette occasion, le symbole discret d’une invincible jeunesse ». L’été 1989 c’est la Galerie de la Salle à Art Jonction avec Arden Quin

Art Jonction 1989, photo France Delville

, Garcia Rossi, Belleudy, Decq, Garibbo, en 1991, la grande exposition MADI au « Museo Reine Sophie » de Madrid, à laquelle participent les madistes de la Galerie de la Salle En 1992, Galerie de la Salle : Arden Quin, Belleudy, Blaszko, Bolivar, Caral, Caporicci, Chubac, De Spirt, Decq, Demarco, Desserprit, Faucon, Garcia Rossi, Garibbo, Mélé, Girodon, Jonquières, Le Cousin, Lapeyrère, Leppien, Nemours, Piemonti, Presta, Roitman, Sobrino, Poirot- Matsuda, Le Parc. Le catalogue est en commun avec la Galerie Arte Structura d’Anna Canali, Milan, la Galerie Franka Berndt, Paris, la Galerie Miklos Von Bartha, Bâle, la Galerie St Charles-de-Rose, Paris. Préface du catalogue par Alexandre de la Salle : « Voyeurs passionnés du ciel, de ses sphères, de ses orbites et de ses équilibres, ou ascètes qui veulent en termes mesurés dire le monde, ils ont, à partir du surgissement de la géométrie apporté par le cubisme, fait l’art abstrait… » etc.
Le 14 septembre 1993 débute l’exposition « Mouvement MADI carmelo arDen quIn ».

affiche de l’exposition
14 septembre 1993, Alexandre de la Salle et Reale Frangi
Dans l’exposition « Mouvement MADI carmelo arDen quIn », de gauche à droite, œuvres de Faucon, Piemonti, Girodon

Sur cette manifestation, Alexandre de la Salle écrira dans « le Paradoxe d’Alexandre » : « Que la verticale soit une verticale et non un arbre qu’on dépouille de ses branches, de ses feuilles, de son écorce, pour aboutir au mât pur. Dans la problématique du véritable art géométrique il y a la volonté de créer une chose qui n’existe pas. Socrate, dans le Philèbe, parle de la beauté de la forme en soi. Création pure. Si on est séduit, fasciné par la proposition MADI, c’est par cette possibilité de créer, enfin, ex nihilo. Et de mettre au monde un enfant sans visage préformé. Le désir profond serait de faire un enfant sans ancêtre. C’est évidemment impossible. Ne serait-ce que par le fait du Mouvement Madi, par exemple, comme lieu symbolique, comme fond conscientiel et non-conscientiel, où des possibles de formes attendent. Mais c’est tellement à l’état virtuel, complètement ouvert, que la chose faite est à elle-même son prototype ».

En 1993 est éditée une Revue Madi intitulée la « Troisième venue ». Y écrivent Arden Quin, Roger Neyrat, Josée Lapeyrère, Julien Blaine, Evelyne Wilhem, Jean Claude Faucon, Salvador Presta, Claude Dorval, Bolivar, Marc Renwart.
La même année c’est l’exposition des « Artistes Latino-américains du XXe siècle » au Musée d’Art Moderne de New York, où Carmelo Arden Quin est salué comme un géant. Tout ceci n’est qu’une pâle évocation des expositions qui se sont succédées, et continuent de se succéder, par exemple au Château de Saint Cirq Lapopie où Françoise Tournié présidente de l’APDAI (Développement artistique international) présente « MADI » (1993), avec Arden Quin, Poirot-Matsuda, Presta, Prosi, Reich, Bertolotto, Biaisi, Binet, Blaine, Caral, Decq, Faucon, Faïf, Feller, Herrera, Lapeyrère, Maury, Mélé, Neyrat, Pasquer, Piemonti, Roitman, Roman, Satoru, Sernaglia, Blaszko, Bulli, Bolivar, Caporicci, Stempfel, Stephant, Timer, Fia-Fozzer, Frangi, Froment, Girodon, Aeshbacher, Belleudy, Weiss-Meissner.

7 février 1996 : « Pedro Subjectivo »

Jusqu’à ce 7 Février 1996 où, à la Galerie de la Salle, Saint-Paul, au nom de l’Association que j’ai créée avec Jean Mas et Patrick Amoyel, et dont j’étais la présidente (l’ENCAS : Ecole Niçoise pour la Circulation de l’Art et des Savoirs), j’ai invité Carmelo Arden Quin à venir, devant un parterre de psychanalystes et d’artistes, nous parler du rêve éveillé qu’il avait raconté le 8 octobre 1945 chez le chef de l’Ecole Psychanalytique de Buenos Aires, Enrique Pichon-Rivière, après avoir lu son second pré-manifeste, « El movil », qu’il commence par un éloge de Freud, et qu’Esteban Eitler, musicien dodécaphoniste, ait fait entendre une musique « MADI ». L’interprétation de ce rêve éveillé étant lié à sa découverte de Baruch Spinoza, et étant donné l’importance que ce philosophe allait prendre dans sa vie, le 7 février 1996 j’ai aussi invité Patrick Amoyel à dialoguer avec lui sur ce sujet. Les deux clips en ligne (brefs extraits d’un film d’une heure et demie) illustrent deux phases de la séance, le récit d’Arden Quin, et les Acte Poétiques mis en scène par Arden Quin et Josée Lapeyrère, comme ils le firent si souvent dans divers lieux. Et le lendemain 8 Février 1996, à 19h, c’est dans l’Amphithéâtre du MAMAC que nous avons rendu hommage à Arden Quin, par un film racontant sa vie et la fondation de MADI, et par une conférence, à laquelle ont participé Alexandre de la Salle, Raphaël Monticelli, Marcel Alocco et Josée Lapeyrère.

photo Frédéric Altman

Au MAMAC : Hommage à carMelo ArDen quIn

Sur l’invitation, sous le titre : « carMelo ArDen quIn ou l’émeute des géométries incisées », on pouvait lire : « Carmelo Arden Quin naît en 1913 en Uruguay, rencontre Torrès-Garcia en 35 et, en 36, expose ses premières formes polygonales. A 23 ans, cet homme sort du format rectangle, la fameuse fenêtre dans laquelle est inscrite la peinture depuis des siècles. Nous ne mesurons pas la révolution opérée ainsi, la polymorphie de l’art s’étant, depuis, banalisée. En 1948 il arrive à Paris où il organise à nouveau son mouvement MADI, qui fait des adeptes, qui en suscite toujours aujourd’hui. Il s’agit d’explorer toutes les voies de la pluralité, de la ludicité, du mouvement. Son œuvre picturale est immense, elle est maintenant connue dans le monde entier. Une rétrospective lui a été faite aux Ponchettes, à Nice, en mai 1985. Fondateur de Revues, auteur de manifestes, de recueils, d’aphorismes, poète, philosophe, Arden Quin poursuit ses recherches, car, comme il l’a dit aux Ponchettes justement : « Le peintre n’a ni l’intention ni la possibilité de cesser le combat. Il ne peut pas démériter. Et pour cause. Matière et dialectique, et sigle contenu dans le nom, font commandement, sont indices d’une persistance voulue. Le Fouillis est mis en demeure de se structurer. ».

Arden Quin et la Psychanalyse

L’année dernière, à l’AEFL (Association d’Etudes de Freud et Lacan), j’ai déroulé le fil des relations d’Arden Quin avec des psychanalystes (sa dernière épouse Sofia Arden Quin est psychanalyste à Buenos Aires tout en s’occupant de la promotion de son œuvre dans les Musées Argentins, et d’un groupe tout neuf de madistes argentins), autour du rêve éveillé « Pedro Subjectivo », analysé en son temps d’une phrase interprétative lapidaire par Pichon-Rivière. Je notais que la phrase de Sollers sur Fragonard dans son livre « La théorie des exceptions » : « il est là, il va s’animer, s’abîmer, dire ce qui vient d’excéder le cadre, ce qui était caché et qui souffle, ce qui aura lieu dans un futur re tirant à lui le passé entier », évoque irrésistiblement la fin du 3e pré-manifeste d’Arden Quin : « Je crée l’événement. Le passé n’est pas d’aujourd’hui qui sera demain. Je vous lègue la formule des inventions de l’avenir ». Et que j’allais explorer plus particulièrement la notion de « dire ce qui vient d’excéder le cadre », en racontant la sortie du cadre par le Mouvement MADI. Pas pour parler Histoire de l’Art mais pour essayer de pointer la notion de « différence » en écho à celle de création, d’acte créateur, d’acte poétique, d’acte analytique. Acte analytique parce qu’il semble qu’à travers tous ces « Actes » mis en scène par Arden Quin, « actes poétiques » comme il les a appelés, quelque chose de la rupture avec les Pères s’est jouée. Et c’est bien devant des psychanalystes, le 8 octobre 1945, dans la maison d’un médecin, psychiatre, psychanalyste, co-fondateur de l’Association de Psychanalyse Argentine, Enrique Pichon-Rivière, que, lisant ce 2e pré-manifeste qui continuait, à l’instar de la revue Arturo parue l’année précédente, d’inviter à la polygonalité, que Carmelo Arden Quin avait accusé les premiers dissidents du Mouvement (nommé pendant deux ans Arte Concreto Invencion), de n’avoir pas de « conscience polygonale ». Et qu’il avait donc lu un récit, insolite, un rêve éveillé, écrit pour la circonstance, « Pedro Subjectivo », que Pichon-Rivière avait interprété la veille, et que, ce 7 février 1996, il allait nous traduire de l’espagnol, nous transmettant du même coup l’interprétation de Pichon-Rivière, et développant l’idée que, lui, le peintre abstrait géométrique, c’était le « De more geometrico » de l’Ethique de Spinoza qui avait suscité chez lui, en réaction et à l’inverse d’une éthique du temps, une éthique de l’espace. Et j’avais essayé de décrypter comment un enfant sans père (le sien avait été assassiné d’une balle de révolver avant même sa naissance, dans une estancia de la Pampa), allait-il reconstruire le monde, un monde, à la fois en transmission de ce que son oncle maternel préféré, José Belarmino da Silva dit « Zeca », homme doux, lui communiquait de passion pour la lecture et l’écriture, et de ce que oncle Miguel, homme d’affaires, inventeur, lui communiquait de goût pour les objets bizarres. Ce « bizarre » qui présida manifestement à la rédaction de son « rêve éveillé ». Dès qu’il a fini de l’écrire, il se demande : mais d’où ça vient, Pierre ? » Et il va le faire lire à un ami philosophe, qui étudie Spinoza, l’Ethique, et qui lui dit : « Spinoza se sert plusieurs fois d’une pierre, ou d’un Pierre pour traiter d’une question ou d’une autre ». Même si « Pedro subjectivo » est un monsieur, « pedro » signifie « petit caillou » en grec (ça c’est moi qui rajoute). « J’étais bouleversé », dit Arden Quin. Et l’ami poursuit : « Si vous êtes dans la géométrie, il faut lire Spinoza. Et c’est là, poursuit Arden Quin, que je me suis mis à lire Spinoza. Je n’ai jamais été spinoziste, je suis marxiste. Mais Spinoza m’a aidé à penser. » L’ami philosophe lui donne des textes de Spinoza, il ne se souvient plus desquels, mais j’ai trouvé dans la « Lettre à Schuller » la pierre comme symbole de tous les objets, soumis à une cause, à une impulsion, dans un propos sur la liberté. Mais c’est surtout le Pierre du « Traité de la réforme de l’entendement » qui peut plutôt avoir frappé Arden Quin eu égard au développement qu’il en fera dans la partie spinoziste de sa conférence, confirmant une fois de plus l’aspect éthique de sa recherche, la question du réel et de l’image, à travers l’objet. (« Ces objets forment un cercle glorieux, la conscience », est une phrase d’Opplimos). Alors Carmelo pourrait se contenter de cette première interprétation de l’histoire de « pierre » par le philosophe, puisqu’il s’intéresse lui-même à la philosophie depuis l’enfance (les Maristes, sans doute), or il va avoir un flash, plus psychanalytique :

Un rêve éveillé d’Arden Quin…

« C’était en 1918, dans le fin fond de la campagne de L’Uruguay, sur la frontière avec le Brésil, à Masoller, j’avais 5 ans, et ma famille avait des brebis, des vaches, c’étaient des éleveurs, il y avait un grand magasin, à Masoller, où on vendait de tout, et il y avait un jeune homme de 18 ans, qui allait aux alentours, et même très loin, livrer la marchandise, et j’allais souvent avec lui, je l’accompagnais, j’avais 5 ans. Et il s’appelait Pierre, un grand ami de mes cinq ans. Et un jour la carriole, tirée par quatre chevaux, est arrivée, vide. Avec son cadavre. Il était mort. La grippe espagnole, 1918. Moi j’avais complètement oublié cet épisode ». Alors il va raconter sa réminiscence à Pichon, qui lui dit : « Voilà, les gens comme toi, qui ne croient pas à l’ICS… Le voilà ton Pierre ». C’est ma rencontre avec Spinoza, et avec la psychanalyse, dit Carmelo, commençant son récit, dont je vais donner le début, de la pure poésie : « Le récit commence que Pierre Subjective vient, me salue, mais s’en va, il ne veut pas parler. Je lui demande si je peux lui être utile, il me répond : non non je voulais seulement vous connaître. Il rebrousse chemin et part. Il s’éloigne, mais pas loin de là où je suis il rencontre une personne habillée de blanc qui commence à parler avec lui. J’essaie d’entendre, j’essaie d’aller vers eux, je marche, je marche, mais ne m’approche jamais. Ils sont à vingt mètres, mais il met des heures, et des jours, pour arriver près d’eux, comme dans un rêve éveillé. Dès que j’arrive ils se taisent, je leur parle mais tous les deux se taisent, et finalement la personne habillée de blanc s’en va. Pierre et moi tentons de le rappeler, mais il s’en va, et disparaît dans le paysage. Je reste avec Pierre, qui m’invite à marcher, pendant des heures, moi à côté de lui, et il me dit : « plus on va vite plus on arrive à l’état initial de l’humanité. Et il se met à courir, on court, on court, impossible de s’arrêter, impossible d’arriver à temps, impossible d’arriver, et impossible d’arriver tard, et impossible de s’arrêter, impossible de penser à autre chose, impossible de penser, impossible de nous angoisser, impossible de se fâcher, impossible de tout. Puis le souffle nous a manqué, nous avons été forcés de nous arrêter. Me manquait le souffle, me manquait l’enthousiasme. Je me suis dit à moi-même : il me manque l’enthousiasme. Il me manquait l’invention, il me manquait subtilité, il me manquait humilité, simplicité, tout cela me manquait, et j’ai pensé, un peu de mélancolie me viendrait très bien. Pierre regardait d’un côté et de l’autre, et il m’a dit qu’il était irrésolu. Moi aussi. Et il dit : « Si on s’arrêtait pour penser, réflexionner, et nous détendre un peu. Je dis que c’était une bonne idée vu la course que nous avions faite. Mais il n’y avait pas où s’asseoir. Il n’y avait pas de pierre, pas même un morceau d’arbre mort, il n’y avait que le sol. Il n’y avait que le noir du sol, car le sol était noir, et c’était le noir de la nuit, car la nuit était arrivée, la nuit sans étoiles. Mais c’était curieux, le sol bougeait, fuyait sous nos pas. Nous, nous étions statiques, arrêtés, mais le sol fuyait, il fuyait en profondeur, et les montagnes au loin fuyaient, fuyaient en profondeur, vers le bas, toute la terre fuyait, le ciel fuyait, les animaux réveillés fuyaient, alors on s’est mis debout, pensifs, anxieux, un peu peureux, désemparés de tout. Alors la personne habillée de blanc apparut, et elle s’est mise devant nous, elle nous a regardés l’un l’autre, mais ne nous a pas salués, elle n’a pas parlé, elle n’a pas bougé. Au bout d’un moment elle a commencé à se déshabiller. Elle a commencé à enlever sa veste qui était blanche, et tous ses vêtements, jusqu’à rester nu. Mais on ne voyait pas – au moins moi je ne voyais aucune différence entre cette même personne habillée de blanc et cette même personne nue. Il n’y avait pas de diffusion de gestes, il n’y avait pas de transe, il n’y avait pas de distance non plus, il n’y avait aucune référence abyssale des lieux, aucun mouvement, aucune pause non plus, aucune intention, et alors plaisir, omission, stimulo, rêve, magie, invention, jeu, envers, astuce, apparence, image, aventure, testimonio, témoignage, hérédité, désir, délire, tout ça n’existait pas. Et alors toute la vie est passée et à l’aube on est allés sur les routes ». La route paraissait sans fin, je me sentais léger, je ne sentais pas la fatigue, j’avais une sensation d’un repos éternel, et j’ai dit là : un long néant, un non être-rien, un non rien, un non-vouloir absolu, la réalité était autre, la fiction aussi était autre, le « c’était pire » était autre, l’être était un autre, il n’y avait pas d’abîme, il n’y avait pas de hauteur, il n’y avait pas d’extériorité, il n’y avait pas d’intériorité, mais la réalité était la même, la fiction aussi, être c’était lire sur les lieux aussi, l’être on le voyait, hauteur il y en avait, et il y avait l’abîme, et il y avait l’extérieur, le mur qui nous suivait, parce qu’on suivait un mur (je n’ai pas lu ce passage) il ne savait pas, le mur, il nous doublés, il nous a coupé le chemin. Pierre a été obligé de s’arrêter. Il y a des temps, des coutumes, et un espace pour l’utilité. Subjectif, avec un petit sourire, nous a parlé d’un fleuve, à proximité, qu’il fallait traverser, donc on a traversé ce rêve – euh ce fleuve – et après on est sortis, ah il y avait un bois, et on est sortis de ce bois et un autre bois apparut, or à ce moment-là, Pierre a disparu, moi j’ai continué seul, et je pénétrai dans ce bois, j’arrivai à une clairière, et je trouve Pierre Subjective habillé en explorateur, en chasseur de tigre, avec un jaguar qu’il avait tué à ses pieds, et un photographe, qui était en train de prendre une photographie, de Pierre avec son fusil et le jaguar mort. Alors ce photographe m’a demandé quelle était ma langue maternelle, je n’ai pas répondu, parce que ça m’a semblé farfelu, sa question. Alors il m’a dit moi je connais toutes les langues. Et il s’est mis à dire des mots en allemand, en français, en espagnol, dans toutes les langues, comme ça, en même temps qu’il photographiait Pierre avec son jaguar mort. Je passe à côté et je vois que le jaguar me regarde de travers, et je me rends compte que c’était la personne habillée de blanc revêtue d’une peau de jaguar, et Pierre se faisait photographier comme un grand chasseur de tigre. Alors je les ai abandonnés et j’ai poursuivi mon chemin. Et j’arrive à une sorte de monument, abstrait, géométrique, immense, fantastique, tout transparent, en plexiglas, c’était un cône, en troisième dimension, un cube, immense, et ça finissait pas une sphère, et il y avait un ascenseur transparent, depuis des années, des siècles, on montait là-haut. Et je suis arrivé en bas et je me suis aperçu que j’avais fait un voyage dans la 3e dimension, avec une thèse, une antithèse et une synthèse, et c’est une théorie que j’avais prise dans la dialectique de Hegel et appliquée à la géométrie, parce que le premier plan qu’on peut former c’est un triangle, que l’antithèse serait le carré, et la synthèse le cercle. Et Spinoza donne des exemples et parle beaucoup du triangle et du cercle. Mais je n’avais pas lu Spinoza quand j’avais fait cette cité… mais moi alors c’était une chose qui venait de ma pratique de peinture géométrique, et des sculptures géométriques. Et je sors sur un plateau, et je trouve toute la famille, le photographe, Pierre et la personne habillée de blanc, qui tenait en laisse le jaguar. Et on part ensemble vers un lac, or on ne sait pas si c’est un lac gelé ou un immense miroir. Alors le photographe nous prend encore en photo, et nous arrivons à un café, nous buvons, des gens bavardent, des nuages passent ».Etc. etc. Et à la fin, il lit un long « Cantique à Spinoza », qu‘il a écrit, très long, dont les rubriques sont numérotées, à la manière de Spinoza. Et il y a un passage qui justifierait la manière dont certains ont mis Spinoza dans les fondateurs inconscients de la psychanalyse :

Cantique à Spinoza

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l’aspect tranquille de la pampa

le remède à la douleur

les fiançailles

la nuit et l’enchantement

l’événement horrible

la perte de biens

l’ombre et la lumière

la splendeur de la maison d’en face

le roman des étoiles

la citerne rouge

le chariot qui arrive seul avec le mort

les chevaux sont perdus sur le chemin

enfance

visage d’été

pierre est mort

Masoller 1918 j’avais cinq ans

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