La venue de Picasso en 1946 et ses créations vont révolutionner l’image de la céramique qui rentre de plain-pied dans l’art de son époque. Les céramistes contemporains présentés à cette Biennale sont les dignes successeurs de l’approche et de la liberté que
Picasso a insufflées à ce medium.
L’extrême variété des œuvres rassemblées par Yves Peltier montre la richesse d’expression d’artistes issus de treize pays. Organisé en trois grands thèmes (pas toujours évidents) : le Contenant, le Design, la Céramique architecturale, sculpturale ou conceptuelle, le concours a primé trois artistes. Dans la section « ?Contenant ? », la danoise Turi Heisselberg
Pedersen, pour ses vases en grès aux formes épurées, un ravissement pour les yeux.
Dans la section « ?Design ? », le français
Mathieu Lehanneur a reçu le prix pour une superbe pièce réalisée dans l’atelier de Claude Aïello, un travail de transcription de la pyramide des âges du Japon. Dans la troisième section, l’anglais Andrew Burton nous fait redécouvrir les briques de terre rouge qu’il utilise à échelle réduite, nous réapprenant à regarder de plus près la richesse esthétique de nos murs travaillés par le temps. Le grand prix de la ville de Vallauris a été décerné à un jeune artiste hollandais, Yasser Ballemans, pour sa proposition constructiviste. La visite réjouissante de cette Biennale au Château et dans les différents lieux de la ville permet de se rendre compte de la richesse, de la diversité des tendances actuelles de la céramique contemporaine.
Quelques bests
– Les tableaux-objets d’une simplicité déconcertante et pleine de charme de Flavie Cournil
– L’environnement créé par le japonais Satoru Hoshino, une installation murale de 23 mètres pour nous rappeler la puissance tellurique d’une terre brûlée et explosive.
– Les vases balustres affublés de béquilles, de l’anglaise Amy Jayne Hughes, une approche irrévérencieuse décalée et poétique des formes classiques, une critique de l’artisanat fourvoyé ou d’un certain académisme.
– Les détournements de matières, objets ludiques, d’apparence faussement décorative d’Ishtar Johnson.
L’étonnante œuvre de Marc Alberghina tant pour sa technicité que pour son sujet. Pour « Offrande », il a dû façonner un à un les 206 os du squelette humain qu’il a recouverts d’émaux flamés, signés à l’or, caractéristiques du style Vallauréen. Une offrande à des dieux obscurs ou restes d’un festin anthropophage ? Son « ?Usine ? » à l’architecture aussi constituée d’os humains nous interroge sur la barbarie de notre destinée.
– L’installation magistrale, énorme, de Dewar et Gickel à la Chapelle de la Miséricorde : deux hippopotames émergeant de leur boue grise de kaolin (23 tonnes de terre et d’eau).
– L’utilisation de la céramique pour le Brandhorst Museum de Munich dont les façades sont constituées de pièces de céramique émaillée dont les couleurs vibrent au soleil, sont là pour nous rappeler que le temple d’Ischtar ou la mosquée bleue d’Istamboul ont les façades couvertes de mosaïque.
– L’exposition « Gold’n Chromo », avec notamment les œuvres de Soulages ou de Louise Bourgeois démontre s’il en était besoin que l’art d’un visionnaire se joue de tous les médias.
La technique doit être maîtrisée afin de mieux la dépasser
Inventer, oser, bousculer, transgresser, c’est la leçon à tirer du travail de Picasso à Vallauris. Yves Peltier
Le terme de « céramique contemporaine » associant pratiques artisanales et créateurs étant difficile à manier, Yves Peltier, l’organisateur de cette Biennale, préfère parler simplement d’œuvres d’art contemporain. Qu’ils soient artistes plasticiens, designers ou céramistes, les créateurs n’hésitent plus aujourd’hui à mêler la céramique à d’autres médias ? : peintures acryliques, mousses de polyuréthane, bois, etc. Les frontières se dissolvent et de nouveaux espaces sont investis qui viennent bousculer les approches artistiques classiques. L’arrivée d’Yves Peltier à la direction de la Biennale a redynamisé l’image de Vallauris qui présente aujourd’hui le meilleur de la création céramique dans le monde.
De nouveaux projets sont en cours, comme celui de lieux de résidence pour des créateurs où ils pourraient collaborer avec les fabriques historiques, perpétuant ainsi l’aventure de Vallauris avec les techniques issues du travail de la terre et du feu.