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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 32 : Continuons avec les Atypiques ! - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Les artistes « atypiques » qui font partie de l’Ecole de Nice sont nombreux et extrêmement divers… Plutôt que de chercher un dénominateur commun, les dernières Chroniques illustrent cette grande disparité de formes, de gestes, d’interventions.

Mettons une fois encore en tension des artistes aux parcours très divers. Pourtant tous se revendiquent de l’Ecole de Nice. D’un côté, Albert Chubac, peintre et sculpteur d’origine suisse et russe, né à Genève qui fit l’essentiel de son œuvre à Aspremont, tout près de Nice. De l’autre, Pierre Pinoncelli, de son vrai nom Pierre Pinoncely, peintre et artiste comportemental français, spécialiste des « happenings » artistiques, né à Saint-Étienne (Loire), ancien cadre commercial dans une société de négoce de grains, l’enfant terrible de l’Ecole.

ALBERT CHUBAC 1925-2008

Né en 1925 à Genève, Albert Chubac fait ses études artistiques à l’école des Arts Décoratifs puis à l’école des Beaux-arts ; un voyage d’études lui fait découvrir Paris mais ce sont surtout les périples autour de la Méditerranée, en Espagne à Barcelone, en Italie, en Algérie, en Grèce et même en Egypte qui vont déterminer sa palette et ses références picturales.
La figuration, à la manière de Dufy ou Matisse avec ses papiers découpés, se transforme rapidement en abstraction. Ses grands aplats monochromes marquent la nette influence de Nicolas De Staël rencontré à Antibes, ainsi que d’autres peintres de l’Abstraction Lyrique. Quelques expositions le font connaître et sont l’occasion pour lui d’affirmer son style.
En 1951, la lumière du midi lui fait faire l’acquisition d’une vieille demeure rudimentaire dans le petit village d’Aspremont pour « passer l’été », à quelques kilomètres de Nice pour ses séjours estivaux et, peu de temps après, en 1955, il fréquente Claude Gilli et Martial Raysse, deux membres de la future Ecole de Nice. C’est le début d’une amitié ainsi que d’une véritable cohésion picturale : ils exposent ensemble à la galerie Longchamp à Nice en 1957 et 1958.
L’homogénéité de leur travail révèle une influence indéniable de l’Ecole de Paris mais Albert Chubac abandonne peu à peu cet académisme du moment pour s’intéresser aux matériaux de récupération, liés à la vie quotidienne, comme les Nouveaux Réalistes. La véritable aventure niçoise commence alors, grâce à la rencontre de Ben, Alocco, Serge III. Il participe à l’exposition Scorbut dans la première galerie de Ben, Laboratoire 32.

Dans la mouvance de l’Ecole de Nice, Albert Chubac participe à de nombreuses expositions qui ont ponctué les étapes de ce mouvement, mais sans jamais appartenir à un groupe particulier, même s’il se rapproche des Nouveaux Réalistes à
la suite de la mort d’Yves Klein en 1962. Ses préférences se tournent vers César, Tinguely, et surtout Niki de Saint Phalle qu’il connaît à Paris.
Ami de Malaval, Serge III et Marcel Alocco, il fréquente assidûment le café le Provence, et se lie avec les auteurs du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet et Michel Butor.

Après une exposition individuelle à New York en 1960, et à la suite de son installation définitive à Aspremont, il participe à l’exposition Impact à Céret, aux expositions consacrées à l’Ecole de Nice à Lyon, Paris, et Nice évidemment où il devient un élément représentatif et incontournable de la créativité dans la région. De multiples expositions personnelles à la galerie De la Salle à Saint-Paul de Vence, depuis 1968, proposent régulièrement son travail. Actuellement c’est la galerie Joël Sholtes qui le représente en permanence.

Albert Chubac, Cubes colorés, 1963

Son travail suit une évolution notable à partir des éléments de récupération. Des petits bâtons de bois enduits de pigments colorés achetés dans l’ancienne droguerie de la rue Colonna d’Istria, dans le vieux Nice, lui font réaliser de petites sculptures amovibles et aléatoires qui nécessitent l’intervention du spectateur. Puis l’abandon de l’objet et de la toile le pousse à épurer les formes d’éléments qu’il construit ; il les recouvre d’aplats à la peinture ou à la bombe, avec une dominante de couleurs vives. La rencontre avec Vernassa lui fait apprécier le travail sur le plexiglas, mais dans les années 80 il réalise de nouvelles pièces à partir d’éléments moins nobles, tels que le carton et le bois. Les structures colorées rappellent les oeuvres de Mondrian par le choix des couleurs primaires, mais elles sont beaucoup plus ludiques, même si les formes conservent la recherche d’une épuration toujours plus aboutie.

Albert Chubac, Mobilezen, 1992, Coll. A. Amiel
Albert Chubac, “Sans titre” – 1965 Bois peint –
Coll. MAMAC, Nice (Photo Séverine Giordan)

Le vocabulaire utilisé (les droites, les formes tubulaires ou rectangulaires) pourraient assimiler ses productions aux recherches minimalistes, mais la sobriété n’est qu’apparente. Avec sa recherche constante d’épuration des formes, il déploie une diversité savante qui joue à la fois sur la simplicité des couleurs et les relations formelles : les décalages de plans, les volumes qui jouent alternativement avec les pleins et les vides, les effets modulaires de ses bas-reliefs traduisent une délectation que Chubac peut faire varier à l’infini.

Albert Chubac, Sans titre, dédié au Docteur Frère,
Salle des mariages, Tourette-Levens

En effet, certaines oeuvres sont constituées de formes géométriques élémentaires qui se détachent sur des fonds monochromes, alors que d’autres sont de véritables mobiles articulés, dans l’esprit de Calder et proches de l’Art Cinétique. Ses grandes pièces deviennent des sculptures in situ, comme les quatre mobiles monumentaux réalisés pour les tours du MAMAC à Nice en 1990 et les oeuvres, dons de l’artiste, exposées à l’occasion de sa grande rétrospective dans ce même musée en 2004.

Albert Chubac dans l’Ecole maternelle décorée par ses œuvres en 2005 (photo Nice-Matin)

PINONCELLI 1929-

Pierre Pinoncelli est né en 1929 à Saint-Etienne dans une famille très bourgeoise et très catholique. La première partie de sa vie artistique est consacrée à la peinture. Ses toiles sont alors des grands formats présentant des êtres fantomatiques ou squelettiques. Sa matière picturale est dense à la manière de Dubuffet.

A partir de 1967, il se consacre uniquement aux happenings. Son « chef d’œuvre » : il asperge André Malraux en 1969 de peinture rouge lors de l’inauguration du musée Chagall de Nice. Il présente son geste comme le « premier attentat culturel ».

Pierre Pinoncelli, Attentat-culturel contre André Malraux,
Inauguration Musée Chagall à Nice. 1969
Pinoncelli, départ à vélo pour Pékin pour remettre un message à Mao, 1970

En 1975, il attaque symboliquement une banque à Nice pour un butin d’un franc, pour protester contre le jumelage de cette ville avec Le Cap, durant l’apartheid.

Pierre Pinoncelli, Hold-up contre l’Apartheid, Braquage de la Société Générale, 1975

(Le happening) « c’était quelque chose de très naturel, étant jeune j’avais fait les 400 coups, c’est quelque chose que j’avais en moi. Après ça, il y a eu le happening, qui était une forme d’art, et je me suis branché dessus. » (Ça ne rapporte) que « des coups, des arrestations et des procès. »

Pierre Pinoncelli, Autoportrait,
Lithographie, 140 exemplaires, 1972, 65 x 50 cm

Pierre Pinoncelli a réalisé une soixantaine d’Happenings ; les plus représentatifs sont :

 Octobre 1963, L’homme cercueil à L’Abattoir, pour la troisième Biennale de Paris.

 17 janvier 1967, L’homme-bleu YKB Vernissage rétrospective Yves Klein. Jewish-Muséum New-York.

 24 décembre 1967, Maman, le Père Noël est devenu fou, il casse tous ses jouets, devant les Galeries Lafayette de Nice.

 13 avril 1968, L’homme-tableau, vernissage exposition "L’Art Vivant" Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence.

 4 février 1969, Attentat-culturel contre André Malraux, Inauguration Musée Chagall à Nice.

 Juilllet 1969, Coupe-gorge pour 500 cochons, Abattoir de Saint-Paul en Jarez.

 17 novembre 1969, A bas le pain, Ouverture Sigma 5 à Bordeaux.

 18 novembre 1969, La Momie Vivante, rue Sainte-Catherine à Bordeaux.

 janvier 1970, Pour le Biafra, Avenue Jacques Médecin à Nice.

 4 juin 1970, Nice-Pékin à Bicyclette, départ sur la Promenade des Anglais avec Ben.

 13 janvier 1971, Autodafé du Message de Paix, de Mao, devant l’ambassade de Chine à Paris

 4 juin 1975, Hold-up contre l’Apartheid devant la Société Générale de Nice.

 18 juillet 1975, Hommage à Monte-Christo à la sortie du port de Nice.

 13 décembre 1975, Hommage au déporté juif, Tribunal Correctionnel de Nice.

 24 août 1993, Pisser dedans, puis casser l’Urinoir de Marcel Duchamp, Exposition inaugurale du Carré d’Art de Nîmes.

 25 mai 1994, Diogène, le premier SDF, Entrée FNAC, à Lyon.

 4 janvier 2006, Attaque du ready made de Duchamp au Centre Pompidou à Paris

Depuis, il poursuit Marcel Duchamp puisqu’il urine en 1992 dans la Fontaine de Marcel Duchamp -en l’occurrence l’urinoir- à Nîmes, puis l’attaque au marteau ; il écope d’un mois de prison avec sursis. Il attaque de même au marteau, en janvier 2006, un autre ready made de Duchamp au Centre Pompidou à Paris en l’ébréchant légèrement, lors de l’exposition Dada. Il est condamné, en première instance, à trois mois de prison avec sursis et 214 000 euros de dommages-intérêts ; et en appel, à trois mois de prison avec sursis, le musée n’obtenant pas de dommages-intérêts.

Marcel Duchamp, Fountain, original, 1917 /

« L’esprit dada, c’est l’irrespect [...] C’était un clin d’œil au Dadaïsme, j’ai voulu rendre hommage à l’esprit dada. »

Pierre Pinoncelli, réponse à la magistrate, Tribunal de Tarascon, 1998

Son geste avait pour but « d’achever l’œuvre de Duchamp, en attente d’une réponse depuis plus de quatre-vingts ans ; un urinoir dans un musée doit forcément s’attendre à ce que quelqu’un urine dedans un jour, en réponse à la provocation inhérente à la présentation de ce genre d’objet trivial dans un musée [...]. L’appel à l’urine est en effet contenu ipso facto - et ce dans le concept même de l’œuvre - dans l’objet, vu son état d’urinoir. L’urine fait partie de l’œuvre et en est l’une des composantes [...]. Y uriner termine l’œuvre et lui donne sa pleine qualification. [...] On devrait pouvoir se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser ».

Pierre Pinoncelli, défense, Tribunal de Tarascon, 1998

« Car Pierre Pinoncelli est tout sauf un barbare. Il connaît, il admire l’oeuvre de Duchamp, et par-dessus tout Fountain. « L’urinoir de Duchamp, pour moi, déclare-t-il, c’était "la grande baleine blanche" que je poursuivais en rêve et dans les musées du monde ­ depuis des années. » En attirant, à deux reprises (une première fois à Nîmes en 1993), de façon frappante certes, l’attention sur ce ready-made, il le célèbre à sa façon : et même, en refusant d’en faire le « Saint Graal de l’art moderne », au risque de passer pour iconoclaste, il est bien plus fidèle à l’esprit subversif du grand Marcel que ceux qui, selon lui, ont momifié ce dernier en « Toutankhamon de l’art conceptuel ».

Dominique Noguez, Libération ,du 19 décembre 2006

En juin 2002, En juin 2002, il se tranche une phalange du petit doigt en hommage à Ingrid Betancourt.

Pierre Pinoncelli, “Wanted” – 1999, Sérigraphie contre-collée sur toile - 100 x 58 cm
 Coll. MAMAC, Nice (photo Séverine Giordan)

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Pour en savoir plus :

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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