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REPORTAGE : Boites Bricot à l’école de Callian ! - Reportage réalisé par Valérie Noriega et Alina Gavril pour Art Côte d’Azur

Il s’est passé des choses étranges à l’Ecole de Callian pendant les vacances de Noël... Alors que la majorité des enfants profitaient de leurs vacances de fin d’année, guettant la venue proche du Père Noël, quelques autres passaient le portail de l’école de Callian pour vivre un événement inattendu...L’équipe d’Art Côte TV a repris son cartable pour les accompagner et vous donner à voir une mini-représentation de ce théâtre surréaliste !!!!

C’est à l’initiative de l’artiste Alain Girelli* qu’une quinzaine d’enfants des classes primaires de l’école de Callian s’est retrouvéé à l’école le mardi 21 décembre 2010 pour une après midi ...pas comme les autres !!

"Travailler avec le sérieux d’un enfant qui s’amuse" Jorge Luis Borges

L’artiste Alain Girelli a apporté avec lui 14 de ses créations.

14 Boites bricot, œuvres créées à partir d’objets trouvés, privés de leur utilité initiale, dépouillés de toute expressivité originelle, désaffectés, "aussi près des poubelles que de l’éternité". L’artiste a assemblé ces objets, mélangé les matériaux, racontant, en créant chacune de ces boites, une ou des histoires.

Les enfants sont invités à intervenir de leur propre geste créateur sur les boites bricot en gravure ou en peinture : munis de T-Shirt personnalisés, leurs petites mains vont réinventer les œuvres originelles pour les transformer selon leurs inspirations : S’inspirant de Dada, Alain Girelli insiste : "ce jour là IL EST INTERDIT D’INTERDIRE !"

Pierre Pinoncelli s’est invité à la fin de la journée, avançant masqué en grand méchant loup, pour offrir aux enfants une vraie performance dadaiste en hommage à Max Ernst tout autant qu’à l’artisteTadeusz Kantor : Une performance nommée en effet "Boites Bricot 2" en hommage à Tadeusz KANTOR qui avait créé Le Théâtre Cricot 2.

L’objectif de cette après-midi "happening" était de développer de façon ludique la création artistique des enfants, de permettre à chacun de s’épanouir dans sa pratique, dans son activité à créer : au vu des sourires et des rires des enfants, pari réussi, il suffit de lire les histoires nouvelles racontées par les enfants sur les Boites Bricot !!

Une initiative créative, participative que l’équipe d’Art Côte TV a souhaité accompagner et soutenir ! Et vous faire découvrir !

« Prière de toucher », le mot de l’artiste Alain Girelli

Je viens de découvrir que mes Boites Bricot 2 ont aussi un lien à l’esprit de Marcel DUCHAMP !!
J’ai dit à Valérie Noriéga qu’ « il était interdit d’interdire » et contrairement au oeuvres dans les
musées où « il est interdit de toucher » Les enfants avaient l’autorisation de toucher et retoucher
par leur geste créateur et leur vision créatrice mes Boites Bricot 2.

« Prière de toucher », telle est la légende qu’a placée Marcel Duchamp en bas d’une de ses oeuvres
représentant un sein féminin en relief. Ce faisant, il invitait facétieusement les visiteurs à
transgresser un double tabou : celui qui pèse sur certains gestes érotiques dans les espaces publics,
celui qui encadre les comportements au musée, où l’ » on est prié de ne pas toucher », gardiens et
alarmes le rappelant si nécessaire. « Hands off ! », dit plus lapidairement l’anglais. Cet interdit n’est
pourtant pas consubstantiel à l’idée de musée. Dans les cabinets de curiosités des xviie et xviiie
siècles, comme dans nombre de musées jusqu’au milieu du xixe siècle, la manipulation était le
complément obligé de la découverte visuelle. Ne pas toucher les objets lors d’une visite, c’était un
peu comme si, invité par quelqu’un à dîner, vous n’aviez pas touché à la nourriture servie,
commente joliment Constance Classen (2005 : 275) dans un essai où elle rappelle, exemples à
l’appui, la « tactile accessibility of early museums » (Classen 2005 : 276). Il apparaissait d’ailleurs
inconcevable, et le philosophe Johann Gottfried Herder le proclamait avec force, que l’on pût
apprécier la beauté d’une statue sans l’avoir touchée. L’interdit contemporain ne traduit donc pas
seulement un souci légitime de préservation de chefs-d’oeuvre ou de trésors, mais aussi une
dévalorisation croissante de la tactilité dans l’appréhension du monde, au fil de ce que Norbert Elias
(1994) a appelé « le processus de civilisation » : manger avec ses doigts, se gratter, taper sur
l’épaule d’un camarade, tâter la marchandise… apparaissent comme des gestes d’un autre âge, qui
ont échappé à la discipline et à la bienséance tactiles qui se sont imposées. Le toucher a désormais
mauvaise presse : il connote le comportement enfantin, l’arriération, la rusticité, la vulgarité, voire
le vandalisme ; associé à la sexualité, il peut prêter au soupçon de mauvaises intentions (la caresse
sur la joue d’un enfant). Au musée, comme dans la vie sociale, les sens nobles de la vue et de
l’audition ont relégué le toucher au rang des archaïsmes suspects, réservés à l’intimité.

 Qui peut-on toucher, que peut-on toucher, et comment s’y prendre ?

Les sociétés, dans leur
diversité, se sont montrées, sur d’autres bases, aussi sourcilleuses que les musées pour codifier les
différentes formes de contact. Que la règle soit explicite ou implicite, accusée ou flexible, le pur et
l’impur tracent généralement une limite entre le touchable et l’intouchable. Dans les traditions les
plus strictes, le contact est prohibé non seulement avec l’être ou la chose intouchables, mais encore
avec ce qui ou celui qui a pu les toucher. Ainsi, en Islam, la consommation d’aliments acquis ou
touchés par des mains impures est condamnée par plusieurs écoles juridiques. Si le Prophète a
permis aux fidèles de manger la nourriture, composée de mets licites, préparée par les « gens du
Livre » (ahl-al kitab), des juristes limitent fortement cette tolérance, déconseillant, par exemple, de
manger un animal abattu rituellement par un kitabi non musulman. Ces interdits s’appliquent
également aux ustensiles, qui ont pu être souillés par des aliments ou des mains impurs ; boire dans
un verre encore humide où un incroyant aurait posé ses lèvres laisse ainsi planer le risque d’une
contamination. Dans sa contribution sur le toucher à l’hôpital dans ce volume de Terrain, Marie-
Christine Pouchelle nous montre qu’ « aujourd’hui encore, aux yeux de beaucoup d’hospitaliers, la
manipulation quotidienne des cadavres rend très suspects ceux qui s’en occupent et qui forment un
corps professionnel marginal par rapport à l’ensemble des soignants. […] « Je ne veux pas qu’ils me
touchent… Ils sont en contact avec les morts toute la journée » ». Est sous-jacente l’idée que l’on est
gagné par ce que l’on touche, qui s’exprime aussi bien dans la phobie du contact avec l’impur que
dans la recherche du contact avec le sacré (toucher des reliques, une statue ou une idole).

 La pudeur, la hiérarchie, l’hostilité ou la solidarité ont leurs expressions tactiles.
De la chaleureuse
poignée de main au baise-main ou à la salutation sans contact, de la danse en solo à la danse de
couple – qui fut une innovation majeure dans l’histoire de l’Occident (Hess 2003) –, de la
chorophobie affichée par l’islam rigoriste (Shay 1999) aux « corps associés » des ballets de Pina
Bausch qui évoquent les différentes figures du désir et de l’attraction érotique (voir l’article de
Claudine Vassas), les contacts se modulent selon les relations entre les genres, les conceptions du
corps et de l’espace, les différences de statuts, les intentions (Finnegan 2005). Sur ce nuancier du
tact, un parallèle pourrait sans peine être établi entre les gestes de salutation effectués et les termes
d’adresse (pronoms, noms, titres…) employés. L’accord conclu (« Tope-là ! »), la réconciliation ou
l’ouverture vers la paix (la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, qui refusa
cependant d’embrasser le leader palestinien), la manifestation, voire la sollicitation, d’un même
engagement (lors des campagnes électorales), prennent la forme d’une tactilité ostentatoire,
savamment graduée, en intensité comme en temps (la poignée de main, sèche ou interminable, les
regards tournés vers la caméra, est devenue un rite politique incontournable et un objet d’exégèse).
Le « coude à coude », les accolades, les chaînes où l’on se donne la main ou, dans un autre registre,
la mêlée des rugbymen sont les signes les plus manifestes du lien et de la solidarité orientée. Au
principe de ces interactions gestuelles réciproques, une « fiabilité des relations », que l’on retrouve
dans certaines pratiques des primates non humains (tel le « toilettage social » chez les singes, dont
Vinciane Despret passe ici au crible les interprétations), sans pour autant céder à la tentation,
justement dénoncée par l’auteur, de demander aux babouins de nous expliquer ce que nous sommes.

 Vecteur de plaisir ou de douleur, donnés ou reçus, le toucher est aussi un moyen d’action et de
connaissance technique.

Encore faut-il éduquer sa sensibilité tactile, comme savent le faire les
aveugles : « Le toucher apporte à l’aveugle, notait Helen Keller (citée par Finnegan 2005 : 24),
beaucoup d’agréables certitudes qui manquent à nos camarades plus fortunés dont le sens du
toucher reste en friche. Quand ces derniers regardent quelque objet, ils mettent leurs mains dans
leurs poches. Voici, sans aucun doute, une des raisons qui expliquent que leurs connaissances soient
souvent si vagues, inexactes et inutiles*. »

 Les artisans, qui ne gardent pas les mains dans les poches, mettent à profit, dans des proportions
variables selon leur spécialité, ces sensations digitales.

Christel Sola nous montre dans son article le
rôle de la perception tactile haptique ou active dans la pratique des stylistes-modélistes-couturiers et
des menuisiers-ébénistes. Ces « toucheurs professionnels » détectent à la main la qualité des
matériaux qu’ils travaillent (un textile « bloqué » – sans élasticité –, « nerveux », « feutré »,
« soyeux », etc., un bois fini « lisse », « poli », « raclé », « cérusé », « sablé », « bouchardé ») ; ils
choisissent tel mode opératoire ou tel outil en fonction des propriétés tactiles qu’ils ont ressenties et
vérifient avec les doigts si l’action qu’ils viennent d’accomplir est satisfaisante. Le toucher joue ici
un rôle essentiel d’information, d’évaluation, voire d’alerte. Ces « happerceptions
professionnelles » font l’objet d’un long apprentissage sur le tas et sont rarement verbalisées. Leur
maîtrise et la façon de se les approprier classent et singularisent les styles d’exécution, qu’il s’agisse
des musiciens (la manière qu’avait Thelonious Monk de frapper les touches du piano), des sportifs
(le « toucher de balle » de McEnroe est resté légendaire, l’art de « casser des objets durs » d’un
coup tranchant fait l’objet d’un long apprentissage à Java, comme nous le montre Jean-Marc de
Grave dans sa contribution), des médecins et des chirurgiens (aux diagnostics tactiles plus ou moins
assurés, aux « doigts de fée » plus ou moins experts pour se frayer une voie à travers les tissus, « à
tâtons » pour reprendre l’expression de Marie-Christine Pouchelle). Avec le développement de la
vidéo-chirurgie, des télé-manipulateurs, ces savoirs tactiles, « le corps-à-corps chirurgical »
régressent, le toucher s’éclipsant une nouvelle fois au bénéfice de la vue et étant de plus en plus
relégué, dans nos sociétés, à la périphérie de la connaissance, celle des rebouteux, des
chiropracteurs, des magnétiseurs (qui touchent sans y toucher), alors qu’il demeure un moyen
thérapeutique essentiel dans d’autres traditions, par exemple à Java (voir encore l’article de Jean-
Marc de Grave). Chez nous, ces savoirs tactiles jouent désormais plutôt le rôle de recours quand les
techniques « sérieuses » ont échoué. Par les activités qui leur sont encore assignées (les soins aux
nourrissons, l’entretien du linge, la couture, le choix des aliments, la cuisine, etc.), les femmes
demeurent dans le quotidien, plus que les hommes, les détentrices et les gardiennes de ces petits
savoirs.

 Cette hiérarchie des modalités perceptives se module selon les contextes, et, en particulier, selon
la place dévolue à l’icône dans les traditions religieuses
.

Si la « religious tactility », pour reprendre
l’expression de David Chidester (2005 : 49), est centrale dans les mythes et rites chrétiens
(l’imposition des mains, l’onction, le baiser de paix, le signe de croix, le toucher des statues et des
reliques dans les pratiques populaires), elle demeure cependant marginale, dans les traditions
catholique et orthodoxe au moins, par rapport à la contemplation visuelle des images.
La dévotion des Gitans, lors de la semaine sainte en Espagne, offre un exemple remarquable de
cette priorité accordée au regard qui cherche à croiser celui des statues portées en procession
(Pasqualino, 1998). Là où l’image est proscrite (dans l’islam, par exemple), le toucher (des portes
des sanctuaires, des grilles des mausolées…) occupe, en revanche, une place prééminente dans la
piété populaire.

 Quelle que soit la place accordée culturellement aux perceptions tactiles, on ne peut les concevoir
indépendamment des autres activités sensorielles, et notamment de la vue.

Le problème de cette
solidarité des sens, ou, pour reprendre la formulation de Catherine Halpern, de « l’intermodalité de
la perception, c’est-à-dire du lien qui unit les perceptions provenant de diverses modalités
perceptives », a taraudé la pensée philosophique depuis le xviie siècle. C’est le problème posé par
Molyneux, « un docte savant irlandais » qui se demandait si un homme né aveugle et ayant recouvré
la vue reconnaîtrait par la vue des objets (un globe, un cube) qu’il avait appris à distinguer par le
toucher. Catherine Halpern examine les réponses contradictoires qu’ont apportées à ce problème les
penseurs (Locke, Leibniz, Diderot…) puis les cliniciens et les chercheurs en neurosciences.

  Le ssvt (système de substitution visuo-tactile), développé à la fin des années 1960, est fondé sur le
principe que « nous ne voyons pas par les yeux mais par le cerveau, qui va transformer
l’information reçue en une expérience visuelle ».

Le dispositif mis au point transforme ainsi un
signal visuel véhiculé par une caméra en signal électrotactile qui transmet une image proche de
celle de la vision. L’expérience montre qu’en quelque sorte l’on peut « voir par le toucher ».

 Mais on peut être aussi touché par le voir.

Pour rendre compte de cette « confusion des
sensations », de cette synesthésie qui n’a rien de métaphorique et qui explique la popularité des
films pornographiques, Olivier Morin met en oeuvre les notions de « résonance tactile » et
d’ » intégration visualo-tactile ». « L’association sensorielle entre les caresses » observées « et celles
que l’on pourrait vraiment ressentir semble assez précise, quoique inconsciente », remarque-t-il.

 Ces considérations modernes sur l’ » intermodalité » des perceptions, sur les « sensibles
communs » selon les mots de Catherine Halpern, rejoignent, à leur façon, les conceptions javanaises
scrutées par Jean-Marc de Grave, celles-ci postulant la complémentarité des sens puisant à une
même source (le rasa, le « ressenti central »).

 Contrairement à la vue, à la perception des couleurs (Berlin & Kay 1969), à l’échange des
regards (Nahoum-Grappe 1998), aux goûts, aux odeurs, à leur classification et à leurs usages (voir,
entre autres, Chiva 1985 ; Dupire 1987 ; Candau 2000), qui ont donné lieu à des travaux
monographiques et synthétiques, le toucher, comme l’ouïe, demeure le sens mal aimé des
ethnologues (voir cependant Howes 1991 ; Bynum & Porter 1995 ; Classen 1993, 2005). Pourtant,
on envisage mal que l’analyse des relations sociales, de la ferveur religieuse, de la fabrication et de
l’usage des objets, des techniques thérapeutiques et érotiques en fasse l’économie.

  L’histoire de notre discipline, et des sciences de l’homme en général, a aussi à tirer profit de la
manière dont a été traité ce parent pauvre.

Les primitifs ont-ils une sensibilité tactile différente de la
nôtre ? Cette question faisait partie du programme des grandes expéditions (française au cap Horn,
britannique dans le détroit de Torres) de la fin du xixe siècle. Équipés du compas de Weber, conçu
pour mesurer la sensibilité de chaque partie du corps, les savants postulaient et découvraient une
plus grande réactivité aux stimuli chez les « primitifs » que chez les Européens. Mais, tandis que le
médecin-anthropologue français attribuait en grande partie ce supplément de sensibilité tactile à des
caractéristiques physiologiques collectives innées, le savant anglais constatait l’importance des
variations individuelles. Comme le montre Nélia Dias, qui analyse cet épisode, ces dernières
conclusions eurent des répercussions importantes sur l’évolution de l’anthropologie et de la
psychologie en Grande-Bretagne.

 Si l’ethnocentrisme et l’évolutionnisme ont biaisé les études sur la tactilité des indigènes,
l’anthropocentrisme a lourdement grevé l’interprétation des comportements des primates non
humains.

Le « toilettage social » a été ainsi successivement analysé comme un comportement
typique de singes vivant dans des conditions favorables et disposant donc de temps pour entretenir
des relations amicales, comme la manifestation d’un ordre hiérarchique, un hommage des plus
faibles aux plus forts, comme une conduite dictée par l’intérêt à court terme (voici les babouins
transformés en entrepreneurs schumpeteriens !), ou encore comme un échange de bons procédés,
une sorte d’application du principe maussien du don / contre-don. On reconnaît là sans peine les
questions que s’est posées l’anthropologie sur le fonctionnement des sociétés humaines. Plus
féconde serait la voie qui consisterait à s’interroger sur ce qui touche les primates. « Somme toute,
commente Despret, réduire leurs solutions à nos problèmes laissait peu de chance à leur inventivité,
comme elle en laissait peu à la nôtre ».

C’est cette chance qu’il faudrait saisir pour faire désormais du toucher, dans sa diversité
sensorielle et émotionnelle, un véritable champ de recherche anthropologique.

* et avec un soutien très vif du service culture de la Ville de Callian

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