Cette exposition d’Henri Baviera au Musée de Saint-Paul (avec une partie à l’Espace Verdet), et qui va s’étendre jusqu’au 16 septembre 2012, est un événement pluriel : d’abord une rétrospective nécessaire vu l’ampleur de l’œuvre, ensuite un retour réel et symbolique de son auteur dans son village, où comme, l’exprime Monsieur René Buron, Maire de Saint-Paul, Henri a joué un rôle fondateur dans l’élaboration non seulement d’un Musée, mais, à l’époque d’une « Ecole de Saint-Paul », dont l’étiquette n’a pas persisté mais qui a eu l’avantage de réunir des noms qui allaient fleurir par la suite dans le paysage artistique.
L’avant-propos par René Buron dans la monographie « Henri Baviera » éditée par les Editions de l’Ormaie (215 pages couleur) est à ce sujet très explicite :
Tel Ulysse après son long voyage, Henri Baviera revint dans son petit village de Saint-Paul de Vence pendant l’été 2012 présenter une rétrospective de son œuvre d’artiste peintre commencée il y a plus d’un demi-siècle. Après plus de cent expositions personnelles ou collectives qui le menèrent aux quatre coins du monde, Henri retrouve la cité où il installa son premier atelier en 1949 dans la maison familiale saint-pauloise, il avait alors 15 ans. Ce retour aux sources aura été pour l’artiste l’occasion de réfléchir sur sa recherche artistique et de réaliser cette monographie portant témoignage des voies qu’il explora dans le domaine de la peinture : passant du figuratif à l’abstraction, travaillant dans des domaines aussi différents que la peinture, la gravure ou la sculpture… Pour le Maire d’une commune marquée par l’art et la création, c’est un honneur de rendre hommage à l’un de ses concitoyens ayant acquis une notoriété internationale. En tant qu’ami de longue date, cette exposition ajoute un plaisir personnel à partager avec ceux qui le découvriront à cette occasion et avec ceux qui le connaissaient déjà mais qui ignoraient certains aspects de son œuvre que l’exposition ou cette monographie leur révèleront. Qui se souvient encore qu’en 1952, il y a exactement 60 ans, Baviera participait pour la première fois à l’exposition annuelle des « Arts de Saint-Paul de Vence » où il exposait l’une de ses premières toiles : Intérieur paysan ? Il côtoyait alors des artistes qui marquèrent une époque et dont la renommée s’étendit bien au-delà de la commune : Atlan, Borsi, Celli, Cini, Coignard, Damiano, Delacroix, Dunoyer, Franta, Jacques, Kijno, Luttenbacher, Paul Roux, Tillio, Tobiasse, Samivel, Verdet, Vu Cao Dam, Witte… C’est avec ces compagnons prestigieux qu’il participa à la création du Musée de Saint-Paul inauguré le 16 mai 1964.
Entre Musée de Saint-Paul et l’Espace Verdet, une tranche d’Histoire
L’exposition qui accompagne la publication de cette monographie aura pour cadre deux lieux particulièrement symboliques : le musée dont il fut l’un des créateurs et l’Espace André Verdet, ancienne école élémentaire où le jeune Baviera fut élève avant de devenir un proche de Verdet. Cette école est devenue lieu culturel en 2009 ; il porte le nom de l’artiste et grand collectionneur André Verdet, en reconnaissance de la donation qu’il fit de son vivant à la communauté saint-pauloise. Ce lieu accueille en alternance une formation universitaire (Master « art et tourisme culturel ») et des expositions artistiques. Ses premiers invités furent les Saint-Paulois : Bill Wyman l’ancien bassiste des Rolling Stones présentant ses photographies, Théo Tobiasse, Rémi Pesce et en 2012 Henri Baviera, enfant du pays, fait partie de la lignée des artistes, peintres, sculpteurs, graveurs, poètes, chanteurs… aux noms prestigieux ou aux noms inconnus qui auront marqué l’histoire culturelle de notre cité. Sans eux, Saint-Paul de Vence ne serait resté qu’un lieu magnifique. Avec eux, grâce à eux, ce petit village provençal est devenu cité des arts, terre d’accueil d’artistes créateurs qui lui auront confié une partie de leur âme. (René Buron, Maire de Saint-Paul-de-Vence, mai 2012)
Du visuel au mental
La monographie contient les textes (« études ») de Bernard Noël, Françoise Armengaud, Jacques Kober, André Verdet, France Delville, des textes très fouillés pour une œuvre qui fut (et reste) un champ de recherche et de méditation intense pour l’artiste et l’homme Henri Baviera. Passer, d’une figuration-hommage à ces racines paysannes incontournables comme Henri l’exprime dans son discours de vernissage, à la pure abstraction d’aujourd’hui, a été le fruit d’une interrogation sans concession sur une vision du monde, et aussi sur la peinture. Bernard Noël résume bien la chose avec son titre : « « Du visuel au mental ». Son texte commence ainsi :
L’image est partout, dit-on, mais est-ce encore de l’image ? Elle fut, elle est toujours le support de la représentation, sauf qu’assez rare autrefois, elle est devenue surabondante, donc banale. Contrairement à ce que l’on croit, son règne n’est pas récent : il a commencé avec le brusque progrès de l’imprimerie, qui a permis de la multiplier à partir des années 1810. En ce temps-là, elle était encore matérialisée, et elle le demeura avec, un peu plus tard, l’invention de la photographie. De nos jours où la voici devenue virtuelle, il n’est sans doute pas indifférent de distinguer l’image faite à la main de celle qui est faite à la machine, surtout quand il s’agit d’aborder l’œuvre originale d’un peintre.
Henri Baviera est un artiste qui peint, qui dessine, qui grave et qui synthétise ainsi les diverses façons de faire des images à la main. Quand on entre chez lui, on est à la fois dérangé et attiré par une très grande toile représentant un intérieur paysan. Pas de figures, rien que des objets, les restes d’un repas sur la table, et l’espace, la lumière. Tout cela, au premier regard, paraît d’un réalisme neutre et ordinaire, mais une présence persistante excite l’attention si bien que les yeux reviennent vers l’image et sont de plus en plus curieux d’interroger un pouvoir qui s’affirme. On dévisage une nouvelle fois les objets, la composition, la petite fenêtre, aucune anecdote n’apparaît, uniquement la pérennité des choses et l’indicible qualité de la fusion de l’espace et de la lumière. Une vieille notion surgit alors, qui sert à qualifier l’impression procurée par certaines icônes : celle de présence réelle.
C’est cela même qu’on éprouve et qui est marquant tandis que, pensant à l’abondance actuelle des images, on se dit qu’elles ne nous offrent au mieux que de la ressemblance, laquelle n’est qu’un trait général et éphémère immédiatement remplaçable dans sa fabrication. Cet Intérieur paysan est l’une des plus anciennes toiles de Henri Baviera, une toile de jeunesse : l’étrange est que sans être originale, ni par le sujet ni par la facture, elle le soit par une qualité qui, justement, n’appartient qu’à la peinture, et qui est cette présence communicative dont l’émanation nous fait partager l’attrait sans qu’il soit réductible à la moindre formule explicative.
Vie condensée
Peint comme une image ressemblante, ce tableau dépasse la ressemblance et restitue l’empreinte d’une vie condensée dans un lieu et un moment. Cette condensation sera l’une des caractéristiques de l’œuvre de Henri Baviera qui, par conséquent, en aura eu le pressentiment avant même l’apprentissage de son art. Cet apprentissage commence par une période par lui-même qualifiée de « Figuration » (1952-1965) qui expérimente une suite de sujets traditionnels : natures mortes et paysages ou détails de paysages surtout. Les formes y sont en effet ressemblantes mais très librement interprétées dans leurs contours et leurs couleurs dont l’agencement multiplie les petits aplats géométriques. On reconnaît des silhouettes mais elles sont comme débordées par un mouvement qui traduit l’impression reçue et sa trace visuelle. Cette trace est évidemment la chose importante pour le peintre mais la contrainte exercée par l’acquisition du métier l’empêche de lui donner la première place de telle sorte que, dans les tableaux de cette époque, elle rivalise avec la figure. Dans Lampe et Théière, Mandoline et Pot rouge comme dans Champs de blé, Mistral ou Espagne, le regard gagne toujours en acuité et le métier en précision tout en étant cantonné par l’exposition du sujet : c’est dans la couleur, l’intensité et la violence de ses rapports, que l’on sent grandir la liberté et l’originalité du peintre.
En suivant l’évolution de ce travail, il est passionnant et significatif de constater que la liberté s’acquiert par la maîtrise du métier, évidence que nient aujourd’hui l’enseignement et les démarches de l’art contemporain. Le résultat est que l’on produit une marchandise artistique dont la valeur s’évalue en termes de spéculation financière et qui n’a plus rien de commun avec la qualité expressive qui s’éprouvait par l’émotion et la pensée. L’Art est né du besoin de remédier à notre mortalité en interrogeant l’énigme qu’est la vie, autrement il n’est qu’un exercice de séduction très passager et très superficiel.
L’œuvre de Henri Baviera s’inscrit, tout au long de son trajet, contre cette superficialité cependant qu’elle interroge avec obstination la fameuse énigme dont la nature offre le spectacle et promet la solution à condition de s’adonner à un patient déchiffrement. Une impression rétinienne peut-elle à la fois contenir la réponse et la garder secrète ? Est-il possible que, saisi par la vision, on perçoive comme prochaine la révélation du secret alors même qu’il n’en finit pas de se dérober ? Tableau après tableau, on sent en effet grandir la promesse de cette révélation, mais si elle ne surgit pas, il ne s’en suit aucune déception car il suffit que l’énergie de sa recherche nous soit offerte en partage. Aucun échec et le désir insatiable de poursuivre : chaque œuvre appelle la suivante et, de l’une à l’autre, s’amplifie le mouvement de ce qui s’impose comme la principale valeur humaine : l’élan de l’interminable.
Henri Baviera nomme « Minérale » sa deuxième période (1962-1965). Les titres, quand il y en a, sont proches de ceux de la période précédente : Col de Vence, Les Ombres de la colline, Provence… Aquagraphie s’en distingue par sa construction contradictoirement abstraite et fluide, fortifiée par un réseau qu’on pourrait qualifier de nerveux. D’ailleurs, détails de paysages ou fragments de vues, tout paraît organisé par un système de nervures, tantôt végétal et tantôt corporel…
A suivre, y compris des illustrations du texte de Bernard Noël...