Dans la préface du catalogue de l’exposition « Marc Piano, Le privilège de l’invention », à l’Espace Miramar de Cannes (2010), sous le titre « « Le merveilleux est toujours beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau », Bernard Brochand écrit :
« Qu’il décline le surréalisme au mode du fantastique ou de l’enfance, André Breton pourrait tenir lieu de mentor à Marc Piano, si ce dernier n’avait depuis longtemps déjà explosé tout repère l’enfermant dans une quelconque filiation artistique. Bien avant que l’air du temps n’en fasse un phénomène de mode, le surnaturel selon Piano a transcendé les frontières de la normalité, tandis que son bestiaire atteint à l’atemporalité des chimères. Imaginaire inquiétant ou malicieux sollicité dès le titre de l’œuvre, expressionnisme fantasque, figurations dignes d’un trip gainsbourien au pays des papous et leurs totems, des sorciers indigènes et leurs sarbacanes sacrifiant aux cultes ancestraux, l’homme de la terre, imperméable aux agi¬tations contemporaines, façonne avec tendresse l’histoire de ces créatures qui frappent à la porte de ses rêves.
Cannois de naissance, vallaurien d’adoption, c’est en écho à la biennale internationale Création contemporaine et céramique de la cité d’argile, fief des grands maîtres de l’art, que Marc Piano présente à l’Espace Miramar de Cannes sa Rétrospective 1995 2010. De l’archaïque au visionnaire, du mastodonte à la bactérie, de la fantasmagorie à l’ironie, des obsessions de l’enfance à l’aventure en terre maorie, voici une invitation à un voyage en bateau ivre, à goûter comme une odyssée envoûtée par quelque rituel haka ou encore comme un drôle de drame à la Prévert : Moi j’ai dit bizarre, bizarre... comme c’est étrange ! » (Bernard Brochand, Député maire de Cannes)
Marc Piano, Le privilège de l’invention
Et Frédéric Ballester, directeur de la Malmaison, dans un texte dédié à Jean Derval, Prince mystique et disciple de Dieu en l’art du feu... et qui a pour titre « Marc Piano, Le privilège de l’invention », replace bien Marc dans ce monde de Vallauris de la massive tradition tout en reconnaissant à Marc Piano une capacité de « réinvention »… Ce texte commence par :
« Au diable l’avarice ! C’est bien dans un contexte opportun et ancré dans un temps partagé avec la XXIe Biennale internationale de céramique contemporaine de Vallauris, que s’improvise à Cannes une présentation monographique des œuvres singulières du plasticien et céramiste vallaurien, Marc Piano. Le village de Vallauris, qu’il enrichit de sa créativité et qui est sien depuis son enfance, est certes un lieu de prédilection, dans une Provence où se pratiquait dans le passé, avec rusticité, une production recherchée autour de la terre cuite vernissée. Car c’est depuis des temps immémoriaux que résiste, en ces murs de mémoire un art de tradition attaché à la poterie culinaire. Ce savoir faire ancestral résulte à la fois de la qualité d’une argile extraite in situ, parmi les collines qui bordent Vallauris et les vallons qui surplombent Sophia Antipolis, mais aussi du savoir faire légué par de judicieux et fidèles artisans. L’âme d’alchimiste qui régnait dans ce monde d’ouvriers est toutefois sublimée par une maîtrise incontestable des cuissons flammées au bois.
L’art du feu, par magie, libère une argile gourmande, qui absorbe comme une peau des couvertes onctueuses, verrines aux couleurs vives de nature »… Et Frédéric Ballester de décrire l’esprit nouveau qui naîtra à la fin du XIXe siècle avec la famille Massier, principalement Clément, Delphin et Jérôme. Il y aura un déclin entre les deux guerres, mais vers la fin des années 30 Vallauris renaîtra grâce à la venue d’une nouvelle génération de créateurs qui feront revivre les ateliers, et puis viendront Suzanne et Georges Ramié, et Picasso. Dès 1946, ce sera l’active production de ce trio. A la fin du XXe siècle viendra Marc Piano, d’abord tourneur, et « c’est tout à son honneur, puisque de cette expérience, il a tiré un sens inné de l’équilibre et de la mise en situation des objets dans l’espace », expérience qui a pu se dérouler également aussi bien aux fins fonds de la Nouvelle-Calédonie et de l’Australie.
Avec force et raison
« C’est cependant bien au cœur de Vallauris que son langage s’est affiné, poursuit Frédéric Ballester, avec force et raison… (…) L’œuvre totémique de Marc Piano s’éprouve dans l’affiliation à l’histoire la plus ancienne de la céramique mais s’affirme aussi dans la chronologie des artistes guidés par l’esprit de liberté insufflé par le génie picassien, tels que Roger Capron, Jean Derval, Roger Picault, Roger Collet, Gilbert Valentin, Les Argonautes, André Baud, Paul Chambost, Gilbert Portanier, Eugène Fidler, Jacques Innocenti, Alexandre Kostanda, Robert Pérot, Palmyre Malarmey, François Raty, Gustave Reynaud, Michel Anas, Olivier Roy et tous ceux qui ont participé au renouveau de l’art de la terre et du feu.
Marc Piano, par la vision imaginative qui le possède et que l’on peut déceler par un simple regard porté sur la moindre parcelle de terre cuite, rend compte d’un monde où tous les archaïsmes représentés sont le privilège de l’invention. Ils s’entrecroisent dans ses constellations miraillées, ses colosses campés comme des dieux puisés de mythologies soudaines. Leurs chairs de mutants, épuisées par la matière d’une terre de chamotte pigmentée au manganèse, souffrent d’une cuisson menée à bout de souffle. Tous, alignés comme des ancêtres, bordent nos rêves d’aventures, au fond des passages où se rencontrent des esprits aux idées tribales. Réinventés par la terre, l’eau et le feu, ces peuples inouïs respirent séparément le silence, comme les peuples qui observent dans l’obscurité de la nuit, autour d’un feu, l’avenir qu’ils dessinent sur le pourtour des étoiles » (Frédéric Ballester, Directeur du Centre d’art La Malmaison)
Marc Piano, donc, dans l’après-Picasso. Qu’est-ce à dire ?
Il faut, là, sortir une phrase du texte de Frédéric Ballester de sa partie non citée (il est très long), car cette phrase place Marc Piano à la fois dans la transmission picassienne et dans une rupture qui fait de lui un nouvel « enracineur » :
« La victoire de Marc Piano sur l’esprit, qui marquera l’imaginaire de toute une génération d’artistes prend forme par la distance établie dans sa recherche et qui le transporte vers un univers d’une singularité pareille à aucun autre, sinon celui de sa propre vie ».
Rupture avec quoi ? Avec celui sans qui l’histoire de l’art ne serait pas ce qu’elle est, et qui est venu pétrir l’argile à Vallauris.
Avec qui Marc Piano a-t-il dû rompre pour faire son œuvre ? Avec celui, répétons-le, sans qui l’histoire de l’art ne serait pas ce qu’elle est, et qui est venu pétrir son argile d’Adam le glébeux à Vallauris. Il faut donc rappeler quelques éléments du lien de Picasso au « taureau », cet élément mythique tellement prisé par les surréalistes comme rappel d’un tellurisme un peu oublié, c’est cela, la révolution surréaliste (sans oublier la découverte de l’inconscient), et c’est ainsi qu’ils se prirent de passion pour l’Afrique et autres continents encore intacts dans leur rapport aux forces obscures.
(A suivre)