Que des artistes MADI : Bolivar (Uruguay), Bonies (Hollande), Bourmaud (France), Hasegawa (Japon), Joüet (France), Mascia (Italie), Nem’s (Hongrie), Prade (France), Ridell (Suède), Strack (Suisse), Zangara (Italie), fassent, à la Nattavaara Akademin de Sarvisvaara (Suède), un Hommage à Vantongerloo est donc à la fois poétique et tout à fait pertinent. Car Carmelo Arden Quin, dès son arrivée à Paris en 1948, eut à cœur de rencontrer le grand artiste abstrait qui avait collaboré au mouvement De Stijl, au groupe Abstraction-Création, et à Cercle et Carré, association fondée en 1929 qui n’avait vécu qu’une année mais organisé une exposition célèbre en avril 1930 à Paris à la galerie 23, son concepteur ayant été Joaquin Torres Garcia, rejoint par Michel Seuphor avec qui il avait fondé la revue Cercle et Carré. Cela n’avait pu, évidemment laisser Carmelo indifférent, et rejoindre Vantongerloo, n’était-ce pas continuer d’être fidèle à Torres-Garcia, celui qui, un soir de conférence à Montevideo, en 1935, lui avait ouvert la porte de la polygonalité ? ne pourrait-on dire de l’infini ? A travers une mystique de ressourcement tellurique ? Le côté un peu mystique de Cercle et Carré rejoignant, elle, la tendance présente dans le néo-plasticisme de Van Doesburg et Mondrian, fondateurs de De Stijl, curieux grand écart entre un désir de pureté, d’absolu, et d’application concrète dans l’architecture, le mobilier… et les œuvres picturales considérées comme des objets symboliques, ne représentant que la forme : la forme de l’Inaccessible… Et cette rencontre de Carmelo Arden Quin avec Georges Vantongerloo avait eu un grand effet sur son œuvre ainsi que sur celle des membres du « Centre des Recherches et Etudes MADI » de la Rue Froidevaux, concernant la question du blanc.
Un autre élément qui fonde l’exposition de Sarvisvaara, c’est que Vantongerloo s’était lié d’amitié avec le peintre suédois Gert Marcus, et que tous deux, en 1960, avaient assisté à une aurore boréale dans le Nord de la Scandinavie. Il paraît que cela avait beaucoup impressionné l’artiste belge.
Gert Marcus
Olof Gert Marcus, né le 10 Novembre 1914 à Hambourg (Allemagne) et décédé le 23 décembre 2008 à Stockholm, est le fils du peintre suédois Paul Marcus. D’abord peintre lui-même, il a cherché à créer du volume avec des couleurs pures, puis s’est fait une réputation de sculpteur de formes concrètes. Il a vécu à Stockholm à partir de 1933, passant de longues périodes en France (Menton, Bretagne, Paris) et en Italie (Massa Carrara). L’oeuvre de Cézanne l’a fait réfléchir sur la question de l’espace et du volume au-delà de la question de la perspective, à partir de quoi il a développé une théorie de la couleur.
C’est en 1955 qu’il a rencontré à Paris Michel Seuphor, Nicolas Schöffer et Georges Vantongerloo, avec lequel il a échangé une abondante correspondance, leurs lettres et notes ont été publiées en 2000 par l’Académie Suédoise Royale de l’Art (Editions Raster, 2000). En 1954, Marcus exécute un mur de mosaïque en pierre dans l’église Saint Michel à Mora, en 1957 un mur de mosaïque dans le bâtiment de la police de Stockholm, en 1959 une mosaïque de verre brisé dans le hall du Sergel Théâtre, amovible, destinée à être transportée dans un musée. Etc.
Et Vantongerloo ?
Né à Anvers en 1886 il est mort à Paris en 1965. Vers l900, il suit les cours des Académies royales des beaux-arts de Bruxelles et d’Anvers. En 1914 il rejoint l’armée belge. Blessé, il est hospitalisé en Hollande et y passe le reste de la guerre comme réfugié à Voorburg près de La Haye, où il expose pour la première fois ses peintures en octobre 1917 au Cercle Hollando-Belge. À La Haye, il rencontre le futuriste Jules Schmalzigaug, puis Theo van Doesburg, Bart van der Leck et Mondrian, qui viennent de créer le magazine et le mouvement artistique De Stijl. De Stijl, c’est à la fois une revue, un groupe et une idée. Le premier numéro de la revue avait paru à Leyde en octobre 1917, et en novembre 1918, Vantongerloo co-signe le Premier Manifeste du Stijl avec Piet Mondrian, Vilmos Huszár, les architectes Jan Wils et Robert van’t Hoff, le poète Antony Kok (dont l’œuvre est minime) et, bien entendu, van Doesburg, cheville ouvrière du mouvement.
À Voorburg, Vantongerloo commence à se plonger dans les mathématiques, la géométrie, la physique, la cosmologie, qui selon lui permettraient de représenter le mystère de l’univers. L’art alors devrait se conformer aux mathématiques pures.
Dans « L’art abstrait » tome 1 (Maeght Editions), Michel Seuphor écrit : « L’anversois Georges Vantongerloo était le sculpteur et aussi le mathématicien du groupe. Dans un des fascicules du Stijl, il détaille par le menu la structure du Gondolier d’Archipenko. C’est par l’analyse géométrique et algébrique des œuvres anciennes et de ses propres peintures encore naturalistes qu’il arrive à l’abstraction. En 1925 quand je fis la connaissance de Vantongerloo, à Menton, il venait de publier un livre rempli de chiffres impressionnants ayant trait à la valeur vibratoire des couleurs. Il fut le premier à appliquer à la sculpture les idées néo plasticiennes. Mondrian regrettait alors d’avoir dit, dans un article qui précédait les réalisations de Vantongerloo, que la néo plastique ne pourrait jamais pleinement s’appliquer aux trois dimensions. Comme peintre, Vantongerloo préférait l’usage des complémentaires (le vert et le mauve surtout, avec du gris), ce qui donne à ses toiles un aspect très différent de celles de Mondrian et de van Doesburg. Depuis quelques années il a tout à fait abandonné la ligne droite et peint, en teintes neutres, de fines lignes courbes en tension l’une vers l’autre. Je vois aussi dans son atelier des sortes de nébuleuses à demi effacées, des glacis de couleurs transparentes. Le fond demeure blanc toujours. Certaines toiles ne comportent qu’un léger fil multicolore, d’autres quelques virgules ou quelques points. Vantongerloo fait également des « objets » où la masse solide se combine curieusement avec le fil de fer tremblant ».
De ces glacis, Volf Roitman parle quelque part, mais l’image de ces nébuleuses à demi-effacées est très parlante, elle peut se poser sur pas mal d’œuvres MADI de cette époque.
Vantongerloo parmi les « antécédents » de MADI
Il est intéressant de le voir cité par Volf Roitman dans le catalogue de l’exposition « MADI international 50 ans plus tard », au « Centre d’Expositions et de Congrès » de Saragosse, printemps 1996 (avec plus de cinquante artistes MADI), comme l’un des éléments fondateurs de MADI dans ce qui serait des « antécédents » ayant modifié le monde dans lequel Arden Quin allait naître, qui seraient en quelque sorte le « terreau » de MADI, et auquel MADI allait, lui, apporter une notable nouveauté. Ces faits sont, en gros l’apparition du verre, du fer, la traction mécanique, vapeur, train, automobile, aviation, électricité, Edison, Impressionnisme, photographie, cinéma, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Villiers de l’Isle Adam, Jules Verne, H.G. Wells, Rosny Ainé, Charles Cros, le phonographe, les grandes Expositions Universelles, le Palais de Cristal, la Tour Eiffel, Cézanne, Emile Bernard, Picasso, Braque, Apollinaire, Picabia, le Manifeste futuriste, la rapidité, Mondrian, le néo-plasticisme, la revue De Stijl de Théo van Doesburg, Kandinsky, Duchamp, Roussel, Proust, Stravinsky, Balla, couleurs primaires de Léger, Musique de los ruidos de Russolo, le blanc comme silence. Malevitch, Rodtchenko, Allais, Dada, Tzara, Gropius, le Bauhaus, Klee, Feininger, Moholy-Nagy, Gabo, Pevsner. Tatlin, Rodtchenko, Breton. Torres-Garcia, Cercle et Carré, Mondrian, Seuphor, Kandinsky, Arp, Vantongerloo, Russolo, Gorin… 1938 : Georges Vantongerloo, né à Anvers, adhère en 1917 à De Stijl, et, à Paris, avec Auguste Herbin, crée le groupe Abstraction-Création. En 1938 il abandonne le rythme orthogonal néo-plasticiste et se lance dans une peinture minimaliste, simples lignes sur fond blanc. Son œuvre inspirera le groupe des artistes Concrets argentins, et la « plastique blanche » des Madistes parisiens dans les années 50. Ceci est donc une synthèse du texte « Antécédents » écrit par Volf Roitman dans « Memoria Madi, Cahier n°1 », en 1995 et paru dans le catalogue de Saragosse en 1996. Les simples lignes sur fond blanc de Georges Vantongerloo vont donc être une révélation pour Carmelo Arden Quin.
A suivre...