Retrouvant ce film qui montre Carmelo Arden Quin avec la Conservatrice du Musée de Pontoise, Edda Maillet, et Alexandre de la Salle, en train de prévoir une exposition au Musée pour le printemps de l’année suivante (11 mars-21 mai 1989), et voyant Carmelo, pendant une bonne demi-heure, pasticher avec verve certains personnages, il me revient à l’esprit le texte que celle-ci écrira dans la plaquette de l’exposition, où elle mentionne les talents de conteur d’Arden Quin. Mais pour le clip qui accompagne ce chapitre, ont plutôt été choisis des passages qui concernent ses rencontres avec Nicolas de Staël, Georges Braque et Francis Picabia. Dans le clip suivant il parlera de Picasso. Et voici donc la préface de Madame Maillet, sous le titre « Carmelo Arden Quin » :
" Je crois avoir rencontré Carmelo Arden Quin pour la première fois au Musée de Pontoise lors de l’exposition consacrée à Aurélie Nemours. Je ne savais pas très bien qui il était, ni quelle peinture il faisait. Ayant vu plus tard quelques unes de ses œuvres, j’ai souhaité visiter son atelier. Il m’a accueillie dans sa petite maison au sud de Paris. Il y avait des toiles partout, des anciennes, de plus récentes, un arc en ciel de peintures aux formes chahutées, tout un petit festival allègre et éclatant.
Puis il a préparé un excellent déjeuner, les bons peintres sont souvent de fins cuisiniers. Nous étions nombreux autour d’une grande table et Carmelo racontait. Il raconte bien. Il connaît le monde entier. Il sait tout : le marché de J’art, les peintres, les mouvements, ce qui se fait... "
L’on comprend vite qui il est. Scrupuleusement droit, fidèle, lucide, un peu retiré du monde, ne demandant rien à personne, il est jeune comme un jeune peintre ne l’est plus guère aujourd’hui. Il a raconté des souvenirs avec un humour et une tendresse qui font que l’on ne peut pas ne pas se lier sur le champ d’amitié avec lui. C’est sans doute cela qui fait le charme de ses peintures. Si elles présentent au premier abord un côté très savant (car il faut tout de même un peu de savoir pour retrouver la sagesse de l’enfance), elles n’en demeurent pas moins de petits morceaux de joie allumés dans le monde.
Carmelo m’a permis de réunir au Musée de Pon¬toise, pour son soixante quinzième anniversaire, une vingtaine de ses œuvres. Que ce nombre soit ici, à cette occasion, le symbole discret d’une invincible jeunesse. (Edda Maillet)
L’Indien
Le passage du film où Carmelo Arden Quin décrit le travail au couteau de Nicolas de Staël est très haut en couleurs, et il dit que c’est Nicolas de Staël qui l’amène à Braque, et que cela ne se passe très bien, Braque l’appelle « L’Indien », et ne s’intéresse pas à sa peinture. Ce ne sera pas la dernière fois que quelqu’un l’appellera « L’Indien », lorsqu’il participera en 1964 au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne à l’exposition : « Cinquante ans de Collages, Papiers collés (Assemblages, Collages, du cubisme à nos jours) », avec Picasso, Arp, Diego Rivera, Man Ray, Max Ernst, Miró, Marcelle Cahn, Pettoruti, Dubuffet, Seuphor, Dali, Vieira da Silva, Vasarely, Aurélie Nemours, Niki de Saint-Phalle, etc., avec un collage qui sera le seul à être volé, la chose lui sera apprise par le Conservateur Maurice Allemand. Qui justement l’appelle « L’Indien ».
Mais, dit Carmelo, avec Picabia, c’est différent. A Picabia il montre une petite pièce découpée, Picabia la trouve très « jolie », et il va le présenter à Denise René. Ce sera alors, du 14 novembre au 10 Décembre 1952 (Arden Quin avec Guevara et Nuñez) l’exposition « Diagonale », avec Domela, Sonia et Robert Delaunay, Dewasne, Herbin, Le Corbusier, Picabia, Mortensen, Pillet, Arp, Carlstedt, Bloc, Baertling, Dumitresco, lstrati, Jacobsen, Magnelli, Leuppi, Deyrolle, Taeuber-Arp et Vasarely. Roitman est invité, mais il n’a pas de pièces disponibles. Exposition annoncée à grand renfort de publicité. Arden Quin montre « Echelle I » et « Paradigme », Nuñez une peinture optique et Guevara un mobile.
Occasion de rappeler que c’est à Shelley Goodman, l’épouse de Volf Roitman, que Carmelo Arden Quin s’est confié le plus longuement, elle l’a interviewé pendant des années pour réaliser la grande biographie « When art jumped out of its cage ». Et si Carmelo, dans le film, rappelle que c’est au vernissage d’une exposition Picabia qu’il a rencontré sa première épouse, Marcelle Saint-Omer, auprès de Shelley il a longuement développé la progression des événements, disant que début 1949, quand il avait rencontré Picabia, celui-ci avait 70 ans. Comme Torres-Garcia il chérissait le nombre d’or, avait été membre, juste avant la première guerre mondiale, avec Duchamp, Gleizes, Metzinger, Léger, Delaunay et Duchamp-Villon, du groupe « Section d’Or ». Et, à Barcelone en 1916, avait fondé la revue dada « 391 ». Et c’est au vernissage de sa Rétrospective « 50 ans de plaisir », à la galerie René Drouin, place Vendôme, que, le 4 mars 1949 Arden Quin et Marcelle Saint-Omer s’étaient rencontrés pour la première fois, Marcelle peintre et tisserande, amie intime des Picabia, de Vieira da Silva et de son époux Arpad Szénès.
Le destin les avait déjà fait se croiser sans qu’ils le sachent lorsqu’en 1942, dans une tertulia de Rio, Carmelo Arden Quin avait rencontré un émigré grec, le peintre Rodokanchi, qui, avant la guerre, avait restauré la maison d’un couple français, rue Orfila, dans le XIXe arrondissement de Paris, qui étaient justement les parents de Marcelle, étudiante aux Beaux-Arts, amie de Francis Picabia et de sa seconde épouse, Olga. A l’époque des travaux Marcelle Saint-Omer vivait chez ses parents, et connaissait aussi Elena Vieira da Silva et son époux Arpad Szenes. C’est qu’en 1942, accompagné de Bayley, Arden Quin, désireux de réunir des collaborateurs pour la revue qu’il envisageait de créer : Arturo, était allé à Rio de Janeiro pour rencontrer Murilo Mendes, d’après lui le poète le plus intéressant du Brésil, et du même coup voir l’exposition Vieira da Silva.
Alors lorsqu’en mai 1950 Carmelo Arden Quin organise une exposition Madi chez Colette Allendy (dès son arrivée en 1948, il avait recréé un groupe avec Bresciani, Eielson, Vardánega et Desserprit qui exposaient chez elle), celle-ci est un succès, tout le milieu de l’abstraction est venu, entre autres Picabia et Gleizes. C’est à ce vernissage qu’Arden Quin distribue son pré manifeste de 1948 auquel il a rajouté un texte dont voici des extraits :
« ... Nous voulons la pluralité.
Nous cherchons la transparence.
La lumière ne fait pas autre chose qu’élargir l’espace.
Notre archi¬tecture ira vers tous les horizons !
Notre littérature sera une mer de mythes !
Notre peinture mettra en liberté les couleurs !
Tout bouge ! »
A suivre...