« Carton », de Pascale Dupont.
L’exposition de Pascale Dupont dans la très belle salle de la Mairie de Gilette en septembre dernier a été relatée dans le journal Le Patriote par Paule Stoppa, ce qui va de soi puisque Paule est l’écrivain-poète presque attitré des œuvres de Pascale qui portent une parole. Les livres de Pascale Dupont étant comme la réinvention primordiale d’un acte d’écriture sur, avec, les matériaux offerts par la Nature. Traces sur une écorce, pourrait-on les intituler…Du liber (livre) au liber (partie vivante de l’écorce), pour ceux que latin intéresse encore…
L’exposition à Gilette, intitulée « Carton », ainsi que celle de Patrick Lanneau et Frédérique Nalbandian à Carros pourrait être dite sur la piste des éléments. C’est le support qui y est avant tout visé : une manière d’être structuraliste, ou encore Nouveau Réaliste ? Un nouveau réalisme – nouveau du nouveau – qui chercherait le réel (la chose) à sa racine si j’ose dire, une racine de la Nature retrouvée, à sa source, eau limpide nettoyant ce qu’un précédent nouveau réalisme avait apporté de sanitations selon Arman…Ici le carton – récupéré – ou le papier – fabriqué – redeviennent les fibres nobles qu’ils sont dans le grand réservoir du vivant, et servent à figurer tout ce qui vient sous la main de l’artiste, des formes abstraites aujourd’hui, traces plus ou moins géométriques, épurées, d’une histoire qu’elle se raconte en secret. Ce qu’elle dit c’est que c’est secret y compris pour elle-même. Ne sachant ce qu’elle fait, elle laisse parler. Et cela parle. Et parle bien, se développe en récit mythique d’une recréation du monde.
Terre arbres pierres eau
Sur cette exposition à Gilette, Paule Stoppa écrit :
« En réponse à l’invitation de Monsieur Morani, Maire de Gilette, Pascale Dupont a suspendu aux murs et posé au sol de la salle municipale son œuvre peint et sculp¬té, ses encres, ses travaux récents ou plus anciens.
Pas de hiatus, ici, entre la magnificence panoramique de la vallée du Var et de l’Estéron, que l’œil saisit depuis la fenêtre terre arbres pierres eau et la beauté des œuvres que propose Pascale Dupont, œuvres dont le support essentiel est ici le carton, conformément à la prédilection de l’artiste pour les matériaux dits pauvres : le carton, le bois usé, le papier de chiffe, le chanvre, la ficelle, l’étoupe etc. Pour l’alphabet des couleurs, le brun l’emporte, couleur de terre dans les encadrements de bois, dans le corps de l’œuvre, brun évocateur de forêts, terrien, ô combien, mais traversé de fulgurances rouges, de teintes métalliques, d’ocres, de noirs pro¬fonds. De cette œuvre, on aime à croire qu’elle est l’émanation poétique de la nature extérieure, de la splendeur du monde alentour. Ici, aujourd’hui, à Gilette, Ailleurs, demain.
Ce passage, du dehors au dedans, puis, au dehors encore, relève des pouvoirs de l’artiste et maintes fois de son tourment. A ces matériaux bruts, voués au rebut, à la dégradation, la destruction, Pascale Dupont par son art rend justice, les ennoblit. Ils deviennent les supports privilégiés d’un langage des signes, celui de l’émotion, celui de la poésie.
Quatre encres sur papier d’une subtilité extrême au trait si raffiné si léger qu’il frise la transparence accueillent le visiteur, indiquant le chemin d’une période de création à l’autre, finesse et force mainte¬nant mêlées. C’est un buste nu qu’on croirait de cuir et qui est de carton. Enduit, colle, jute, fer, contribuent à lui donner cette patine hors du commun dont Pascale Dupont a le secret. Créatrice de matières inconnues, elle invente avec des pigments, du plâtre, du papier ces patines dont l’effet est souverain. Un air d’éternité semble effacer le temps, arrêter ses tra¬ces. Et c’est l’œuvre qui, à son tour, appa¬raît comme une nécessité que rien ne peut atteindre ou détruire. En fait foi cette « boîte à papier » où le jeu des horizonta¬les et des verticales, la superposition des papiers colorés, ne laisse, cadre couleur de terre aidant, aucune place à de quelconques éléments étrangers.
Cette même rigueur qu’on peut admirer dans « Peau de serpent », rectangle double dont la surprenante patine, se suffisant à elle même, oblige au silence le spectateur.
Bien différentes sont les peintures sculptures, où l’opposition entre le bois brut et le papier raffiné favorise la fantaisie. L’œuvre sort de la toile, les volumes nais¬sent et s’avancent, la tarlatane, le chanvre, la colle et ses filaments, le jute la ficelle, se joignent aux papiers que Pascale Dupont fait surgir de la toile. Ils traversent la matière, ces papiers, dont l’enroulement exige qu’on les déplie, qu’on les touche, qu’on les lise. Ils sont porteurs de poèmes, comme l’est ce grimoire en carton, aux allures de livre ancien, chargé d’histoire et, dit on, de magique savoir. Un cube en bois, échevelé des filaments de lui s’échappent, houppe de poils trône, au fond de la salle. Plus récents, des bois patinés et pour chacun d’eux, matière nouvelle, ils tapissent de leurs rectangles verticaux, ils habitent de leurs volumes colorés, le mur de droite de l’exposition. (Paule Stoppa)
Variations énigmatiques
Des poèmes de Paule Stoppa font donc partie de certaines œuvres, apportant la version langagière de ce que le végétal, ou l’animal, sauvages, lointains, procurent de sensations à l’être humain, à travers des perceptions guidées. L’œuvre comme parcours labyrinthique entre les formes de l’un et l’inscription chez l’autre. Le premier autre étant cet étranger, chez le créateur, qui le guide lui-même, lui aux yeux bandés.
Le titre d’une exposition de Pascale Dupont à la Villa Soleil en octobre 2011 « Variations énigmatiques », pourrait lui servir d’emblème. Car c’est comme si ce inventaire poétique – je parle de l’ensemble des œuvres, assemblées en une exposition, ou déjà dispersées – était allé chercher des matières brutes, colorées, rugueuses, lisses, coupantes, ondulées, empilées, enchâssées, élimées, dépecées, érodées, stratifiées, écornées, sèches, humides, effilochées, agglutinées, soyeuses, ferrugineuses, pour les ré-offrir à la nomination, avec ce qu’il faut de recul, d’attente, d’hésitation, pour ce fameux retour à l’énigme.
Sans nom, elles se présentent sur les murs, sur le sol, dans les plis de grimoires, ainsi que les trouvailles d’une archéologie réinventée. On peut comprendre que, complices, Paule et Pascale édifient un musée d’histoire naturelle où les classifications s’éloignent de la sécheresse de la nomenclature technique pour entrer dans le récitatif orphique.
Ainsi, accompagnant par exemple la « Coupe de peau de lézard », ce chant de Paule Stoppa :
Sauver sa peau
Ou les trois commandements de Pascale D.
Peau nue enveloppe gracile à mille morts assujettie
pour le salut oindre premièrement
d’onguents pigments plâtre patine
l’architecture verticale des bois assis
socles l’écorce mère
écus les troncs leur armature
oindre d’ocres deuxièmement maille après maille le grillage
peau de lézard crocodile serpent
triangulaire ostensoir de la terre
d’écailles bleues disposer la lumière
à claire voie à contrejour
parcelles d’océan d’immensités marines
en exil où l’arbre se fend
troisièmement ébouriffer
l’écheveau de filasse blonde
pubis frisé nid de poils ventre humide
et faire
cornes au ciel
cvornegidouille corne
corne à l’entrejambe du monde
pour le salut
En 2005 déjà un livre unique d’artiste, conçu et réalisé par Pascale Dupont sur papier fait à la main contenait des poèmes de Paule, dont celui-ci, qui pourrait être une brève Lettre à un jeune peintre :
Peintre
Pose ta joue
contre l’écorce
l’initiale gravée
d’un prénom de fortune
Accole ton corps
A ce corps de bois
Tu porteras
le sceau
de
l’arbre
(A suivre)