Les aficionados de Jean Mas savent de quoi je parle, son discours est pétri d’un savoir crypté, entre histoire de l’art, linguistique, psychanalyse, science, philosophie, et j’en passe, mais le merveilleux est qu’en triturant tous ces champs du savoir, en les faisant jouer entre eux – cet homme-orchestre - il les fait accoucher des rapprochements les plus importants, essentiels, vitaux, tout en en dévoilant l’inaccessibilité, donc le non-sens, Lewis Carroll n’est jamais loin. Mi-dit en tous cas, ce Midi, terre de soleil qui enfanta l’Ecole de Nice… Jean Mas donne un tel peps à la chaîne signifiante que le beaupré qu’il évoque dans sa campagne de presse vous mène du côté des chutes du Niagara… comme lorsqu’il se met en colère dans ses performas, et là c’est vraiment du champagne !
Pour Jean Mas il y a barre et barre
En politique – n’oublions pas qu’un nouveau Parti (de l’Art) donne à travers le candide candidat Jean Mas son programme - il faut donc naviguer, tenir bon la barre, celle entre signifié et signifiant, comment alors mener la barque ? C’est sur le pré (beau) où s’envoient les bulles de savon que naît le beaupré, tiens bon le mât, citoyen. Jean Mas déclare habiter le langage, rappelant, qu’en circulant, la lettre dévoile les entrailles du monde. Présence ou absence de la lettre, voilà le changement, la différence dangereuse entre « dire » et « pire » par exemple. A l’instant d’un vote, est-il question d’autre chose ? Jean Mas déclenche le sens, c’est un mécanicien de la j’ouis-sens, comme dit ce Lacan qu’il cite incroyablement à bon e-scient … Rappeler (rat-pelé) que peler le rat, c’est obtenir l’art, le peler c’est le sens du retour à la lettre… est-ce fabriquer des jeux de mots en artificier du quatorze juillet ? L’après-coup de l’Histoire de l’Art invite à regarder de près les textes des performances de Jean Mas, qui semblent si improvisées, mais au contraire sont si travaillées qu’elles atteignent à une poésie brûlante.
Jean Mas est un écrivain, un penseur, à qui le don supplémentaire du one man’show permet de mettre en scène de manière éblouissante (il est arrivé au balcon un spot à la main) sa révolution personnelle, sur fond d’un personnage qui ne rit jamais (sur scène, car dans la vie il sourit ou explose de rire). On pense à un Buster Keaton même muet, on pense à Raymond Devos, cet autre cascadeur des mots, on pense à Coluche et Pierre Dac qui eux aussi ont fait semblant de se présenter aux élections pour faire miroiter le « semblant » de la politique. Jean Mas se paie le luxe de parler aussi « du » politique, en citant Platon et compagnie.
Jean Mas et Alain Amiel, co-fondateurs du Parti de l’Art
Alain Amiel, présent, fut invoqué par Jean Mas comme co-fondateur du « Parti de l’Art ». Normal pour quelqu‘un qui a arrosé le monde de la culture d’une profusion de petits chefs-d’œuvre dans le cadre de Z’éditions. Alain Amiel est cette fois-ci l’auteur de l’incontournable « Performas, 40 ans d’art d’attitude » (Editions Ovadia) qui retrace le parcours de performances de Jean Mas.
Dans le chapitre 6 de cette chronique (ce qui me permet de rappeler que le site d’Art Côte d’Azur permet d’accéder aux 44 chapitres précédant celui-ci), qui a démarré à l’époque de l’exposition « Cinquante ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif à Vence (accueillie par Philippe et Mirelle Rétif, et sous le commissariat d’Alexandre de la Salle, de juin à décembre 2010), j’avais traité des débuts du Mouvement, auquel appartient assez vite Jean, du côté de la « Mythologie individuelle : obsession/analyse », comme l’inscrit, à partir de 1973 Ben dans le catalogue de l’exposition « A propos de Nice » en 1977 au Centre Pompidou dont il fut l’un des commissaires. Dans ce chapitre 6 déjà j’attirais l’attention sur « Performas, 40 ans d’art d’attitude » d’Alain Amiel, où il écrit : « Jean Mas, ami de Ben et de Serge III, est directement en prise avec le mouvement sans aucun passé de plasticien, il entre directement dans l’art par Fluxus. Présenté par Ben en 1963, Jean Mas raconte : « Par curiosité, intrigué par ce personnage, dès 1963, je m’intéresse à Ben et à ceux qui fréquentaient sa bou¬tique : Alocco, Biga, Flexner, Serge... Dès mon retour de l’armée fin 1966, début 1967, j’y allais régulièrement trois fois par semaine, à la fermeture du ma¬gasin. Les discussions se tenaient ensuite au bistrot. Premier pas fortuit sur la scène artistique au Théâtre de l’Artistique où pour un concert Fluxus, Ben avait pris des amis proches et en tant qu’œuvre d’art, on était monté sur scène. Pour l’occasion a été fondée la troupe Art Total. Grosse pagaille où tout était possible, notion du tout possible ». Il avoue : « En bref je me sentais bien avec : Fluxus et l’appel de la vie (l’Amor de Fluxus), Support-Surface et les textes théoriques. Je prenais mes distances avec tout ce qui renvoyait à la représentation et à la métaphore. L’art corporel m’a fait et me fait toujours chier, ainsi que l’art cinétique ».
De la mouche à l’école
En 1969 Jean Mas accompagne Ben et Annie dans le transport d’un igloo dans la montagne, participe à des concerts Fluxus historiques, mais s’adonne à l’expression très pansémiotique d’une mythologie personnelle. Son thème principal, loin d’être exclusif, est la Cage à Mouches dont il dit qu’elle est une réminiscence d’une pratique enfantine : « Quel écolier, avec un bouchon évidé et des épingles, n’a pas fabriqué de ces petites cellules ou enfermé les muscidés attrapés pendant la classe ? » Tout le monde n’en a pas fait une signature artistique, et le fait que l’ADN de la mouche soit proche de l’ADN humain n’est sûrement pas innocent, comme ne sont jamais innocentes les « Performas » où tant de choses savantes sont dites, dont le délire surréaliste masque les sources subtiles. Dans l’exposition « A propos de Nice » (Centre Pompidou, 1977) Jean Mas avait déjà sa juste place, et il s’est livré depuis à une infinité de manifestations hautes en couleur, ainsi la première tentative de mise sur orbite d’une cage réalisée en juillet 1979 chez Ben (Pour ou contre Mas), ou en 1991 à la Foire d’Art Jonction, « Attestation de regard », et « Les tas » en 1992 à la Fac de Lettres, et « Langue et feu » en 93 « Je commence par une distribution de bonbons acidulés à cause du picotement qu’il procure à cet endroit particulier, objet cadre de mon propos, vous avez compris qu’il s’agit de la langue, la langue est considérée comme une flamme, elle détruit comme elle purifie… », en janvier 1993 « Pansémiotique, Manifeste de la Scission », et en octobre 1993 « 20 ans de la Cage à Mouches » à la Galerie de la Salle, etc. etc. jusqu’au 4 octobre 2003, au CIAC, « Fin de Fluxus » par lui tout seul.
« 20 ans de la cage à mouches »
A l’automne 1993 Alexandre offrit à Jean Mas sa galerie de Saint-Paul pour célébrer les « 20 ans de la Cage à Mouches », ce qui fit dire à celui-ci en 1999 : « Parmi les rares lieux qui rassemblent et dynamisent les artistes, la galerie Alexandre de la Salle a joué ce rôle. Générant ainsi un champ de conscience de nature à structurer la création, elle a participé activement au rayonnement artistique de notre région. Prendre parti, défendre, s’exposer en exposant, c’est faire le Choix en affichant une ligne de conduite. C’est dans la durée entre autres celle de l’Ecole de Nice ! Il me fallait une galerie convenable, assez grande, propre : je voulais qu’on puisse m’écouter, me questionner, me suspecter. Je faisais des cages à mouches, et lui de l’ART, nous devions dans ce jeu prendre place ». Ce à quoi Alexandre de la Salle répondit : « Diable, vingt années de Cages à Mouches, de ce piège à rien, par un vaut rien, qui les vaut tous, comme disait le grand homme, et qui, de les prendre, les perdait aussitôt, puisque mouches elles se voulaient bien sûr, fines... Et les Ombres ! Volées au hasard, de passages, de passades, où les frôlements de pieds sur le bitume chaud avaient des relents de confessionnal sulfureux. Et puis, « Fermez moi doucement », comme si cette invite à plus de tenue, à plus de retenue, en leur indicible envers, évoquait à la fois la solennité d’un insolite moucharabieh, ou la lanterne d’anciennes « maisons agonisantes ». Et comment oublier les interventions de Jean à la Fac, devant un parterre aux anges de freudiens, lacaniens, morts de rire par cette langue soumise à la question de l’être bien sûr tour à tour furibonde ou incantée...
A suivre...