Dans ALIAS, une mathématique pour pépites d’or…
Le texte de Benoît Mandelbrot du premier numéro de la revue Alias était accompagné de son commentaire par J.P. Scheidecker :
Il est tout à fait remarquable de noter que les outils fondamentaux de la théorie des FRACTALES ont été empruntés à certains chapitres des mathématiques pures dont tout le monde pensait comme inenvisageable qu’ils puissent un jour concerner les sciences…
La théorie des FRACTALES s’applique à la forme des nuages, des pépites d’or, elle intervient dans l’explication de la forme des côtes maritimes ou des tourbillons dissipatifs dans des écoulements de fluide ; elle permet d’expliquer la répartition des galaxies dans l’univers. GALILÉE disait qu’on ne pouvait lire « Le Grand Livre de la Nature » que si on en connaissait le langage, c’est-à-dire le langage mathématique et ses caractères que sont les cercles, triangles et autres figures géométriques.
Eh bien, il est possible de dire que la théorie des FRACTALES élargit considérablement cet alphabet géométrique.
Certaines FRACTALES se révèlent être extraordinairement belles, harmonieuses, présentant à la fois un caractère de symétrie et de hasard, d’intuition et de quantifiable.
Une des caractéristiques des FRACTALES est que chaque partie du tout ressemble au tout. Quel que soit le grossisse¬ment opéré, on retrouve toujours la même structure.
La théorie des FRACTALES permet d’entrevoir une nouvelle vision du monde. La mécanique de NEWTON avait contribué à nous donner de l’univers une vision anti chaotique, où tout évoluait de façon continue. On a alors vu s’accumuler un certain nombre de phénomènes « aberrants », inexplicables mais isolés. Cette nouvelle théorie permet de tenir compte de nombre d’entre eux, et c’est désormais la forme usuelle de « l’ordre » qui devient sous son regard, une exception dans la nature ! (J.P. Scheidecker)
La peinture de Carol Shapiro comme « passage »
Ce passage d’un champ à un autre, et conséquemment d’un vocabulaire à un autre, pour sentir ce qui, au-dessous, circule hors langage, semble justement ce qui ressort des « explications » de Carol Shapiro sur son travail de peintre, explications auxquelles elle se refuse, mais qui fusent, telle une improvisation de jazz… Le clip vidéo présenté dans la partie précédente en témoigne, et ce n’est pas un hasard si Carol avait parlé sur une musique qui la faisait tenir…, dit-elle, des vibrations libres, chaotiques, selon ses propres termes …
Et si les fractales ont été à l’honneur dans le premier numéro d’Alias en 1990 (fractus en latin signifiant irrégulier et morcelé), il est à noter que, quinze ans plus tard, les 14 et 15 octobre 2005, au Bar de la Science de Caravancafé s’est tenue une table ronde après la projection d’une vidéo faite en partenariat avec les « Amphis de la 5 » intitulée « La science pense-t-elle ? », présentée par Philippe Thomine, où Barasab Nicolescu s’entretient avec Jean Bricmont, professeur de physique théorique à Louvain, débat mené par Jacques Vauthier.
Barasab Nicolescu
Si je me souviens bien Carol Shapiro était très intéressée par le travail de Barasab Nicolescu, physicien/théoricien au CNRS, président du Centre International de Recherches et Etudes Transdiciplinaires (CIRET), et l’un des parrains de Caravancafé. Il avait écrit, en 1996, aux Editions du Rocher, un « Manifeste sur la transdisciplinarité ».
Et, en créant la revue Alias au début des années 1990, à sa manière Carol Shapiro n’avait-elle pas mis en œuvre elle-même une transversalité des savoirs, un appel aux bonnes volontés et à l’intelligence dans l’urgence d’un monde en danger ?
Bar de la Science et projet d’avenir
En 2005, j’avais écrit un article rapportant la séance du Bar de la Science pour le journal Le Patriote, en voici un extrait :
Extrait du Manifeste de 96 : « Ce manifeste est le premier ouvrage synthétique sur l’approche transdisciplinaire qui se répand actuellement un peu partout dans le monde. Il s’adresse à tous les hommes et à toutes les femmes qui croient encore, malgré tout, au-delà de tout dogme et de toute idéologie, à un projet d’avenir. »
La transdisciplinarité est née en 1970 au cours d’un Colloque à l’OCDE de Nice : « L’interdisciplinarité – problèmes d’enseignement et de recherche dans les Universités ».
La vision transdisciplinaire propose de considérer une Réalité multidimensionnelle, structurée à plusieurs niveaux, qui remplace la Réalité unidimensionnelle, à un seul niveau, de la pensée classique. A partir de la question : « D’où vient cette schizophrénie néfaste entre un univers quantique et un homme qui subit l’emprise d’une vision dépassée du monde ? Pourquoi agissons-nous impuissants au spectacle inquiétant d’une fragmentation de plus en plus accélérée, d’une autodestruction qui n’ose pas prononcer son nom ?
Sommes-nous devenus des clowns de l‘impossible, manipulés par une force irrationnelle que nous avons-nous-même déclenchée ? »
La transdisciplinarité apporte une réponse possible : « Il n’y a pas si longtemps, on proclamait la mort de l’homme et la fin de l’histoire. L’approche transdisciplinaire nous fait découvrir la résurrection du sujet et le début d’une nouvelle étape de notre histoire. Les chercheurs transdisciplinaires apparaissent de plus en plus comme redresseurs de l’espérance. »
Auteur entre autres de « Nous, la particule et le monde » (Le Mail), « L’homme et le sens de l’univers-Essai sur Jacob Boehme » (Ed. Philippe Lebaud) et « Théorèmes poétiques » (Ed. du Rocher), Barasab Nicolescu a dit (du mot transdisciplinarité) : « Un mot d’une beauté virginale, n’ayant pas encore subi l’usure du temps, se répand actuellement un peu partout dans le monde, comme une explosion de vie et de sens »
Par l’édito de Carol, le second numéro d’Alias continuait d’annoncer la couleur :
Si nous parlons d’Arts, de Sciences et de Spiritualité dans un journal du bord de l’eau... Si nous allons tenter de mettre en présence des peintres, chercheurs, philosophes, poètes et lecteurs... (Venez au RDV !). Ce n’est pas pour brasser de l’air, ni pour faire un beau mélange de mots ! Nous nous adressons à ceux qui ont simplement envie de sortir des buissons, des logiques stratifiées, de participer à une nouvelle réflexion ! Si la mécanique quantique joue des tours à la « raison », si les photons (grains de lumière) sont à la fois onde et particule (ni onde, ni particule ?), ici et là-bas... Si la science réalise qu’observateur et observé sont inséparables en simplifiant ce n’est pas pour faire beau ! Comprendre et regarder la mystique ou la science sans préjugé, avoir une vision holistique du monde, est devenu une nécessité philosophique, physique et économique. L’écologie n’est plus un jeu pour petits hommes verts, l’état du tiers monde n’est plus considéré comme le fruit d’un hasard disgracieux ! Cela ne nous empêche pas de sortir, de lire, de jouer, de tendre l’oreille... C’est dans la vie quotidienne que nous nous situons, pas dans des tours de phrases épineuses...
Nous ouvrons donc nos pages à ceux qui ont envie d’écrire, de parler, de participer sous n’importe quelle forme à cet itinéraire : une aventure qui commence il y a 3,5 milliards d’années sur cette belle étrange planète qui est bien plus étonnante que tous nos concepts, nos théories et nos structures !
Dans ce second numéro, la musique est toujours en tête, avec les « chercheurs de son » d’Arthéa, interviewés par Pierre Naessens, et puis le jazz par Pierre Paturle, et, après, après Edmond Vernassa par Michel Dray (n°1), c’est au tour de Martin Miguel par Paule Stoppa, à cette occasion un peu d’Histoire sur le Groupe 70, et puis Bernard Reyboz par Caroline Trebitsch, photos de ses « trophées, fossiles vivants, objets du culte, météoristes venus du fond des âges… ».
A la fin : « Rencontre avec Arnaud Desjardins » par Carol Shapiro. Il sera question du « lying » pratiqué par Swami Prajnanpad. « Je suis frappé de voir, déclare Arnaud Desjardins, qu’en dehors des domaines où on homme ou une femme sont spécialistes, et parfois c’est le domaine professionnel, combien les êtres humains aujourd’hui doutent d’eux-mêmes et vivent dans la peur… »
Pour le n°4 d’Alias, Carol Shapiro est allée interviewer Ib Schmedes, l’entomologiste dont la collection fut à l’origine de l’Eco-Musée de la Gaude, à la Coupole. Sous le titre « Sur la terre, quand on se penche », Carol écrit :
De plus près ils ressemblent à des guerriers ou à des funambules. Ils déroutent, émerveillent et dérangent parfois. De plus près encore, si l’on dépasse les habituelles répulsions conditionnées, on découvre des jeux, des rites ou des « pouvoirs » d’une étonnante complexité : « L’araignée offre une mouche vivante dans un cocon à son épouse, cadeau de noces pour mieux la séduire. Pour voler le miel des abeilles, le sphinx tête de mort émet un son qui les paralyse… » Il y a aussi ces animaux homotypiques, à la frontière entre deux mondes, semblables à des feuilles ou à des bouts de bois animés. Il faut s’approcher encore et écouter tous les murmures… IB Schmedes, d’origine danoise, est le fondateur de l’Eco-Musée de la gaude. Grand voyageur et poète, il a choisi de participer à la protection de la nature en utilisant l’émerveillement…
(A suivre)