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CHAPITRE 9 (part I) : Chronique d’un galeriste...

Les aventures de L’Ecole de Nice contées par Alexandre De La Salle. Le galeriste consacre sa chronique de cette semaine à Pierre Pinoncelli...

Alexandre de la Salle – Pierre Pinoncelli n’était pas dans l’exposition « Ecole de Nice ? » de mars 1967, il venait juste d’arriver à Nice après un nouveau voyage au Mexique et à New-York, où, la figure peinte en bleu YKB, il avait rendu un hommage à Yves Klein au vernissage de sa rétrospective au Jewish Museum devant trois mille new-yorkais stupéfaits, et avant cela… il vaut mieux le laisser décrire à sa manière :

 15 avril 1929 : Naissance (malgré lui) à Saint-Etienne, dans une vieille famille de la bourgeoisie catholique et apostolique
 1950-1954 : Errance (U.S.A, Cuba, Mexique, Amérique du Sud), découverte de la peinture au MAM de Mexico
 1962 : « Les 40 Morts » première exposition personnelle Galerie Laroche, Paris, préface de Michel Ragon
 1963 : Galerie Laroche, toiles monochromes blanches en relief sur le thème de la Thalidomide
 1963 : « L’Abattoir », 3ème Biennale de Paris, avec Arroyo, Brusse, Camacho, Zlotykamien
 1967 : « Hommage à Yves Klein » Jewish Museum, New-York
 1967-70 : Vient vivre à Nice, abandonne la peinture pour le happening de rue
 1967 : « Les copulations d’un Chinois À Vence » Happening : « Dédoublement, Copulations, Bûcher » Galerie Alexandre de la Salle, Vence
 1967 : Happening à Saint-Tropez : « « Lynchage et spasmes pour un double », accompagné d’Alexandre de la Salle et Jean-Claude Farhi
 1975 : Signature de son livre « Mourir à Pékin », et happening « Hommage à ma Vieille maman, la mort », Galerie Alexandre de la Salle, Vence
 1977 : « École de Nice ! » Galerie Alexandre de la Salle, Vence
 1993 : ART JONCTION avec la Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul
 1997 : « École de Nice. » (Les Trente ans de l’Ecole de Nice) Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul

Portrait de Pierre Pinoncelli : “Le sudiste” ou « L’œil du tigre » (Photo Jean Ferrero juillet 1990)
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Donc, il arrive chez moi juste après l’Hommage à Yves Klein à New-York, et, ayant plus ou moins abandonné la peinture, en tous cas sous une certaine forme, il fait chez moi des happenings, et ensuite je le mettrai dans mon exposition « Ecole de Nice ! » en 1977, puis en 1997 dans « Ecole de Nice… », et au Musée Rétif en juin 2010 dans « 50 ans de l’Ecole de Nice », qui fut, pour moi tout au moins, et pour quelques autres, la célébration d‘une « fin » de l’Ecole de Nice, quelques autres qui auraient aimé qu’elle finisse bien avant, chacun ayant sa date limite, chacun son histoire, mais c’est une question de passage à l’acte, de décision d’un acte symbolique, comme les Nouveaux Réalistes l’ont fait en 1970, au bout de dix ans, et ce sont Philippe et Mireille Rétif, avec leur accueil dans leur Musée, qui nous ont donné l’occasion de cet enterrement joyeux. Et c’est Pierre qui a initié le processus le jour du vernissage, et, six mois après, Jean Mas, en brûlant la Crèche de l’Ecole de Nice. Pierre a exécuté un double happening mémorable qu’a filmé Jean-Pierre Mirouze, un extrait de son film accompagne ce chapitre. Pierre termine sur le poing levé des Black Panthers aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, comme il avait commencé chez moi en août 1967 avec le happening « Dédoublement, Copulations, Bûcher », où j’ai failli périr par le feu. Le même mois, le 26 août, ça a été, à Saint-Tropez « Lynchage et spasmes pour un double », et puis en mars 1975, le jour du vernissage, signature de son livre « Mourir à Pékin », et le soir, « Hommage à ma vieille maman, la mort ». Voilà le style, très amusant, et inquiétant, de Pierre Pinoncelli, qui aime bien frôler les frontières, c’est un très beau parcours, très excitant, et émouvant, même. En 1993 je l’ai présenté à Art Jonction, et bien sûr il était présent dans l’exposition « Paradoxe d’Alexandre », que tu m’as proposé de faire au CIAC de Carros.

« Personnage : Hommage à Marcel », Photo Archives Pierre Pinoncelli
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Frédéric Altmann – Oui, à chaque fois ça a été un plaisir de constater que jamais Pierre n’avait pas perdu de sa virulence

Alexandre de la Salle - Dans sa relation à moi et à ma galerie, il aura été subversif de bout en bout, comme il l’a été et le sera partout et toujours, et avec tout le monde, et avec lui-même, et avec la vie, et avec sa vieille maman la mort. Voilà ce qu’il écrivit de lui-même, comme tu le sais, dans le catalogue « Paradoxe d’Alexandre » qui accompagnait l’exposition :

Tueur de cochons, braqueur de banques…

« Tueur de cochons, braqueur de banques, souilleur de ministre, casseur d’urinoir, incendiaire de galeriste et de pain, Diogène nu dans son tonneau, créateur de Rrose Sélamore, jeteur de carambar sur le cercueil de Malraux au Panthéon, mauvais coucheur dans le lit de Red room de Louise Bourgeois à la 4ème Biennale de Lyon, tête brûlée devant l’Ambassade de Chine à Paris au retour de Nice-Pékin à vélo, homme-bleu du vernissage Yves Klein à N.Y., danseur de bourrée sur la tombe de Marcel Duchamp à Rouen, momie ensanglantée par le Biafra à Nice, gagneur de son procès-urinoir contre l’Etat Français et la multinationale Axa... Où est l’art dans toute cette pantomime ? ricanent les débiles et les momies de l’institution... Il faut laisser rire les hyènes (hi ! hi ! hi !) et s’esbaudir des pleutres (ah ! ah ! ah !) et toujours s’efforcer d’être GROTESQUE pour empêcher la vie de se coaguler dans le sérieux, le bon goût, et l’esthétisme, yeah ! ((Pierre Pinoncelli, Saint-Rémy 11-11-99)

Portrait tagué de Malraux par Pinoncelli à côté de Jean Mas à l’exposition « Paradoxe d’Alexandre » au CIAC (1999), photo extraite du film de Pierre Marchou
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Comme un Chat Félix

Et moi, j’avais écrit : « L’Aventure, des aventures, à chaque fois. A Vence, en mettant le feu au double chamarré de Pierre Pinoncelli, j’ai failli mourir brûlé ! Le Chat Félix nous poussait toujours jusqu’aux limites extrêmes du savoir jusqu’où aller trop loin. A chaque fois parfait stratège, il redressait la barre, et l’ultime coup de cymbale, c’est lui encore qui le donnait, sauf pour son dernier happening Urinoir Duchamp, à Nîmes ! Il a cette fois senti très fort le vent d’un boulet tiré par une administration pour le moins tatillonne, et n’ayant, bien sûr, rien compris à Duchamp, et par un Groupe d’Assurances... d’abord mal assuré dans sa démarche ! Mais Pierre est retombé sur ses pattes une fois encore. Salut au Métron-homme ! Mais quiconque le réduirait au happening, au théâtre de rue, commettrait une énorme erreur, car, auparavant, il fut peintre, et de qualité, sachant très bien occuper la surface peinte et en résoudre les problèmes. Je lui dois aussi d’avoir découvert le subtil, le juste, le précieux Jo Girodon qui, un jour, trouvera vers l’avant la place qui lui est destinée. (Alexandre de la Salle)

Pour le catalogue de l’exposition au Musée Rétif, il a répondu aux questions de France Delville :

France Delville : Pierre, que représentait l’Ecole de Nice pour toi en 1967 ?

Pierre Pinoncelli : Après trois années d’errances aux U.S.A, Amérique du Sud, Cuba et Mexique (et ce pèlerinage chez les Indiens Tarahumaras – dans la Sierra Madre – où s’était rendu Antonin Artaud, en septembre 1936, pour célébrer le rite du Peyotl), j’arrivais juste d’un séjour de trois mois à New-York, où je venais de réaliser cette performance-hommage à Yves Klein au Jewish Museum, le visage peint en bleu I.K.B., devant Rotraut et trois mille new-yorkais stupéfaits… (ma tête bleue a fait la une de tous les journaux, le lendemain matin)…Quelques jours après, surtout, j’avais rencontré Marcel Duchamp, au vernissage Segal chez Sydney Janis, où j’avais évoqué un geste – peut-être prochain – sur son urinoir… ça l’avait bien fait rire, en tout cas… Quand je pense aux débiles de l’institution – et du Centre Georges Pompidou – qui m’ont presque accusé de « crime contre l’humanité » pour « le casse » de cet urinoir, ah ! ah ! J’ai trouvé à Nice une patrie artistique pour pratiquer mes actions de rue… car en vérité je vous le dis c’est moi qui ai amené le happening sur la Côte d’Azur, en fait…Fluxus, c’était plutôt tranquille, à l’époque, avec « La Cédille qui sourit » de George Brecht et Robert Filliou… et Ben n’était encore qu’un petit brocanteur, dans sa boutique rue Tonduti de l’Escarène… Seul Serge III pratiquait déjà l’action de rue plutôt violente dans le genre des miennes…Dès mon arrivée, d’ailleurs, j’ai fait cette exposition-happening du « double » à Vence, en 1967, chez Alexandre de la Salle : « Les copulations d’un Chinois en Chine » !... et ce dernier a failli mourir brûlé vif, lors de la performance Place Godeau, ah ! ah ! Cher Alex, tout au début, tout au long, et tout à la fin ( !?) de l’école de Nice, hourra !

Frédéric Altmann devant « Wanted » de Pinoncelli, exposition « Paradoxe d’Alexandre », CIAC (1999), photo extraite du film de Pierre Marchou
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France Delville : Que représente-t-elle aujourd’hui ?

Pierre Pinoncelli : C’est plutôt par reconnaissance envers cette école de Nice qui m’a hébergé à mes débuts dans la performance, lors de mes premiers actes de rue (l’attentat Malraux pour la première pierre du Musée Chagall, la marche pour le Biafra – en momie sanguinolente – avenue Jean Médecin, le Théâtre Sauvage, à Coaraze – avec la troupe des Vaguants – pour le meurtre d’un cochon, le Père Noël qui casse les jouets de sa hotte, un 24 décembre devant les Galeries Lafayette, l’hommage à Monte-Christo dans le port de Nice, le hold-up de la Société Générale – avec un canon scié – pour protester contre le jumelage Nice -Le Cap, décidé par Jacques Médecin, au temps de l’Apartheid, et le procès, au Palais de Justice de Nice… pieds nus, crâne rasé, pyjama rayé des camps de la mort, étoile jaune à la poitrine… En mémoire aussi, des quelques bravos qui m’ont soutenu, alors, dès le départ : Alexandre de la Salle, Jacques Lepage, Jean Ferrero, Guy Rottier, Claude Gilli, Jean Mas… Je suis toujours resté fidèle à Nice, d’ailleurs… il n’y a qu’à voir le mythique bandeau « NICE » que j’ai sans cesse arboré dans les manifestations publiques et sur tous mes catalogues ou plaquettes (la fameuse photo en « Sudiste » de Jean Ferrero)…espèce disparue de « pirate niçois » destiné à finir au bout d’un mât, ah ! ah ! Ma grand-mère Clémentine m’a toujours répété, d’ailleurs – dans le parc de sa grande villa blanche de l’avenue Saint-Maurice – avec un mélange de tendresse et de consternation : « Toi, mon chéri, tu finiras certainement sur l’échafaud !! » Elle ne pouvait imaginer, la chère grand-mère (aussi rapide et aussi coriace que Ma Dalton, pourtant) que j’aurais une fin encore plus tragique et plus grotesque : membre à vie du gang de l’école de Nice, vous imaginez un peu ? pauvre de moi ! (Pierre Pinoncelli, Saint-Rémy-de-Provence, Janvier 2010)

A suivre...

« Wanted » à côté de deux œuvres de Serge III, photo extraite du film de Pierre Marchou
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