Suite du texte d’Avida Ripolin dans le catalogue de l’exposition Alberte Garibbo dans ma galerie de Saint-Paul intitulée « Peintures » (1990) :
D’insoupçonnées profondeurs de filons seront atteintes grâce à un travail irrépressible, permanent...
A l’intérieur même du noir se dégagent, se repoussent des plans permettant une recherche fouillée des tonalités. Trop incontrôlable dans la gravure avec la remontée des pigments, le blanc reste un temps uniforme. Mais en peinture, lui aussi se diversifiera, éclatera.
Le plein et le vide associés créent les reliefs du terrain, l’horizontale et la verticale forment le canevas d’un espace temps en attente. Les couples inversés instaurent la complémentarité, ce qui est blanc brumeux ici est blanc clair là, mais chacune des figures est plus qu’un contraire, une émergence transcendant la logique, l’œil se plaisant à s’enfuir du sentier qu’on lui a tracé...
Et puis soudain sur l’intemporel s’accroche l’événement : le point rouge, point d’équilibre, un présent rouge comme un incendie, comme une percée de soleil entre deux stèles de Uaxactun, discret d’abord, surgi de l’ombre et des vapeurs d’aérographe, puis épanoui dans son exaspération colorée, dans sa maximalisation infernale... Sur le déséquilibre équilibre du terrain surgit l’acte.
Car le rouge - Alberte elle même l’appelle son point d’équilibre - comme le fil du funambule donne son sens au paysage. On part de lui, et on y revient... Ce rouge anime le tableau et nous irradie, il nous force à retourner nous rafraîchir dans le blanc ou le noir, puis à retourner grésiller sur son chalumeau comme un insecte trop curieux... Le rouge mène le jeu. Même imperceptible il nous éclaire, nous guide dans le voyage pictural, il est épée incandescente plongée dans l’eau glacée, phare dans la nuit, bolide, apparition, rayon diffracté, vie qui troue l’ombre, inlassable précipité obstiné persistant...
Dans d’autres tableaux le soleil est en éclipse derrière des voiles, derrière des panneaux de maisons japonaises en verre dépoli monte un brouillard, et, réverbérés sur un mode blafard, de rigides troncs de bouleau luisent faiblement... Non, rien de tout cela, mais seulement présence pour briser l’absence, musicalité pour rompre le silence, ondes angulaires longeant des champs magnétiques et se perdant dans des tunnels rigides, cordes de lyres à l’échelle d’un territoire mental, cordes réelles pour musique invisible. Que deviendrait la lyre géante, à l’échelle des grands déserts vivants, s’il lui manquait les cordes vibratiles nécessaires au surgissement de cette musique virtuelle, de ce bruissement en puissance qui doivent être réveillés dans toute peinture ?
Et maintenant la diagonale, la première diagonale de l’œuvre brise son orthogonalité... Régression ? Non. Car Alberte ne veut pas tendre vers le gouffre du non dit, du plus-rien-à dire-jamais, elle veut s’amuser à dire encore, et parcourir en tous sens l’espace du jeu, contrairement à Aurélie Nemours qui perçut un fameux jour cette diagonale comme une promenade sentimentale. Alberte choisit d’aller et venir du plein au vide et du vide au plein, de l’ascèse à la profusion, riches heures du maniement de ce qui s’offre...
Tout cela parle de la forme, de sa relativité, de l’illusion, de l’insaisissable, de la valeur du regard... Tout cela nous engage dans une interrogation sur l’impermanence, sur le va et vient entre perfection et irrégularité, légèreté et densité. Nous, quatrième dimension, créons le mouvement qui va de l’avant vers l’arrière, de la corde au bois du violon, du point rouge au profond de la forêt, du rais de lumière à l’immeuble abandonné, ses ferrures mises à nu par l’explosion... La peinture d’Alberte Garibbo est un koan géométrique devant lequel il importe de rester, longtemps, méditatif... (Avida Ripolin)
Son œuvre est un zoom.
Un texte de la même Avida Ripolin sera traduit en anglais l’hiver 1993 dans la Revue New-Riviera Côte d’Azur :
Son œuvre est un zoom. Elle s’approche sans cesse... elle ne sait pas de quoi, et ne veut pas le savoir de cette manière. Elle s’en approche, et à ce stade, on se prend à espérer. C’est ainsi qu’elle dit, d’ailleurs : une espèce d’espérance de l’être. Qui serait une lumière. Jusque-là tout était pris dans des caches, des paravents. Avec des braises, pour indiquer la direction. Mais du noir, ou du blanc. Une œuvre au noir. Musicale. Des contrastes, une ombre nécessaire pour faire surgir moins d’ombre, une espérance de lumière, des iridescences latérales. Et puis, très vite cette luminescence sourde, par derrière, une présence avançante, vers laquelle la peinture avançait, la peinture faisait tomber un panneau après l’autre, comme des peaux.
Et maintenant la lumière est là, c’est un rayon cylindrique, un être corps, de lumière, ce sont des villes en suspension, des lieux, structurés mais légers, en lévitation. Zoom avant. Qu’y aura t il, encore et encore ? Les grands peintres avancent sans cesse, se débarrassent de ce qui les encombre, s’approchent du feu central... Ce qu’on ne peut absolument pas abandonner, voici ce qu’il faut acquérir (Samvitprakasa). En peinture, on connaît le peintre à ses conquêtes finales. Ici, c’est incontestablement la lumière. Et autre chose, aussi, qui n’a pas de nom. (Avida Ripolin)
Ultra-luminen, peut-être…
Mais dans le catalogue de l’exposition « Peintures » (16 juin-20 juillet 1994) dans ma galerie, André Verdet écrit ceci :
Alberte Garibbo esquisse le portrait de finesse d’une géométrie pure comme si elle esquivait le portrait de finesse d’une poésie pure à l’égal d’un portrait humain où se recèleraient les plus sensibles, les plus nobles qualités. Et cette esquisse aboutit à la géographie totale d’un cosmos plastique sans fissure.
Chaque toile de cette artiste s’avère être un poème pictural d’une drastique beauté valéryeuse où des noirs auguraux se nuancent et s’infléchissent à l’infini. Noirs riches de substances nourricières comme travaillés et saturés en profondeur de lumière. Une lumière qui vient de plus loin, des ultra luminen peut être. Ces noirs font pressentir à notre regard la très secrète présence des tonalités enfouies dans la genèse même de leur substance.
Je connais peu de peintres en ces dernières décennies qui aient pu pousser aussi savamment, avec tant de puissance mais encore avec tant de tendresse, d’émotion retenue, les enchantements lumineux du noir en ses variantes et en tant que valeur absolue. Or ces enchantements lumineux paraissent se répercuter à l’infini d’un miroir. Chaque toile d’Alberte Garibbo est en vérité un champ d’ondes imprégné, parcouru d’énergies subséquentes.
Cette quête quasi-mystique du noir – que dans une voie différente a poursuivie aussi Luc Peyre - dément à sa source même les attributs de non joie qui sont communément dévolus à cette couleur de genèse.
Pour l’artiste niçoise le noir est la couleur fondamentale. La couleur mère. Et le blanc n’a t il pas pris source dans le noir après que fut la lumière indivise ? Cette lumière qui existait avant même qu’elle se révèle comme le regard existait avant même nos yeux... Et le noir et le blanc n’ouvrent ils conjointement la voie aux couleurs ? Pablo Picasso, combien de fois ne l’a t il pas répété, pensait toujours noir et blanc et par là pensait toujours dessin avant de poser la couleur.
Chez Alberte Garibbo, ces noirs d’apparat, d’une amplitude chaude, souple et soyeuse, pétrie de lumière, se définissent en se « charpentant » dans des structures géométriques intrinsèques d’obédience architecturale. On songerait parfois à la notion du Portique d’Or, chère aux bâtisseurs grecs, ceux de la beauté philosophique. Ces structures faites de droites transversales parmi lesquelles les horizontales aujourd’hui prédominent sur les verticales, s’inscrivent avec une netteté éclairante dans l’espace du tableau. Ces traits de coloration blanche ou orangée me font songer à des franges, à des lisières d’où émaneraient des « effluorescences » incantatoires d’outre jour ou d’outre nuit. Ne seraient elles, dans l’esprit de leur auteur, des repères d’espace, ne feraient elles office de bandes signalétiques ?
Il faut signaler que ces droites transversales ne vont que très rarement au terme de leur parcours vers les côtés de la toile, et que, par quel sortilège, semblent elles rayonner à partir d’un centre fictif ? ...
Dans les tableaux les plus récents, grâce à de savantes autant que minutieuses pulvérisations souf¬flées de blanc sur le noir (certaines ouvrent à l’illusion magique de l’argenté ou du doré) s’élèvent des sortes d’abstraites et rondes colonnes totémiques qui instaurent bientôt dans notre regard l’affirmation d’un lieu sacré.
Or maint tableau d’Alberte Garibbo n’atteint-il à l’acmé du chant ? Et ne garde t il dans la force de ses structures essentiellisées à l’extrême, la tendresse d’un Cantique ? (André Verdet, avril 1994)