Alberte Garibbo, j’ai commencé à l’exposer fin 1987, j’avais vu une œuvre d’elle pour la première fois en 1986, au Palais de l’Europe à Menton, … et son travail est devenu pour moi l’une des découvertes majeures de ma galerie de Saint-Paul. Alberte est un grand peintre, un chercheur, du Noir bien sûr, mais surtout du secret que détient le noir, des potentialités étranges que recèle cette couleur non-couleur, ou plutôt cette non-couleur qui est peut-être la plus extraordinaire des couleurs, l’envers de la lumière en même temps que son habitat privilégié.
La peinture d’Alberte Garibbo comme cœur noir de l’Univers
Les écrits que sa peinture a suscités sont marqués de la rencontre sensible avec son travail, dont la contemplation provoque de manière manifeste chez chacun comme une absorption dans des mondes dématérialisés ici et rematérialisés ailleurs, une sorte de téléportation, comme le disent les dernières théories de « l’intrication » de l’Univers. Intrication lui va bien, ce qu’elle appelle son tissage, ou « sculpter l’espace ».
Aussi vais-je donner quelques-uns de ces textes qui, à les relire, rappellent l’émotion.
En 2000, dans le « Paradoxe d’Alexandre », au moment de fermer ma galerie de Saint-Paul, j’ai écrit sur elle : « Alberte Garibbo, engendrée par les fées de l’Art, dont les noirs plus ou moins saturés sont à mesure plus ou moins noirs, comme nés au cœur noir de l’univers, dans l’attente d’un signal lumineux. Elle est servie bien sûr par une technique exigeante, qui n’appartient qu’à elle. A l’occasion elle aussi sait être un MADI d’une profonde inventivité.
Alberte est née à Monaco en 1946, mais son appartenance au monde de Gorbio, niché dans la montagne, dans une nature forte et odorante, ne semble pas étrangère à cette sensibilité tellurique qui est la sienne.
Voici comment elle se présentera elle-même (dans le catalogue de son exposition à la galerie des Ponchettes en 2002), sobrement, à l’infinitif, comme si, de sa biographie aussi, et de sa personnalité, elle épurait tout ce qui n’est pas essentiel :
Premiers crayons de couleurs
Crissement de la mine
Odeur du papier
Ces souvenirs sont intacts dans ma mémoire
J’avais 5 ans
Études de gravure et de dessin à l’École d’Arts Plastiques « Villa Thiole » à Nice
Recherche sur le noir, cette non couleur qui devient couleur par la profusion de ses nuances
Mise au point d’une technique « manière noire/aérographe » qui donne une matité, un velouté et une chaleur à la peinture à l’huile
Peintre et graveur, expose dans la mouvance géométrique depuis 20 ans,
tant en France qu’à l’étranger
Sur des marges de silence
Et elle a elle-même écrit ceci, qui est précieux comme un témoignage de l’intérieur, un témoignage sur l’expérience, et de la peinture, et du fait que cette peinture vient représenter un certain voyage indicible autrement… :
Sur des marges de silence, le temps s’immobilise. Les lisières de l’inconnu s’ouvrent sur l’abîme de l’infini. Des éclats d’or et de lumière ponctuent le chemin. Les yeux grands ouverts j’entre dans la nuit. Nuit céleste sculptée par des sillons de demi teintes, suis je dans le ventre de la Terre ou au delà d’elle ?
Noir couleur, noir lumière, noir de tous les vertiges, noir de tous les mystères, noir encore plus noir. Cette non couleur est, par la profusion de ses nuances, chaudes, profondes, mates, brillantes, une couleur vibrante et vivante, une polychromie dans la monochromie. Le noir est un appel à la lumière, un champ velouté et ondulatoire qui ouvre une autre dimen¬sion, une dimension au-delà des frontières connues. Pliage des nuances, tourbillon des tonalités, palpitation du carré, jeux optiques, modulations rythmiques à l’infini, font de cette non couleur/couleur, un transport des sens dans l’intemporel. (A.G)
Alberte a exposé pour la première fois en 1979, à Paris, Hôtel des Monnaies, puis à la VIIe Biennale d’Art Moderne de Nice, où elle a obtenu le Prix du Public, puis à la Xe Biennale de Cracovie, où elle a obtenu le Prix des Musées de Pologne, etc.
En 1988 elle est dans mon exposition « Abstraction géométrique » avec Carmelo Arden Quin, Bolivar, Albert Chubac, François Decq, Horacio Garcia Rossi, Jean Leppien, Aurélie Nemours, et je l’exposerai seule régulièrement, et aussi avec mes artistes d’art géométrique, et ceux du Mouvement MADI, et je la montrerai à la Foire d’Art Jonction de Nice, et au Salon « Découvertes » à Paris.
Toutes ces années, en dehors de ma galerie, son travail sera exposé à Paris, en Suède, aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne. En 2002, dans le très beau lieu qu’était la Galerie des Ponchettes à Nice, sous la houlette d’Anne-Marie Villeri, ses œuvres rutilèrent. Et dès que j’eus fermé ma galerie, en 2000, Antonio Sapone l’accueillit dans la sienne.
En 2000, donc, pour le catalogue de l’exposition « Paradoxe d’Alexandre » au CIAC (Centre International d’Art Contemporain, Château de Carros sous la direction de Frédéric Altmann, que je ne remercierai jamais assez de m’avoir permis d’organiser cet incroyable événement), Alberte écrivit à mon adresse :
Rencontre
Mise sur rails
Stimulation
Encouragements
Ecoute
Espoir
Eveilleur des imaginaires
Alexandre de la Salle m’a permis, et a permis à tous les artistes qu’il a découverts, de s’exprimer.
Découvreur
Puriste
Kamikaze
Il a défendu et exposé l’art qu’il aime
Une nuit est tombée
Une aurore va naître
Merci au grand ami qu’il est devenu
(Alberte Garibbo, 2000)
Il est vrai qu’une grande amitié s’est tissée entre nous autour non seulement de son travail mais d’une réflexion sur celui-ci…amitié partagée avec Michel Garibbo, son époux, un homme extraordinaire que France et moi avons énormément aimé, qui comprenait l’œuvre d’Alberte, la soutenait, et qui comprenait si bien l’art en général.
Arrête tout cela, et ose enfin
Sous le nom d’Avida Ripolin, France Delville a beaucoup écrit sur Alberte, par exemple ce texte légèrement biographique pour le catalogue de l’exposition « Peintures » du 21 avril au 30 mai 1990 :
Quels parents souhaiteraient pour leur enfant le destin de Van Gogh... Mais ce qui est beau dans l’obstacle, c’est qu’il crée la passion et fortifie la vision... Alberte Garibbo, interdite de peinture jusqu’à sa maturité ne cesse depuis, obsessionnellement, de se découvrir à elle même l’œuvre picturale qui avait malgré tout grandi en elle comme un enfant ignoré...
A l’école rejointe sur le tard, les brodequins de l’imitation obstruèrent encore un temps le jet authentique, mais derrière les contorsions de l’obéissance, Jacques Matarasso perçut ce qui déjà débordait : « Arrête tout cela, et ose enfin », conseilla t il à Alberte...
Fracas dans un cerveau, césarienne fatale : du jour au lendemain Alberte osa extérioriser ces formes incubes auxquelles elle ne croyait pas encore...
Son art est né des exigences de la gravure, qui sont précision, discipline ; il est né du binaire, des pleins, des vides, des contrastes, et de la maîtrise physique qui permet de mater les forces résistantes sans bavure, en finesse, comme dans les arts martiaux... De la gravure naît une peinture sans concessions, encore un peu froide, mais l’aérographe va lui apporter un velouté, des harmoniques de superpositions qui à leur tour vont complexifier la gravure, et cet enrichissement dialectique va persister dans une spirale ascendante...